Chili : La constitution plus sociale, plus démocratique et plus écolo est rejetée

mercredi 7 septembre 2022.
 

Au Chili, la proposition de nouvelle Constitution est massivement rejetée

https://www.france24.com/fr/am%C3%A...

Les Chiliens ont massivement rejeté dimanche 4 septembre la proposition de nouvelle Constitution qui visait à remplacer celle héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990).

Le verdict de ce référendum à vote obligatoire est sans ambiguïté et dépasse toutes les prédictions des instituts de sondage. Quelque 61,9 % des électeurs, soit plus de 7,8 millions de personnes, ont glissé le bulletin "je rejette", contre 4,8 millions (38,1 %) favorables à la mention "j’approuve", selon les résultats définitifs.

Ce choix ne fait cependant que suspendre le processus de nouvelle Constitution entamé après le violent soulèvement populaire de 2019 réclamant plus de justice sociale, et rendait coupable de tous les maux du pays celle rédigée sous le régime militaire.

"Je m’engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour construire un nouveau processus constitutionnel", a solennellement déclaré après les résultats le président de gauche de 36 ans élu en décembre.

Depuis le palais présidentiel de la Moneda, il a lancé "un appel à toutes les forces politiques pour qu’elles fassent passer le Chili avant toute divergence légitime, et qu’elles se mettent d’accord le plus rapidement possible sur les délais et les contours" de ce nouveau processus "dans lequel, bien sûr, le Parlement devra être le principal protagoniste".

Célébrant la "défaite pour les refondateurs du Chili", Javier Macaya, président du parti ultra-conservateur UDI, a dit lors d’une conférence de presse vouloir également "poursuivre le processus constitutionnel", comme s’y était engagée l’opposition durant la campagne pour faire barrage au texte proposé.

Conservatisme

Un premier référendum en octobre 2020 avait clairement appelé à la rédaction d’un nouvelle Loi fondamentale (79 %), et voir effacée l’ombre de Pinochet et d’un Chili laboratoire de l’ultralibéralisme. Mais le fruit d’une année de travail des 154 membres d’une Assemblée constituante, élus en mai 2021 pour rédiger la proposition, a semble-t-il trop bousculé le conservatisme d’une majeure partie de la société chilienne.

De nouveaux droits sociaux avaient pourtant été pensés pour équilibrer une société aux fortes inégalités sociales, en proposant de garantir un droit à l’éducation, à la santé publique, à une retraite ainsi qu’à un logement décent, pour ne plus les laisser aux seules mains du marché.

L’inscription dans le marbre du droit à l’avortement, un sujet qui fait débat dans le pays où l’IVG n’est autorisée que depuis 2017 en cas de viol ou de danger pour la mère ou l’enfant, ou encore la reconnaissance de nouveaux droits aux peuples autochtones, a crispé les débats souvent houleux dans une campagne baignée dans un climat de désinformation.

"Échec retentissant"

L’ancienne présidente Michelle Bachelet, qui vient de quitter son poste de Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme à Genève, où elle a voté, et qui demeure très populaire dans son pays, a prévenu qu’en cas de rejet, "les demandes de Chiliens resteront insatisfaites".

Cette volonté de changement perçue à l’étranger et dans la capitale Santiago, surtout dans la jeunesse qui a envahi les rues, a été balayée par l’immense rejet qu’inspirait le texte "dans le sud et le nord du pays", selon Marta Lagos, sociologue et fondatrice de l’institut de sondage Mori.

Ces deux régions connaissent de graves problèmes de violence et d’insécurité. Dans le Sud, en raison de conflits autour de terres revendiquées par des groupes radicaux indigènes Mapuche et, dans le Nord, en raison de l’afflux migratoire, des problèmes de pauvreté et de trafic d’êtres humains.

Selon elle, les tenants du "non" forment un groupe "très hétérogène" avec une forte fibre "populiste" alimentée par la "peur" de se voir dépossédés. Mais des voix de centre gauche se sont également jointes aux protestations. "Personne n’avait prévu cet écart de plus de 20 points de pourcentage", a-t-elle écrit sur Twitter, qualifiant le résultat d’"échec retentissant".

"Président Boric : cette défaite est aussi la vôtre", a déclaré le leader d’extrême droite Antonio Kast, ouvertement admirateur de Pinochet, qui s’était incliné lors du second tour de la présidentielle.

Avec AFP

1) Nouvelle Constitution sociale et écolo : vote crucial au Chili

https://reporterre.net/Nouvelle-Con...

Dimanche 4 septembre, trois ans après la révolte sociale qui a donné naissance à l’écriture d’une nouvelle Constitution, les Chiliens doivent l’approuver dans les urnes.

Certaines dates sont symboliques dans l’histoire d’un pays. Dans celle du Chili, c’est le cas du 4 septembre. Ce jour-là, en 1970, Salvador Allende devenait le premier président socialiste élu démocratiquement en Amérique du Sud. Dimanche 4 septembre 2022, cinquante-deux ans plus tard, le peuple andin va approuver ou rejeter la proposition de nouvelle Constitution, point d’orgue d’un virage social enclenché en 2019.

À la suite d’une révolte contre les injustices causées par le modèle néolibéral, dont la pierre angulaire est la Constitution de 1980 instaurée pendant la dictature d’Augusto Pinochet, les Chiliens avaient voté massivement pour l’écriture d’une nouvelle Constitution lors d’un premier référendum. Celle-ci a été rédigée par 154 membres issus en grande partie des mouvements sociaux et des partis politiques de gauche. Nouvelle étape fin 2021 lorsque le Chili a élu le jeune président progressiste Gabriel Boric. La sortie du néolibéralisme s’est alors amorcée.

Une Constitution écologique et sociale

La nouvelle Constitution écrite en un temps record — douze mois — répond en grande partie aux aspirations sociales exprimées par les Chiliens en 2019. Ils exigeaient un accès gratuit et égalitaire à l’éducation, un droit universel à la santé, la fin du marché privatisé de l’eau ou encore des droits pour les peuples originaires. Dans son premier article, la Constitution reconnaît « le Chili comme un État social et démocratique de droit. Il est plurinational, interculturel et écologique ». Sur le plan social, la proposition constitutionnelle garantit « le droit à la santé » et « à la sécurité sociale basée sur l’universalité », « le droit à l’éducation » ou « le droit à vivre dans un environnement sain sans pollution ». Elle insiste également sur le caractère « plurinational » du pays — dix-sept sièges avaient d’ailleurs été réservés aux autochtones dans la Constituante.

Sur le plan écologique, les avis sont unanimes : cette Constitution est avant-gardiste. Sara Larrain, directrice de l’ONG Chile Sustentable parle même d’« un nouveau paradigme d’État reliant société et nature ». La proposition constitutionnelle reconnaît que parmi les valeurs inaliénables de la République figure la « relation indissoluble avec la nature ». Elle est la deuxième Constitution au monde (après l’Équateur) a considérer que « la nature a des droits ». Elle reconnaît aussi que « nous sommes face à une crise climatique que nous devons prendre en charge ». Le « non » donné vainqueur

Vendredi 2 septembre à minuit, la fin de la campagne a sonné. Deux jours avant le scrutin, toutes réunions publiques à caractère électoral étaient interdites. Qu’à cela ne tienne, jeudi soir, les équipes de campagne du non et du oui ont appelé à de grands rassemblements à Santiago. Presque 500 000 partisans du oui, selon les organisateurs, se sont réunis sur la grande Alameda de la capitale. Quant aux défenseurs du non, ils n’étaient qu’une centaine, rassemblée sur les hauteurs du Parc métropolitain.

Les instituts de sondage donnent malgré tout le non vainqueur, avec une moyenne de 10 points d’avance. Claudia Heiss, docteure en sciences politiques à l’Université du Chili explique à Reporterre que « ces sondages utilisent des méthodes peu transparentes et discutables » et « qu’il y a une énorme campagne de désinformation, des mensonges émanant des forces politiques de droite, principalement ». Lors de la cérémonie de clôture de la Convention constitutionnelle, le 4 juillet dernier, le président Gabriel Boric avait déjà appelé à « débattre intensément des avancées proposées par le texte. Mais pas des fausses informations, distorsions ou interprétations catastrophiques qui sont loin de la réalité ».

2) Pour la nouvelle Constitution chilienne, un an de travaux et des innovations majeures

Le texte soumis à référendum dimanche 4 septembre aux Chiliens présente des avancées dans un certains nombre de domaines : reconnaissance des droits des autochtones, parité, droit à l’avortement, droit du travail, lutte contre le changement climatique, éducation...

François Bougon et Mathieu Dejean

Le 1er septembre, pour l’acte de clôture de la campagne pour le « oui » à la nouvelle Constitution chilienne, des milliers de personnes ont défilé sur l’Alameda, à Santiago, comme aux grandes heures de l’explosion sociale. Sur scène, Gustavo Gatica, jeune étudiant rendu aveugle pendant une manifestation en novembre 2019, après avoir été frappé au visage par les fusils anti-émeutes des policiers, a pris la parole dans un moment très émouvant.

« Je vote “oui”, pour tous les yeux que nous avons perdus », a-t-il déclaré avant de fondre en larmes, pensant aux nombreuses victimes de la répression pendant l’explosion sociale.

L’ancienne présidente socialiste Michelle Bachelet, qui vient de quitter son poste de haute-commissaire des Nations unies aux droits humains, est également intervenue dans la campagne en faveur du « oui » par l’entremise d’une vidéo, pour signaler que dans le projet de nouvelle Constitution, « il y a environ 35 articles qui parlent de l’égalité des femmes, de l’égalité des salaires, car tout cela n’existe pas encore ».

Pendant un an, de juillet 2021 à juillet 2022, les 155 membres de la Convention constitutionnelle, installés dans le bâtiment de l’ancien Congrès national, ont travaillé sur ce projet de nouvelle Constitution censée remplacer celle héritée de la dictature de Pinochet.

Les Chilien·nes avaient désigné en mai 2021 cette première Assemblée constituante paritaire au monde, qui avait également réservé 17 sièges aux peuples autochtones. Alors que le président conservateur, Sebastián Piñera, se trouvait complètement discrédité en fin de mandat, les candidat·es indépendant·es des blocs de gauche, comme le Front large (Frente Amplio) et le Parti communiste, avaient triomphé dans les urnes, la droite n’atteignant même pas le tiers des sièges, ce qui la privait de tout droit de veto et de la possibilité de négocier en position de force.

Avec sept commissions traitant de questions telles que les droits fondamentaux, le système politique et l’environnement, les 155 membres de la Convention ont soumis leurs propositions de chapitres et d’articles à une commission qui a eu la tâche de rendre le texte final cohérent et de le remettre au tout nouveau président de gauche, Gabriel Boric.

Le document compte 178 pages, 388 articles, 11 chapitres et 56 dispositions transitoires. En voici quelques points saillants :

Une démocratie paritaire

Si le texte est approuvé, le Chili verra inscrit, pour la première fois dans sa Constitution, le principe de parité. Le pouvoir exécutif, législatif, judiciaire, l’administration publique, les entreprises publiques devront compter au moins 50 % de femmes. L’État s’engage également à mener des politiques pour promouvoir l’égalité de genre et « une société à laquelle les femmes, les hommes, les diversités et dissidences de sexe et de genre participent dans des conditions d’égalité substantielle, reconnaissant que leur représentation effective est un principe et une condition minimale pour l’exercice plein et substantiel de la démocratie et de la citoyenneté ».

La reconnaissance des autochtones

Pour la première fois, le pays intègre son héritage autochtone en se présentant comme un État « plurinational et interculturel ». Dans le texte, il est indiqué que « le Chili reconnaît la coexistence de différents peuples et nations dans le cadre de l’unité de la nation » : les Mapuche, Aymara, Rapanui, Lickanantay, Quechua, Colla, Diaguita, Chango, Kawésqar, Yagán, Selk’nam et « d’autres qui peuvent être reconnus dans la forme que la loi établit ».

Un autre élément important pour la prise en compte de ces « valeurs autochtones » est la référence à la notion de buen vivir (de « bon-vivre » en espagnol), qui, selon l’ancien ambassadeur bolivien aux Nations unies Pablo Solón, cherche l’« harmonie non seulement entre êtres humains, mais aussi entre les humains et la nature, entre le matériel et le spirituel, entre la connaissance et la sagesse, entre diverses cultures et entre différentes identités et réalités ». La notion, héritage des cultures andines, était déjà présente dans les Constitutions équatorienne de 2008 et bolivienne de 2009.

Le droit à l’avortement

L’article 61 de la nouvelle Constitution indique que l’État doit assurer « à toutes les femmes et personnes en capacité de gestation les conditions d’une grossesse volontaire et protégée, d’une IVG, d’un accouchement et d’une maternité volontaires et protégées ». Jusqu’à 2017, l’avortement était totalement interdit au Chili, du fait d’une loi héritée de la dictature de Pinochet. Depuis, il n’est que partiellement dépénalisé dans trois cas : viol, risque pour la vie de la femme enceinte et non-viabilité du fœtus.

Le mouvement féministe au Chili a été l’un des fers de lance de l’explosion sociale de 2019. La diffusion internationale de la chorégraphie du collectif chilien Las Tesis, « Un violador en tu camino », en témoigne. Tout comme le nouveau film de Patricio Guzman, Mon pays imaginaire, à paraître en salles en France le 26 octobre mais déjà sorti au Chili.

Plusieurs représentantes du mouvement ont siégé à la Convention constitutionnelle, foulard vert autour du cou. Désormais, le Chili pourrait être le cinquième pays d’Amérique latine à légaliser l’IVG, et la nouvelle Constitution pourrait devenir « la plus féministe de la planète », selon Franck Gaudichaud, professeur d’histoire de l’Amérique latine à l’université de Toulouse.

Une révolution dans le droit du travail

La nouvelle Constitution comprend plusieurs points qui renforcent le droit du travail, au point de constituer une quasi-révolution dans le domaine. Ainsi, la Constitution « garantit le droit de grève des travailleuses, travailleurs et organisations syndicales ». Ces dernières sont les titulaires « exclusives des négociations collectives, et donc les seules représentantes des travailleuses et travailleurs devant les employeurs ». La Constitution ouvre aussi la possibilité de négociations collectives « par branche, territoire ou secteur », et plus seulement par entreprise.

L’eau, un bien « inappropriable »

L’eau « dans tous ses états » est reconnue dans la nouvelle loi fondamentale comme un bien commun. C’est le résultat d’un travail acharné de la commission thématique sur l’environnement à la Convention constitutionnelle, qui a rencontré de nombreuses résistances. Alors que la région centrale du Chili est victime de sécheresses à répétition, que des communautés entières sont privées d’eau, et que l’actuelle Constitution garantit sa privatisation, c’est un changement de paradigme.

Dans le nouveau texte, au nom de « l’intérêt général, de la protection de la nature et du bien collectif », l’État pourra désormais « accorder des autorisations administratives pour l’utilisation » de l’eau, de manière temporaire, à travers une Agence nationale de l’eau. « L’eau doit être considérée comme un bien commun naturel, alors qu’aujourd’hui son statut juridique relève de la propriété et du marché de l’eau. La proposition que nous faisons est de restituer l’eau à la nature et aux communautés, et de changer son mode de gestion », expliquait à Mediapart Carolina Vilches, qui siégeait à la Convention constitutionnelle.

Écologie

Plus largement, le texte reconnaît la « crise climatique et écologique » mondiale et confie à l’État la responsabilité d’adopter des « actions de prévention, d’adaptation et d’atténuation des risques » en rapport avec le changement climatique.

Les mouvements de défense des animaux ont réussi à inclure un article qui qualifie les animaux de « sujets de protection spéciale ».

Pour l’activité minière, « l’État a une domination absolue, exclusive, inaliénable et imprescriptible sur toutes les mines et substances minérales [...] sans préjudice de la propriété des terrains sur lesquels elles sont situées ». Mais le texte n’interdit pas les concessions aux entreprises privées.

Un système d’éducation publique renforcé

C’était une demande persistante du mouvement social au Chili, depuis les années 2000 : une éducation publique, gratuite et de qualité. Dans le pays où les étudiant·es sont contraint·es de s’endetter pour étudier dans un système largement privé, la Constitution promet de renforcer le système public, notamment d’éducation supérieure. L’article 36 indique que l’éducation publique est un axe stratégique, et que l’État doit financer ce système « de caractère laïque et gratuit, composé d’établissements et d’institutions à tous les niveaux éducatifs ». Le texte ajoute explicitement, à propos des universités accusées de faire du profit sur le dos des étudiants et des étudiantes : « Toute forme de profit est interdite aux universités. »

Une nouvelle architecture du pouvoir

La nouvelle Constitution propose de maintenir le régime présidentiel avec un pouvoir législatif bicaméral asymétrique. Si le Congrès des députées et députés est maintenu avec 155 membres, le Sénat, lui, est remplacé par la Chambre des régions, qui aura moins de pouvoir. Les candidat·es au poste de président·e pourront se présenter à partir de l’âge de 30 ans – contre 35 actuellement.

https://www.mediapart.fr/journal/in...[QUOTIDIENNE]-20220903&M_BT=1489664863989

François Bougon et Mathieu Dejean

3) Avec sa nouvelle Constitution, le Chili veut inclure les autochtones

Dimanche 4 septembre, plus de 15 millions de Chiliens se prononcent sur le texte issu d’un an de travaux au sein de l’Assemblée constituante, un référendum capital. Parmi les innovations qui ont suscité débats et fantasmes durant la campagne figure le caractère « plurinational » de la nation chilienne.

https://www.mediapart.fr/journal/in...[HEBDO]-20220902&M_BT=1489664863989

SantiagoSantiago (Chili).– « Il est difficile de dire qui je suis car cet État ne nous reconnaît pas. Je ne peux pas dire qui je suis en gardant la tête haute. Nous voudrions marcher librement. Nous avons grandi avec vous, nous avons marché, nous avons travaillé, nous avons aussi participé à la construction de ce pays, mais cet État ne nous reconnaît pas, il nous renie et se moque de nous. »

La Convention constitutionnelle avait à peine un mois d’existence lorsque Luis Vásquez Chogue y a témoigné, la voix tremblante et au bord des larmes, comme représentant du peuple Selk’nam. Dans une vidéo devenue virale, on le voit ému à l’évocation de son histoire familiale.

Les Selk’nam, qui viennent du sud du Chili, de la Grande Île de la Terre de Feu, ont été victimes d’un génocide. On ignore toujours le nombre de victimes, car ce peuple, également connu comme « Ona », a été invisibilisé par l’histoire officielle chilienne et il n’est pas reconnu comme peuple vivant. La présence de José Luis Vásquez Chogue à la Convention n’est, elle, pas passée inaperçue.

Le processus constituant a donc commencé avec un ordre du jour qui montrait l’urgence de certains secteurs à inclure la plurinationalité dans les pages de la proposition constitutionnelle. La première étape avait déjà été marquée par l’accord qui a permis la participation de 17 sièges réservés aux peuples autochtones dans la Constituante, un fait sans précédent dans un processus électoral chilien.

En juillet dernier, un an après leur installation dans l’hémicycle de l’ancien Congrès national, les 154 constituants ont livré le résultat d’un travail intense, riche en débats et en controverses. « Le Chili est un État social et démocratique régi par l’État de droit. Il est plurinational, interculturel, régional et écologique », énoncent les premières lignes de l’article 1 de la nouvelle Constitution. Cette déclaration a suscité la controverse et nourri la division entre ceux qui soutiennent la proposition du nouveau texte et ceux qui préfèrent définir le pays comme une seule nation, ainsi qu’il est décrit dans la Constitution actuelle en vigueur depuis 1980, alors que le pays était en pleine dictature civilo-militaire.

Une revendication ancienne

Avec des changements de forme et de fond au modèle politique et économique qui gouverne actuellement, la nouvelle Constitution compte, parmi les questions les plus notoires, la reconnaissance constitutionnelle des peuples indigènes et sa définition du Chili comme un pays qui « reconnaît la coexistence de divers peuples et nations dans le cadre de l’unité de l’État ».

Pour l’anthropologue et chercheuse du Centre d’études interculturelles autochtones (Centro de Estudios Interculturales Indígenas, CIIR), Natalia Caniguan, il était logique que la plurinationalité soit l’une des questions les plus attendues du processus constituant, car il s’agit d’une revendication des peuples autochtones qui s’est imposée avec le retour de la démocratie, lorsqu’en 1989 l’ancien président Patricio Aylwin a mené sa campagne présidentielle et s’est engagé à reconnaître constitutionnellement les peuples autochtones. Natalia Caniguan affirme que l’inclusion actuelle fait partie de la dette historique de l’État chilien envers les peuples autochtones.

« La tension ici est qu’il y a effectivement une subversion du pouvoir, pour ainsi dire. En d’autres termes, ceux qui ont toujours été invisibles, marginalisés, qui ont toujours été considérés comme des groupes sociaux économiquement vulnérables et non comme des personnes ayant des droits, sont ceux qui s’expriment. Ce sont eux qui ont imposé une série de demandes dans le texte constitutionnel », atteste Natalia Caniguan, originaire de Temuco, au cœur de l’Araucanie, une partie du territoire ancestral des Mapuches.

Pour elle, les oppositions à l’égard des peuples autochtones sont encore vives. Elle en voit l’illustration dans le discours porté par le camp du rejet (« rechazo »), selon lequel la plurinationalité est une idée qui a été imposée par la force. Pourtant, souligne-t-elle, le nombre de sièges réservés au sein de la Constituante aux autochtones était inférieur à celui des représentants du centre-droit. « On ne peut pas dire qu’il s’agissait d’une majorité qui a imposé son agenda, mais plutôt qu’il s’agit d’un groupe qui a pu négocier ses demandes au sein de la Constituante, des demandes qui sont reflétées dans le texte », précise Natalia Caniguan.

Justice autochtone

Les désaccords sur la question des autochtones dans la nouvelle Constitution vont bien au-delà de sa reconnaissance explicite. Non seulement c’est la première fois que l’État est défini comme plurinational, mais il inclut également la reconnaissance des systèmes juridiques autochtones, ainsi que le consentement préalable des peuples et des nations autochtones pour les questions touchant à leurs droits.

Richard Caifal, avocat et directeur exécutif de la fondation Rakizuam (« pensée », en mapudungun) assure à Mediapart être en plein accord avec la logique de l’État plurinational, mais reconnaît qu’une de ses principales appréhensions concerne la justice autochtone. « La justice est l’un des pouvoirs de l’État, d’où son importance et la nécessité de travailler non seulement sur le plan politique, par la reconnaissance, mais aussi d’un point de vue technique juridique. Il y a là un vide », affirme-t-il.

Richard Caifal votera donc contre le texte. Membre d’Evópoli, un parti de droite qui milite pour le rejet, il se dit préoccupé par le fait qu’il n’existe pas de système judiciaire au sein du monde des Mapuches. « Dans le monde aymara ou rapa nui, il n’y a pas non plus de système judiciaire en place. Ce qui existe, c’est la coutume ou la tradition, et cette idée est également reflétée dans la “loi indigène” de 1993, qui établit une procédure spéciale. Mais la proposition constitutionnelle n’établit pas qui est concerné », poursuit celui qui appartient à la communauté des Mapuches Ricardo Cayín, au sud de Temuco. Caifal affirme que de nombreux Mapuches partagent son sentiment et que le rejet rencontre un écho favorable au sein des communautés.

La chercheuse Natalia Caniguan reconnaît que, bien qu’il existe un groupe de Mapuches très actif travaillant en faveur du « oui », il existe également d’autres secteurs qui ont décidé de ne pas soutenir la nouvelle Constitution. Les uns sont liés à certaines églises évangéliques aux vues plus conservatrices qui s’opposent, par exemple, à la reconnaissance des droits reproductifs et sexuels ; les autres, plus extrémistes, se sont exclus du processus constituant pour ne pas négocier ou se lier avec l’État du Chili.

Luiz Jiménez, ancien membre de la Constituante au titre des sièges réservés au peuple aymara, est actuellement engagé dans des réunions et des campagnes de porte-à-porte dans le nord du pays pour diffuser le texte qu’il a contribué à rédiger. Il dit avoir rencontré des personnes qui pensaient voter pour le rejet sur la foi des fausses informations circulant sur les réseaux sociaux et dans certains médias.

« Lorsque nous sommes arrivés, par exemple, circulait la rumeur selon laquelle on allait supprimer les résidences secondaires et que ne seraient pas respectés les contrats pour l’eau. Il y avait aussi l’idée que la plurinationalité allait être appliquée aux peuples autochtones d’autres pays. Mais en faisant le tour des communautés et en dissipant ces doutes, les gens ont tendance à soutenir le vote “pour” [« Apruebo »]. »

L’ancien membre de la Constituante originaire de la ville d’Arica, à l’extrême nord du Chili, affirme que dans sa région, le contexte est très différent de celui du sud du pays, et que les peuples autochtones apprécient avant tout que le nouveau texte comprenne des articles qui protègent la nature, l’eau en tant que droit fondamental, et que le « bien vivre » soit considéré comme l’axe central du nouveau modèle constitutionnel. Cela s’ajoute à la régionalisation et au traitement différencié des territoires ruraux et extrêmes, ainsi qu’à la consécration d’une série de droits collectifs que le peuple aymara réclame depuis longtemps.

À quelques kilomètres plus au sud, à San Pedro de Atacama, Manuel Salvatierra, président du Conseil des peuples atacameños, explique à Mediapart les raisons pour lesquelles ils ont décidé de soutenir l’« Apruebo ». Le samedi 20 août, les 18 communautés qui composent son organisation, et qui sont situées dans le grand bassin du désert de sel d’Atacama, se sont réunies pour analyser les questions transversales qui affectent négativement et positivement les peuples autochtones dans la proposition constitutionnelle.

Grâce à la présence d’avocats experts dans différents domaines et de l’ancienne membre de la Constituante, Cristina Dorador, la communauté a pu poser des questions, lever des doutes et débattre pendant des heures avant de se prononcer.

En cas de victoire du « oui », l’État plurinational reconnaîtra des droits à onze peuples indigènes et à d’autres qui pourront être reconnus sous la forme établie par la loi. Pour la première fois, le peuple Selk’nam, et les descendants de ses survivants, comme José Luis Vásquez Chogue, seraient reconnus comme un peuple préexistant à l’État chilien.

Yasna Mussa


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