Grande-Bretagne : « L’effet « nouveau roi » ne mettra pas fin aux conflits sociaux »

vendredi 23 septembre 2022.
 

Difficile de passer à côté du matraquage médiatique autour de la mort de la reine Élisabeth II. Nous publions à ce propos une contribution de Martin Clarke, du groupe Anticapitalist Resistance.

Ciaran Jenkins, le correspondant écossais de Channel 4, a mis le doigt sur le problème : « Maintenant, le vaste appareil d’État va entrer en action dans le cadre d’un plan longuement répété ». Et c’est ce qui s’est passé, avec des reportages télévisés et radiophoniques sur tous les détails imaginables de la vie de la reine Élisabeth, des pages et des images en nombre incalculable dans tous les journaux et l’hypothèse que chaque individu, chaque institution, partage la douleur de la famille royale alors que commence le long cortège funéraire depuis l’Écosse jusqu’au lieu de sépulture.

La bataille contre la hausse des prix reprendra

L’utilisation de la famille royale pour stimuler le patriotisme et le nationalisme est un véritable cadeau [pour les gouvernants]. Nous avons un couronnement à venir, plus de nombreux autres événements centrés sur Charles et sa famille, dont l’investiture de William comme prince de Galles, un événement énorme pour l’establishment.

Mais l’effet « nouveau roi », aussi puissant soit-il, ne résoudra pas les dilemmes économiques du gouvernement et ne mettra pas fin aux conflits sociaux qu’il suscite. La proposition avancée par Liz Truss pour résoudre la crise des prix de l’énergie est que le gouvernement donne aux compagnies d’énergie environ 150 milliards de livres sterling, qu’il récupèrerai ensuite par le biais des impôts. Ce qui va frapper très durement la classe ouvrière et certaines personnes de la classe moyenne. Et cela ne changera rien pour cette énorme partie de la classe ouvrière, qui se compte maintenant en millions, et qui souffre déjà de la pauvreté alimentaire et énergétique.

Un nouvel hymne national ne sera pas d’une grande utilité lorsque la bataille contre la hausse des prix reprendra. Alors que le gouvernement a temporairement gelé les augmentations de loyer, c’est un autre coup dur concernant les prix qui va finir par s’abattre sur les locataires privés, faisant des dizaines de milliers de sans-abri.

Un blogueur de gauche a rapporté le jour de la mort d’Elizabeth Windsor que les bars et restaurants du centre de Londres étaient pleins du bruit habituel des bavardages et des rires de tout jeudi soir. Les gens aisés, au moins, ne prenaient pas le deuil trop au sérieux.

Des Tories réactionnaires

Mais cette mobilisation réactionnaire tente de tout balayer devant elle. À tel point que les syndicats qui luttent pour un salaire décent, comme le RMT et le CWU, se sont sentis obligés d’annuler les grèves d’une journée prévues. La classe dirigeante doit lever son verre pour remercier tout spécialement la monarque défunte de lui avoir accordé un répit dans la tempête sur les prix de l’énergie et dans la vague de grèves.

Pour la nouvelle Première ministre conservatrice, le moment ne pouvait être mieux choisi, lui permettant de jouer un rôle de premier plan dans le deuil de la nation, constamment à l’antenne, avec un air solennel, sous le regard appréciateur de tous les élus à la chambre des Communes, quel que soit leur parti. Cela ne durera pas, mais c’est une rampe de lancement utile pour la vague de répression du mouvement ouvrier et des droits démocratiques qui s’annonce, le tout enveloppé dans un nationalisme ultra-patriotique.

Ce nouveau gouvernement conservateur est conçu pour poursuivre la guerre de classe réactionnaire sur tous les fronts, un super-­Thatcherisme en action, conçu pour faire reculer les syndicats, écraser les écologistes, rappeler les médias à l’ordre et embarquer l’ensemble de la population dans une nouvelle vague de nationalisme et de militarisme réactionnaires. Ce qui est prévu peut être compris à partir de la composition du cabinet de Truss.

La pièce maîtresse du nouvel agenda législatif sera un projet de loi permettant au gouvernement d’interdire les grèves dans le secteur public — parmi le personnel des chemins de fer, les postierEs, les enseignantEs, les fonctionnaires des administrations nationales et locales ainsi que le NHS (service de santé). Il s’agira du texte législatif le plus contesté depuis la loi anti-LGBT+ des années 1980 (« Section 28 »).

« Britannia Unchained »

Liz Truss et le futur chancelier [ministre des Finances] Kwame Kwarteng font tous deux partie des cinq auteurs du livre Britannia Unchained, publié en 2012, dont la thèse centrale est que les Britanniques ne travaillent pas assez dur et ne comprennent pas le pouvoir libérateur du travail acharné. Selon les auteurs, les nouveaux « maîtres de l’univers » ne sont pas les banquiers milliardaires dont parle la gauche, mais les innovateurs industriels et les ingénieurs en logiciels que l’Asie de l’Est possède en abondance.

Les cinq auteurs du livre ont été accusés par de nombreux commentateurs de vouloir mettre en pratique les idées de la théoricienne de la droite radicale américaine Ayn Rand. Ayn Rand pensait que l’État n’a pas le droit de taxer qui que ce soit, que le principal ennemi de la raison est l’altruisme, que les individus ne doivent rien à personne et que l’altruisme, l’empathie pour les autres, mine le capitalisme moderne. Cet ensemble d’idées avait pour contradiction que Rand croyait au rôle de l’État en tant que fournisseur d’une armée et d’une police pour défendre les droits des « citoyenEs ». Ce qui, logiquement, signifie au moins une certaine taxation.

Les gens qui sympathisent avec ses idées aujourd’hui, du moins ceux des partis gouvernementaux pro-capitalistes, comprennent que les idées de Rand ne fonctionneront pas, parce que le capitalisme a besoin d’un appareil d’État plus large que la police ou l’armée pour étayer et soutenir les profits capitalistes. Qui donne les milliards aux banques en faillite, comme cela s’est produit en 2008 ? Le gouvernement bien sûr — en Grande-Bretagne et aux États-Unis en particulier. Qui recycle les revenus des travailleurEs dans les profits du complexe militaro-industriel ? Toujours la même réponse.

Ainsi, les politiciens contemporains qui sympathisent avec les grandes lignes de la politique d’Ayn Rand, à savoir que la richesse et la promotion sociale sont le résultat de l’effort individuel et que, par conséquent, les plus méritants arrivent en tête, comprennent que le capitalisme a besoin d’un État. Ils veulent un petit État avec un minimum de prestations sociales, bien sûr. Mais pour le faire respecter, il faut des forces de police, des tribunaux et finalement une armée. Si les dépenses pour l’armée et la police sont maintenues, les seuls éléments de l’État moderne qui peuvent être réduits de manière significative sont ceux qui concernent les prestations sociales, comme la santé, l’éducation, les soins pour les personnes âgées, les allocations de chômage et d’invalidité. C’est sur ce terrain que l’on va se battre au cours de la période à venir en Grande-Bretagne.

Le tout dans un contexte où s’ajoute le gigantesque spectacle des couronnements, investitures, discours, inaugurations et déambulations. Les publications comme Majesty et Royal Family vont voir leurs bénéfices exploser.

Guy Debord, l’auteur de la Société du spectacle, se serait amusé à expliquer la pléthore d’images et d’événements royaux qui se présentent à nous, alors que la reine défunte est presque déifiée et que son fils devient le symbole de l’autorité, du patronage et de la déférence. Comme il l’a écrit :

« Le spectacle se représente à la fois comme la société même, comme une partie de la société, et comme instrument d’unification. En tant que partie de la société, il est expressément le secteur qui concentre tout regard et toute conscience. Du fait même que ce secteur est séparé, il est le lieu du regard abusé et de la fausse conscience ; et l’unification qu’il accomplit n’est rien d’autre qu’un langage officiel de la séparation généralisée. »

Martin Clarke

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