Chili : défaite de Boric au référendum constitutionnel

dimanche 18 septembre 2022.
 

Dimanche 4 sep­tem­bre, la direc­tion des Movimientos Sociales por el Apruebo — mili­tants et repré­sen­tants sou­te­nant l’Apruebo, l’appro­ba­tion » de la nou­velle cons­ti­tu­tion — s’est réunie au siège du syn­di­cat Bata dans le centre-ville de Santiago, à quel­ques pas de l’emblé­ma­ti­que Plaza Dignidad (un site cru­cial lors du sou­lè­ve­ment d’octo­bre 2019). Après 18 heures, les résul­tats ont com­mencé à tomber pour le réfé­ren­dum natio­nal visant à approu­ver ou à reje­ter le nou­veau texte cons­ti­tu­tion­nel, rédigé en un an par la Convention cons­ti­tu­tion­nelle, l’organe élu au suf­frage uni­ver­sel en mai 2021.

On a rapi­de­ment com­pris que le Rechazo (rejet) allait l’empor­ter, mais per­sonne n’avait anti­cipé l’ampleur de la défaite. Après des mois de mobi­li­sa­tions, il a fallu faire face et accep­ter la vic­toire des forces conser­va­tri­ces contre le projet de cons­ti­tu­tion, qui ne cher­chait rien de moins que de mettre fin à la cons­ti­tu­tion de 1980, écrite pen­dant la dic­ta­ture d’Augusto Pinochet.

Le résul­tat a été dévas­ta­teur : 61,88 % de Rechazo et 38,12 % d’Apruebo, avec la par­ti­ci­pa­tion de plus de 13 mil­lions d’électeurs (85,81 % du regis­tre électoral), soit 4,5 mil­lions de plus que lors du second tour des élections pré­si­den­tiel­les de décem­bre 2021, une hausse de la par­ti­ci­pa­tion due à l’adop­tion d’un sys­tème de vote obli­ga­toire avec ins­crip­tion auto­ma­ti­que.

Dans la région de Magallanes, dans l’extrême sud, où réside la famille du pré­si­dent Gabriel Boric, Rechazo a obtenu 60 % des voix — une défaite per­son­nelle pour le jeune chef d’État de gauche. Dans le nord, Apruebo n’a pas atteint 35 %, et dans la région d’Araucanía, où vivent la plu­part des com­mu­nau­tés indi­gè­nes mapu­ches, le rejet a atteint 74 %. Pas même dans les gran­des villes de Santiago ou de Valparaíso, zones urbai­nes tra­di­tion­nel­le­ment plus ouver­tes au chan­ge­ment et où plu­sieurs maires de gauche (y com­pris des com­mu­nis­tes) ont été récem­ment élus, une majo­rité n’a voté en faveur de la nou­velle cons­ti­tu­tion. L’Apruebo n’a obtenu une majo­rité que dans huit des 346 muni­ci­pa­li­tés du pays.

La droite et les cen­tris­tes oppo­sés au texte sont immé­dia­te­ment appa­rus à la télé­vi­sion et sur les médias sociaux pour célé­brer leur vic­toire dans les rues et sur les places des quar­tiers aisés de Santiago. L’extrême droite a également exprimé son bon­heur. Divers diri­geants conser­va­teurs sem­blaient étonnés de la marge de leur vic­toire — une scène impro­ba­ble il y a tout juste deux ans, lors­que le Chili, « oasis » et « vitrine » du néo­li­bé­ra­lisme, sem­blait pren­dre un tour­nant his­to­ri­que avec la rébel­lion d’octo­bre.

L’élite néo­li­bé­rale a fait diver­ses ten­ta­ti­ves pour col­ma­ter les fis­su­res du modèle néo­li­bé­ral et remé­dier à la crise de légi­ti­mité du sys­tème poli­ti­que, qui a failli conduire à la des­ti­tu­tion du pré­si­dent mul­ti­mil­lion­naire Sebastián Piñera. Ce fut le cas le 15 novem­bre 2019, lors­que pres­que tous les partis par­le­men­tai­res ont signé l’Accord pour la paix sociale et une nou­velle Constitution. Cela a divisé le Frente Amplio (ou « Front large », une coa­li­tion de gauche créée en 2017) entre ceux qui consi­dé­raient que l’accord cons­ti­tuait une ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion néces­saire des luttes en cours et ceux qui y voyaient un moyen de les démo­bi­li­ser. Les grou­pes dans la rue ont décrit l’accord comme le pro­duit d’un nou­veau com­plot concocté par les partis poli­ti­ques, entre autres parce qu’il a été célé­bré alors que le mou­ve­ment popu­laire fai­sait face à une répres­sion cri­mi­nelle de la part de l’État chi­lien. Ce qui est cer­tain, c’est que le 19 décem­bre 2021, l’un des conseillers de l’accord, Gabriel Boric, du Frente Amplio, est élu pré­si­dent du Chili, à la tête d’une coa­li­tion de son groupe avec le Parti com­mu­niste. Cela a semblé confir­mer, dans les urnes, la volonté sociale de chan­ge­ment, bien que ce soit sur la base d’un pro­gramme très modéré et contre José Antonio Kast, un can­di­dat d’extrême droite qui a tra­duit la demande d’ordre avec l’accent raciste et xéno­phobe d’une partie impor­tante de la popu­la­tion.

Cela aurait dû tirer la son­nette d’alarme, mais une grande partie de la gauche n’a pas semblé l’enten­dre. Auparavant, les puis­sants résul­tats du plé­bis­cite de 2020 avaient indi­qué de larges pos­si­bi­li­tés de trans­for­ma­tion socio­po­li­ti­que (78 % des électeurs ont approuvé l’idée d’une nou­velle charte pour mettre fin à la cons­ti­tu­tion de 1980), malgré les limi­tes intrin­sè­ques d’une assem­blée convo­quée, en partie, par les anciens partis du Congrès. D’autres signaux d’alarme auraient également dû se déclen­cher à l’époque : près de la moitié des Chiliens n’ont pas pris la peine de voter, sur­tout dans les quar­tiers popu­lai­res. Mais l’énergie d’octo­bre sem­blait encore suf­fi­sam­ment pré­sente pour pou­voir s’impo­ser à la Convention cons­ti­tu­tion­nelle, avec la parité hommes-femmes, les sièges réser­vés aux peu­ples indi­gè­nes, les repré­sen­tants indé­pen­dants et la pré­sence des mou­ve­ments fémi­nis­tes et sociaux.

La nou­velle cons­ti­tu­tion n’allait pas en soi déman­te­ler le néo­li­bé­ra­lisme, mais elle ouvrait de nou­veaux espa­ces à la lutte des clas­ses au Chili.

Le fait que la droite se soit retrou­vée accu­lée a permis au congrès d’obte­nir un texte cons­ti­tu­tion­nel pro­gres­siste et très avancé à bien des égards : la fin de l’État sub­si­diaire néo­li­bé­ral et la cons­truc­tion d’un « État de droit social et démo­cra­ti­que », soli­daire et avec une parité de repré­sen­ta­tion, reconnais­sant de mul­ti­ples droits fon­da­men­taux, y com­pris des formes de démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive, et avec un véri­ta­ble espace pour le bien commun et la lutte contre la crise cli­ma­ti­que. Avec une forte pré­sence de reven­di­ca­tions fémi­nis­tes — comme la reconnais­sance du tra­vail domes­ti­que et de soins — le texte ins­taure en outre un sys­tème de sécu­rité sociale publi­que, la dépri­va­ti­sa­tion de l’eau, la fin du Sénat en faveur d’une « Chambre des régions », et la créa­tion (enfin) d’un État plu­ri­na­tio­nal, inté­grant une partie des reven­di­ca­tions his­to­ri­ques du peuple mapu­che.

Les droits du tra­vail ont également connu des avan­cées nota­bles, avec la négo­cia­tion col­lec­tive au niveau de l’indus­trie, le droit de grève effec­tif et les droits syn­di­caux exclu­sifs — c’est-à-dire une révo­lu­tion coper­ni­cienne par rap­port à l’actuelle régle­men­ta­tion du tra­vail chi­lienne, qui a sus­cité le méconten­te­ment des gran­des entre­pri­ses loca­les et trans­na­tio­na­les. Évidemment, la nou­velle cons­ti­tu­tion n’allait pas en soi déman­te­ler le néo­li­bé­ra­lisme, mais elle a ouvert de nou­vel­les arènes de lutte de classe au Chili. Alors com­ment expli­quer que la grande majo­rité des Chiliens aient tourné le dos à ce projet de cons­ti­tu­tion, consi­déré comme une avan­cée his­to­ri­que par de nom­breu­ses orga­ni­sa­tions socia­les ?

Les raisons d’une défaite

Il convient de sou­li­gner la capa­cité des élites néo­li­bé­ra­les à ras­sem­bler leurs forces pré­ci­sé­ment dans le domaine où les luttes socia­les sem­blaient avoir mis en échec leur modèle socio-économique : les droits sociaux ins­crits dans la nou­velle cons­ti­tu­tion dans des domai­nes tels que la santé, le loge­ment, l’accès à l’eau, l’éducation et le tra­vail.

À cette fin, les forces de Rechazo ont dif­fusé une série de men­son­ges éhontés. Par le biais d’une cam­pa­gne de plu­sieurs mil­lions de dol­lars sur les médias sociaux, et en uti­li­sant leur quasi-mono­pole sur les médias, ils ont avancé des absur­di­tés du type sui­vant : « Le citoyen sera obligé de se faire soi­gner dans un sys­tème de santé publi­que débordé » ; « La liberté d’ensei­gne­ment sera sup­pri­mée » ; « Les pres­ta­tions de l’État pous­se­ront les tra­vailleurs à opter pour le chô­mage » ; « Les loge­ments seront expro­priés et la pro­priété privée sera abolie » ; « Le prin­cipe d’égalité devant la loi sera effacé pour favo­ri­ser les indi­gè­nes et les homo­sexuels, entre autres mino­ri­tés » ; « La liberté reli­gieuse sera sup­pri­mée et les com­mu­nau­tés évangéliques seront per­sé­cu­tées » ; « L’avor­te­ment sera auto­risé à n’importe quel stade de la gros­sesse » ; « Tous les contrô­les aux fron­tiè­res seront levés » ; « La loi pro­té­gera les cri­mi­nels au détri­ment des vic­ti­mes » ; « Les économies des tra­vailleurs seront confis­quées et les héri­ta­ges blo­qués » ; « Le nom du pays et ses emblè­mes natio­naux seront modi­fiés » ; pour ne citer que quel­ques-unes des décla­ra­tions appa­rues à la télé­vi­sion de base.

Plus que la variété des men­son­ges de la cam­pa­gne Rechazo, il est impor­tant de sou­li­gner la capa­cité d’orga­ni­sa­tion stra­té­gi­que de la droite.

Plus que la variété des men­son­ges de la cam­pa­gne Rechazo, il est impor­tant de sou­li­gner la capa­cité d’orga­ni­sa­tion stra­té­gi­que de la droite. Ils ont même habi­le­ment décidé de mener une cam­pa­gne qui affir­mait être en faveur d’un chan­ge­ment cons­ti­tu­tion­nel, mais pas en faveur de cette nou­velle cons­ti­tu­tion, et ont ainsi trouvé des alliés dans ceux qui se trou­vent au centre du spec­tre poli­ti­que et dans les par­ti­sans de l’ancienne coa­li­tion Concertación.

À ce stade, on peut appré­cier l’impor­tante dif­fé­rence avec les forces poli­ti­ques de l’Apruebo : bien que la gauche par­le­men­taire et les mou­ve­ments sociaux anti-néo­li­bé­raux aient obtenu la majo­rité des sièges de la Convention cons­ti­tu­tion­nelle, dès le moment inau­gu­ral de la sélec­tion du bureau exé­cu­tif, des dif­fé­ren­ces sont appa­rues, et cer­tains cons­ti­tuants ont semblé suivre les che­mins et les cou­tu­mes du Congrès chi­lien dis­gra­cié. Les mem­bres indé­pen­dants ont ren­contré divers obs­ta­cles, et un scan­dale s’est soldé par la démis­sion d’un électeur. Pendant ce temps, les forces du centre gauche se sont mon­trées réti­cen­tes à suivre les prin­ci­pes réfor­ma­teurs des électeurs liés aux mobi­li­sa­tions socia­les, un obs­ta­cle ren­forcé par l’impo­si­tion d’un quorum de deux tiers pour approu­ver chaque arti­cle.

Dans de nom­breux cas, et malgré de nom­breu­ses enquê­tes et ini­tia­ti­ves de par­ti­ci­pa­tion, la conven­tion a semblé trop éloignée des préoc­cu­pa­tions immé­dia­tes des gens ordi­nai­res et de leurs inté­rêts, une ten­dance qui s’est pour­sui­vie au cours des der­niè­res semai­nes de la conven­tion. En même temps, il faut sou­li­gner que diver­ses assem­blées — les réu­nions ter­ri­to­ria­les et de jeunes et les ten­ta­ti­ves de tra­vail col­lec­tif de quar­tier qui ont émergé avec force au cours du mois d’octo­bre — se sont pro­gres­si­ve­ment désar­ti­cu­lées, tant sous l’effet des poli­ti­ques ins­ti­tu­tion­nel­les et électorales que de la répres­sion conti­nue et, ensuite, sous le poids de la pan­dé­mie et de la crise économique.

D’autre part, le gou­ver­ne­ment de Gabriel Boric, malgré les pro­mes­ses d’un pro­gramme de réfor­mes pro­gres­si­ves, s’est rapi­de­ment retrouvé lui aussi empê­tré dans un procès public. Lorsqu’une déci­sion poli­ti­que était néces­saire pour faire avan­cer le chan­ge­ment cons­ti­tu­tion­nel, l’admi­nis­tra­tion a inau­guré un mandat impré­cis en cher­chant des allian­ces « prag­ma­ti­ques » avec l’ancienne coa­li­tion Concertación au Congrès — où elle est mino­ri­taire — afin de gou­ver­ner.

À plu­sieurs repri­ses, le véri­ta­ble patron du cabi­net de l’admi­nis­tra­tion, le minis­tre des finan­ces Mario Marcel — ancien pré­si­dent de la Banque cen­trale et mili­tant du bloc social-libé­ral au pou­voir depuis 1990 — a fait sentir sa pré­sence. La minis­tre de l’Intérieur, Izkia Siches, a également fait l’objet de cri­ti­ques. Au début de son mandat, elle a briè­ve­ment cher­ché le dia­lo­gue avec les com­mu­nau­tés mapu­ches en conflit, pour fina­le­ment sou­te­nir la mili­ta­ri­sa­tion de la région et l’empri­son­ne­ment d’Héctor Llaitul, chef de l’orga­ni­sa­tion armée Coordinadora Arauco-Malleco.

On peut dire la même chose des pri­son­niers poli­ti­ques de la rébel­lion d’octo­bre qui conti­nuent de purger leur peine parce que l’exé­cu­tif n’arrive pas à ras­sem­bler la volonté de pro­po­ser une grâce géné­rale. Il y a eu des gains concrets dans l’accès aux soins de santé publics, mais le manque de pro­grès sur les ques­tions cen­tra­les, comme sa timide réforme fis­cale, ne fait rien pour rem­plir son mandat de chan­ge­ment.

Les diver­gen­ces entre les tra­vailleurs, le gou­ver­ne­ment et le pro­ces­sus cons­ti­tu­tion­nel sont évidentes au vu des résul­tats du 4 sep­tem­bre.

Le pro­gres­sisme de l’admi­nis­tra­tion ne semble pas dis­posé à affron­ter le pou­voir économique réel — ni à mobi­li­ser sa base sociale. Des seg­ments impor­tants qui avaient voté pour Boric ont com­mencé à le condam­ner ouver­te­ment. Dans le même temps, la droite a uti­lisé sa machine média­ti­que bien huilée pour lier l’impo­pu­la­rité crois­sante du gou­ver­ne­ment au texte de la nou­velle cons­ti­tu­tion. Les jour­na­lis­tes ont cou­vert à pro­fu­sion la cible crois­sante du crime orga­nisé et du trafic de drogue, l’asso­ciant aux situa­tions cho­quan­tes des migrants dans le nord du pays. Le nouvel électorat, sti­mulé par le vote obli­ga­toire, s’est joint direc­te­ment aux seg­ments désa­bu­sés de la classe ouvrière pour consom­mer le large triom­phe de Rechazo.

Comme le note l’his­to­rien Igor Goicovic, les diver­gen­ces entre les tra­vailleurs, le gou­ver­ne­ment et le pro­ces­sus cons­ti­tu­tion­nel sont évidentes au vu des résul­tats du 4 sep­tem­bre. Les nom­breu­ses ques­tions mises en avant par les mou­ve­ments sociaux au cours de la Convention cons­ti­tu­tion­nelle sur le fémi­nisme, l’envi­ron­ne­men­ta­lisme ou la plu­ri­na­tio­na­lité n’ont pas entraîné une plus grande cohé­sion au sein de l’électorat popu­laire, mais ont plutôt sus­cité des doutes quant au manque de force sociale pour tra­ver­ser le pays « par le bas » et débat­tre de ces ques­tions :

Dans toutes les muni­ci­pa­li­tés que les écologistes ont qua­li­fiées de « zones de sacri­fice », l’option Rechazo a pré­valu avec une large marge... Il n’en a guère été autre­ment dans les muni­ci­pa­li­tés des régions du Biobío et de l’Araucanía (Macrozona Sur), orien­tées notam­ment vers la syl­vi­culture, où le conflit entre les entre­pri­ses fores­tiè­res et les com­mu­nau­tés indi­gè­nes a pris des dimen­sions de plus en plus impor­tan­tes. . . . Si l’on observe le com­por­te­ment électoral des muni­ci­pa­li­tés de la région métro­po­li­taine [de Santiago], on cons­tate une ten­dance his­to­ri­que : les muni­ci­pa­li­tés aux reve­nus les plus élevés (Las Condes, Lo Barnechea et Vitacura) votent en masse pour l’option Rechazo. Les muni­ci­pa­li­tés qui ten­dent à être de classe moyenne, comme La Reina, Providencia, Macul, Peñalolén et La Florida, rejoi­gnent également Rechazo, à l’excep­tion de muni­ci­pa­li­tés comme Maipú et Ñuñoa. Alors que pra­ti­que­ment toutes les muni­ci­pa­li­tés ouvriè­res (parmi elles, Recoleta, El Bosque, La Pintana, La Granja, Lo Espejo, Cerro Navia, Renca, et Independencia) qui ont his­to­ri­que­ment été des bas­tions de la gauche ont également opté pour Rechazo.

Et maintenant ?

Le seg­ment de la classe ouvrière qui, malgré tout ce qui a été expli­qué ci-dessus, a voté Apruebo aussi réso­lu­ment lors du plé­bis­cite du 4 sep­tem­bre que lors de celui de 2020 se débat aujourd’hui avec un sen­ti­ment de catas­tro­phe à tra­vers lequel il peut ima­gi­ner un dilemme pro­fond et anta­go­niste avec le modèle néo­li­bé­ral chi­lien. Il est clair que la matu­ra­tion de cet anta­go­nisme ne trou­vera pas de sou­tien dans le gou­ver­ne­ment actuel.

Dans son dis­cours de diman­che der­nier, Boric a appelé à l’unité natio­nale et à lais­ser tomber les « maxi­ma­lis­mes, la vio­lence et l’into­lé­rance », annon­çant un chan­ge­ment rapide de son cabi­net. Il réor­ga­ni­sera son cabi­net en fonc­tion de la tra­jec­toire vers le centre que nous avons décrite, ouvrant le palais de la Moneda aux forces de l’ancienne coa­li­tion Concertación, ce qui pour­rait mettre davan­tage à mal son alliance avec le parti com­mu­niste. Ce cabi­net sera conçu pour faire passer sa réforme fis­cale sous la forme d’un accord fiscal qui répond de manière pré­vi­si­ble aux prio­ri­tés immé­dia­tes de survie de l’admi­nis­tra­tion — c’est-à-dire atti­rer rapi­de­ment des capi­taux en accom­mo­dant les entre­pri­ses ren­ta­bles et en sol­li­ci­tant des prêts pour cou­vrir les coûts publics afin d’aider à conte­nir les mobi­li­sa­tions poten­tiel­les.

En ce qui concerne la cons­ti­tu­tion, les partis ont confirmé qu’ils pour­sui­vront un nou­veau calen­drier, qui sera centré sur le Congrès — annon­çant le retour de la poli­ti­que de consen­sus qui a été reje­tée depuis 2019 et met­tant à plat la nou­velle cons­ti­tu­tion trans­for­ma­tion­nelle. Le 4 sep­tem­bre, face aux résul­tats du plé­bis­cite, le com­man­de­ment des Movimientos Sociales por el Apruebo a conclu :

Il est essen­tiel que les seg­ments que nous avons orga­ni­sés pour rendre pos­si­ble ce pro­ces­sus assu­ment également la tâche qui reste tracée pour nous. Il n’y a pas de retour en arrière pos­si­ble. Notre peuple a pris une déci­sion indis­cu­ta­ble, et la tâche de faire tomber la cons­ti­tu­tion de Pinochet et le modèle néo­li­bé­ral conti­nue d’être à l’ordre du jour. Dans ce pro­ces­sus, l’appren­tis­sage que nous avons fait sera fon­da­men­tal, car les mou­ve­ments sociaux ne sont plus ce qu’ils étaient avant d’écrire cette cons­ti­tu­tion.

Contributeurs

Frank Gaudichaud est doc­teur en scien­ces poli­ti­ques et pro­fes­seur d’études latino-amé­ri­cai­nes à l’uni­ver­sité Toulouse-Jean Jaurès. Il est membre du comité de rédac­tion de Contre-Temps à Paris et contri­bue à Jacobin.

Miguel Urrutia est socio­lo­gue à la Faculté des scien­ces socia­les de l’Université du Chili et membre de la gauche liber­taire.

Alex Caring-Lobel est rédac­teur en chef adjoint à Jacobin.


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