La marée noire montante en Italie, une contre-révolution rampante

vendredi 14 octobre 2022.
 

Plus de trente ans de marée noire

La crainte d’un « retour du fascisme » se manifeste à intervalles réguliers dans le pays qui l’a vu naître il y a un siècle. La presse internationale se focalise depuis quelques semaines sur Giorgia Meloni et son mouvement, oubliant au passage qu’elle n’est pas une nouvelle venue dans la coalition de Silvio Berlusconi, qui l’a nommée ministre de la Jeunesse en 2008, et renforçant l’idée qu’elle est la seule nouvelle venue dans le champ relativement large des partis qui se disent « antisystèmes » ; omettant également de souligner les liens durables de la Lega de Matteo Salvini avec les néofascistes, leur « capitaine », des élections de 2018. À l’époque, la présence de Matteo Salvini dans les rangs de la coalition de droite, aux côtés du parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia, et des Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, réactivait les mêmes craintes ; d’autant que les 80% d’Italien·nes interrogé·es affirmaient alors la nécessité d’un « homme fort » pour sortir de la crise et que celleux qui pensaient que la démocratie était la meilleure forme de gouvernement possible atteignaient leur plus bas niveau depuis 2008 (62%, soit moins 10 points de pourcentage en dix ans). [Une proportion qui a légèrement augmenté aujourd’hui pour atteindre environ 70%, même si la demande d’un leader fort reste majoritaire (environ 59% des Italien·nes interrogés) [8].

Le parti de Silvio Berlusconi, qui avait été le moteur de la coalition de droite avant 2018 a lentement disparu. Mais le changement du rapport de force en son sein est un changement de degré, et non de nature, de la coalition inventée par Silvio Berlusconi il y a plus d’un quart de siècle, unissant la droite conservatrice et réactionnaire, la « nouvelle » extrême droite et les organisations néo ou post-fascistes. Après tout, Berlusconi n’avait-il pas lui-même été « comparé » à Benito Mussolini lors de ses différents mandats de Premier ministre italien (1994, 2001, 2008) ? L’arrivée dans son premier gouvernement en 1994 de cinq ministres issus du Mouvement social italien n’était qu’une des étapes conduisant à l’élargissement de l’horizon de légitimité politique d’un parti héritier direct du fascisme.

Silvio Berlusconi a été le paladin victorieux d’une marée noire dans un pays où le fascisme n’a jamais disparu et parce qu’il s’est inscrit peu à peu sur le territoire social, politique, culturel, mental de l’Italie, de sorte qu’il s’est « inséré dans les entrailles brutalement égoïstes » de sa société. Un fascisme miasmatique, en quelque sorte, qui exhale l’air vicié (la mal aria) d’une culture qui a survécu au régime mis en place par Mussolini [9]. Frankenstein-Berlusconi a réussi à réunir en 1994 le Mouvement social italien (MSI) de Gianfranco Fini, la plus ancienne organisation néofasciste d’Europe, et la Lega Nord d’Umberto Bossi, un mouvement au régionalisme identitaire exacerbé dont l’influence s’est accrue depuis le début des années 1980 ; en 2000, à réunir tous les partis de droite dans la Casa delle Libertà (Maison des libertés), puis un temps en 2009 à fusionner les héritiers du MSI et de la droite conservatrice dans un seul Popolo della libertà (Peuple de la liberté).

Le style de Berlusconi est une forme réussie d’« hybridation » qui combine « les anciennes traditions avec les nouvelles poussées modernisatrices de la décennie précédente » [10] Fondé à la fois sur la recherche d’un « consentement populaire actif » et sur la coercition (la restriction et la répression subséquentes des libertés collectives), le berlusconisme a mobilisé un puissant appareil culturel de légitimation idéologique qui a réussi à imposer son hégémonie politique. Il s’est appuyé sur un réseau particulièrement efficace de chaînes de télévision publiques (les trois chaînes de la RAI) et privées (les trois chaînes appartenant à Silvio Berlusconi, Canale 5, Rete 4, Italia Uno), de quotidiens (comme Il Giornale, Il Foglio, Libero) et de magazines. Ces instruments de plus en plus importants se conjuguent avec la crise de légitimité des organisations politiques traditionnelles prises dans la tourmente des scandales de corruption de Tangentopoli, processus qui va accélérer les phénomènes d’éloignement des traditions sociales et culturelles auxquelles la population était attachée jusqu’alors, mais aussi des liens sociaux auxquels elle pouvait s’appuyer et se référer.

Le révisionnisme historique accompagne de plus en plus sûrement le regroupement des Berlusconi. À tel point qu’en 2003, Fabrizio Cicchitto, ancien député du Parti socialiste, affirmait que La Casa delle libertà était « placée dans le courant du révisionnisme historique ». L’anticommunisme et avec lui l’anti-antifascisme constituaient le ciment idéologique, mais aussi ce que Francesco Biscione définissait la même année comme le « sommerso della Repubblica », c’est-à-dire la persistance d’une culture anti-démocratique réactionnaire, véritable terreau de la coalition Berlusconi. A cette offensive historiographique s’ajoutent les répertoires d’action politique mobilisés par la droite pour effacer de la mémoire et de l’histoire « les méfaits et les infamies du fascisme ». Dans le pays de Silvio Berlusconi, l’utilisation publique et politique de l’histoire n’a jamais été aussi « sans scrupules » : on cherche constamment à opposer antifascisme et démocratie ; où la démocratie devient synonyme de libéralisme et où les frontières de l’anti-démocratie s’étendent à tout ce qui ne peut être associé à la vision libérale du monde. Ainsi, comme l’a souligné l’historien Pier Paolo Poggi, le « point de jonction entre le révisionnisme et les cultures politiques dominantes […] se trouve précisément dans le jugement porté sur le capitalisme » et la dépolitisation nécessaire à » »l’asservissement de milliards d’êtres humains » [11].

Le discours de cette droite était et reste pauvre, mais efficace. Elle valorise la société civile dans son ensemble, comme le seul filtre pour « protéger la communauté nationale », qu’elle place au-dessus et au-delà des divisions de classe et, surtout, des « défauts » imputés à la démocratie représentative [12]. Cette culture politique était cohérente avec ses propres objectifs : dépasser l’héritage de l’État providence, imposer des politiques antisociales, mais aussi rendre infiniment plus difficile toute perspective d’émancipation sociale [13]. L’apparente « victoire » de cette nouvelle droite ne peut être comprise sans la brèche ouverte par la crise de la gauche et le soutien effectif d’une partie de celle-ci à Berlusconi [14]. [La réorganisation du champ politique à gauche a commencé par la présentation d’une « alternative » gouvernementale, d’abord sociale-démocrate (du Parti démocratique de la gauche, à partir de 1991, des Démocrates de la gauche, à partir de 1998), puis purement démocratique (du Parti démocratique – DP, à partir de 2007, né de la fusion d’anciens membres des Démocrates de la gauche et des Catholiques de Romano Prodi). Après 2014, le PD de Matteo Renzi a fermé le cycle ; le démolisseur a incarné en Italie à ce moment-là le « réalisme capitaliste » dont parlait Mark Fisher, ce réalisme qui présentait le capitalisme néolibéral comme la seule option possible [15].

Prétendant se débarrasser des « scories », des scories des totalitarismes du XXe siècle, les intellectuels post-communistes abandonnèrent à la vindicte générale ce qu’ils considéraient désormais, au mieux comme « le passé d’une illusion » (François Furet), au pire comme un héritage trop encombrant. Ce processus s’est accompagné de la mise à l’index des historiens marxistes. La gauche parlementaire s’est ainsi montrée ouverte à une relecture du passé, notamment de la période de résistance et d’antifascisme, appelant à la création d’une « mémoire partagée », qui a fondé la légitimité de l’alternance des gouvernements des deux pôles politiques qui se sont disputés le pouvoir entre 1994 et 2018.

Mais la gauche dite radicale a elle aussi, au moins en partie, suivi ces interprétations. Fausto Bertinotti, leader de Rifondazione comunista (Refondation communiste), le seul parti de la gauche radicale à avoir une audience nationale au début des années 2000, a lui aussi cédé à sa manière à cette idéologie « post-antifasciste », valorisant, dans une lettre au rédacteur en chef du Corriere della Sera, la « non-violence » comme « une condition essentielle pour faire vivre jusqu’au bout toute la radicalité de ce processus de transformation sociale que nous appelons communisme » [16]. La Résistance comme la révolution étaient ainsi renvoyées à une « expérience utile pour ne pas répéter les erreurs du passé ». La grande révision culturelle de la droite plurielle s’est profondément inscrite dans le sous-sol italien, d’autant plus sûrement qu’elle s’est accompagnée, au moins en partie, du renoncement de la gauche à son histoire. Le berlusconisme a intégré toutes les sphères de la société, même sans Berlusconi lui-même ou son parti. « Je n’ai pas peur de Berlusconi en lui-même, mais de Berlusconi en moi », résumait à sa manière le chanteur, compositeur, acteur et dramaturge Giorgio Gaber peu avant sa mort.

Le suicide de la République, une pratique quotidienne ?

Ce sentiment de crise de la politique italienne n’est guère nouveau. Il se répète à intervalles réguliers depuis le début des années 1990 et l’effondrement du système politique italien, pris dans la tourmente de la machine judiciaire des mains propres » [Mani pulite], sur fond de crise économique et sociale. Ce tsunami a donné naissance à plusieurs forces nouvelles, ou présentées comme telles, qui ont toutes collaboré, chacune à leur manière, à l’aggravation des inégalités et à la destruction des droits sociaux fondamentaux. Leur légitimité a été érodée par l’alternance d’administrations politiques, marquées par une incapacité à répondre aux besoins les plus pressants et par une corruption presque assumée qui, comme l’écrivait le communiste italien Antonio Gramsci, est « caractéristique de certaines situations dans lesquelles l’exercice de la fonction hégémonique [le nécessaire équilibre à trouver entre le consentement et la force] est difficile, l’usage de la force présentant trop de dangers » [17] ; c’est notamment le cas de Forza Italia et du PD, les deux forces que l’ex-communiste et ancien président du Conseil démocratique Massimo D’Alema désignait, le 10 avril 2018, comme les « piliers du bipolarisme italien » « expression des deux grandes familles politiques européennes » [18].

Cette irrésistible érosion de la nouvelle donne du début des années 1990, le temps d’une génération, s’est doublée d’un échec plus général de la politique, qui a pris en Italie des formes radicales inconnues ailleurs [19] Considérons que depuis le début du XXIe siècle, le pouvoir exécutif a été géré cinq fois par des « princes » hautains, comme disent les Français, en l’occurrence par les deux présidents de la République successifs (Giorgio Napolitano et Sergio Mattarella) : Le gouvernement « technique » de Mario Monti, en novembre 2011, en remplacement d’un Silvio Berlusconi démissionnaire ; celui d’Enrico Letta, en avril 2013, après les élections de février dont aucune majorité claire n’était sortie des urnes ; Matteo Renzi, en février 2014, après que ce dernier, devenu secrétaire du Parti démocrate, ait écarté Enrico Letta ; Paolo Gentiloni, remplaçant Matteo Renzi, le soir du 4 décembre 2016, après l’échec retentissant du référendum pour la révision de la Constitution italienne, pour lequel il avait beaucoup travaillé ; et enfin Mario Draghi en février 2021. Ce sont surtout les gouvernements « techniques » de Mario Monti et Mario Draghi qui ont substitué la fonction délibérative du parlement à celle des choix de leur exécutif, présenté comme « au-dessus » des partis. Des parlements en état de guerre qui, sous couvert d’une urgence « financière » et/ou « sanitaire », ont accepté d’abandonner la plupart de leurs prérogatives et d’imposer de véritables chocs structurels à la population.

Comme le note le journaliste Carlo Formenti, la crise économique et sociale qui avait débuté en 2008 devenait un « instrument du capital visant à désarticuler les classes subalternes et à détruire leur capacité de résistance » [20]. En 2012, l’équilibre budgétaire a été inscrit dans la Constitution italienne (art. 81) avec le soutien du Parti démocrate ; l’Espagne avait fait de même quelques mois plus tôt. Stefano Rodotà, professeur émérite de droit, ironisait à l’époque en affirmant que cette décision sanctionnait « l’inconstitutionnalité de Keynes » [21]. Les classes populaires ont fait les frais des programmes d’austérité, avec des coupes dans les retraites, la protection sociale, la santé, la culture, l’éducation, etc. Sans parler de la qualité de vie liée au changement climatique et de l’incapacité avérée à y faire face avec de véritables catastrophes publiques (incendies, inondations, tremblements de terre) puisque plus de 40 millions de personnes, soit deux tiers de la population totale, vivent désormais dans des zones dangereuses.

Le « retrait des classes populaires de l’échange politique » est devenu un objectif afin d’imposer un « bloc bourgeois recomposé » [22]. Et l’abstention croissante en est l’indice le plus probant. Le nombre d’électeurs et d’électrices a diminué de 3,7 millions en dix ans. L’abstention est passée de 19,5% en 2008, à 24,8% en 2013 et 27,1% en 2018, plus élevée dans le Sud que dans le Nord (à Naples, 60,51% ne votent pas) [23]. On estime qu’aux prochaines élections, seuls environ deux des électeurs/électrices éligibles voteront [24].

L’enchaînement des crises économiques a dégradé inexorablement les conditions de vie et de travail des salarié·es, transformant peu à peu, mais non moins sûrement, l’horizon politique et la légitimité sociale de la lutte. Le retour de bâton contre la simple idée que l’on peut s’organiser pour lutter contre l’injustice, apparaît d’autant plus essentiel qu’il s’est accompagné d’une « dynamique d’adaptation constante au pire », liée autant à une sorte de « banalisation de l’injustice » qu’à une forme de détérioration du rapport des Italiens à l’Etat. A la merci de l’aliénation et de l’exploitation, les travailleurs sont passés d’une classe capable de se penser comme le moteur du changement social à une « classe fantôme », montrée du doigt par la sphère politique italienne [25]. Pour paraphraser la politologue de Princeton Wendy Brown, le néolibéralisme a masqué et dépolitisé la reproduction de l’inégalité, la « déprolétarisation » des salarié·es pour « leur faire adopter les modes de pensée et de comportement des entrepreneurs » ; la stigmatisation concomitante des « étrangers » et des chômeurs servant de diversion à la colère montante [26].

Ce cadre sombre a produit du ressentiment et de la colère. La relation de confiance de la population italienne avec ses propres institutions politiques (État, parlement, partis) a été sévèrement ébranlée. La méfiance envers la politique s’est doublée d’une crise de confiance envers l’Etat et les instruments de médiation. Considérons le fait que, selon une enquête publiée dans La Repubblica en décembre 2011, la confiance dans l’État s’élevait à 29,6%, dans les partis à environ 3,9% et dans le parlement à 8,5% [27]. Aujourd’hui, après deux ans de pandémie, ces chiffres ont sensiblement augmenté mais restent relativement bas (État, +7% ; partis +9% ; parlement +14 %) [28]. Le mépris populaire envers la « classe politique » est certainement lié à l’impuissance de cette dernière à affronter la crise. Mais il doit aussi, et peut-être surtout, être lié au sentiment croissant de « déresponsabilisation » et de perte de contrôle de la population sur des décisions sur lesquelles elle ne semble plus pouvoir agir, alors que les partis représentés au Parlement semblent s’être contentés de hisser le drapeau blanc en admettant leur totale incompétence. Un clown a fourni l’alternative.

Que se vayan todos ! Qu’ils s’en aillent tous !

Beppe Grillo et son Mouvement 5 étoiles (M5) vont pour un temps enfourcher ce cheval de Troie et combler le vide de représentation en Italie en asséchant définitivement les potentialités d’une gauche à reconstruire. Le mouvement qui a pris forme en 2009 sous le nom de Mouvement 5 étoiles (M5S) s’est d’abord construit sur l’extraordinaire popularité de l’humoriste génois. Le fils d’un petit entrepreneur génois a été découvert à la fin des années 1970 par le présentateur vedette Pippo Baudo, qui lui a ouvert les portes du programme phare de la RAI, Fantastico. Mais c’est la collaboration avec Antonio Ricci qui rend Grillo populaire avec l’émission Te la do io l’America [Je te donne de l’Amérique], diffusée sur la RAI en 1983. Le même Ricci fréquentera bientôt la cour de Silvio Berlusconi et créera, en 1988, l’émission berlusconienne par excellence, Striscia la notizia (toujours à l’antenne), un journal télévisé comique avec des femmes nues et un deus ex machina incarné par une grosse peluche rouge nommée Gabibbo, porte-drapeau de ce qu’il appelle les « sentiments populaires » et qu’il compare en décembre 2018 à Matteo Salvini [29]. Antonio Ricci a inventé le langage télévisuel du berlusconisme. Son objectif : conquérir le public, ce qu’il a fait pendant plus de trente ans avec des phrases creuses : « Je me fous, disait-il, de la satire, qu’elle plaise ou non à des gens comme moi, intelligents et cultivés. Ce qui m’intéresse, c’est de capter l’attention de Mme Pina à 20h30 » [30].

Beppe Grillo a su s’entourer de personnalités au fort capital culturel de sympathie de Michele Serra (journaliste et chroniqueur de La Repubblica) à Giorgio Gaber, en passant par Antonio Ricci et Dario Fo ; il a récupéré des fragments d’identité collective qu’il a réarrangés selon les besoins.

Le comédien Genovese a fait de sa satire un levier politique majeur. En 2005, le Time le définit comme « sérieusement drôle » et le classe parmi les 37 « héros européens » qui « changent le monde pour le mieux ». Le Time a notamment noté son rôle dans la dénonciation du géant italien de l’agroalimentaire Parmalat, la plus grande faillite d’Europe avant le tremblement de terre de 2008. Grillo est entré dans des centaines de milliers de foyers italiens par le biais de Striscia la notizia. Le rôle de « justicier comique » était d’autant plus facile qu’il avait construit et diffusé un récit trompeur de sa propre vie, évoquant un supposé bannissement par les médias après avoir dénoncé, en novembre 1986, sur Fantastico, la corruption du Parti socialiste et de Bettino Craxi à la tête du gouvernement. En 1988, il est de retour sur la RAI et en 1993, il a sa propre émission en deux parties, le Beppe Grillo show. Devant un public désorienté par les scandales de corruption de Tangentopoli, il prononce son slogan : « Je ne sais pas ce qui se passe, la réalité dépasse la fiction » : son public est le même qui, quelques mois plus tard, votera pour la première fois pour Silvio Berlusconi.

Beppe Grillo peut être considéré comme un parfait produit du berlusconisme. Au début des années 2000, il est devenu le porte-parole de la contestation anti-politique que Silvio Berlusconi avait incarnée une décennie plus tôt. Ce qui a changé, c’est son incarnation de la rupture, d’une nouveauté qui se pense ici et maintenant, sans avenir ni horizon de référence lointain. Et tout comme son meilleur ennemi, le discours qu’il portait associait la désarticulation du lien social et exprimait la nouveauté absolue dans le champ politique italien. Il appelait à la fin des politiciens professionnels et de toute forme de médiation sociale (comme les syndicats), au moment où Sergio Rizzo et Gian Antonio Stella, deux journalistes du Corriere della sera, c’est-à-dire le quotidien par excellence de l’entrepreneuriat italien, renvoyaient à l’Italie entière l’image d’une classe politique qui n’était plus au service de la communauté nationale et du bien commun, mais de ses propres intérêts. Leur livre, intitulé La Casta, fera date ; le sous-titre est assez parlant : « Voici comment la classe politique est devenue intouchable » [31].

Le livre est publié le 2 mai 2007 ; quatre mois plus tard, le 8 septembre, Beppe Grillo lance le premier V[affanculo] Day [Fuck off-Day], où il annonce la mort des partis politiques. Exacerbant l’image du rapport sublimé du leader avec son peuple, il se propose comme « l’unique possibilité de la réalité », dans une période où le PD achève sa transformation, au service de politiques économiques « vertueuses » de réduction de la dette publique, devenant le parti de la « droite », l’autre droite, le parti de la bourgeoisie moderniste. L’abandon de sa base électorale, notamment les salarié es du secteur public et les étudiant·es, s’est doublé d’un renoncement plus profond aux idées mêmes de justice et d’égalité. Cette adaptation à l’ordre existant a fini par brouiller définitivement les catégorisations politiques classiques dans lesquelles les nouvelles générations ne se reconnaissaient plus. La gauche s’est réduite de plus en plus au groupe de ceux qui pensaient lui appartenir, mais sans nécessairement partager ses valeurs fondamentales. Certes, à peu près au même moment, la métamorphose qui touche le PD s’opérait au sein d’autres partis à travers l’Europe. Mais son statut de précurseur s’est accompagné ici d’un extrémisme sans pareil, dont l’impact a été particulièrement dévastateur, y compris pour la gauche radicale, elle aussi désarticulée, effilochée, décomposée, « évaporée », emportée par le reflux.

Face au désastre d’une gauche incapable de dessiner un horizon à la colère qui monte, Beppe Grillo et son mouvement vont s’imposer comme le seul « sujet alternatif ». En effet, l’apparition sur la scène politique italienne du comédien génois a, à la fois, capté à son avantage la sphère sociale de l’indignation dans l’immense vide laissé par la gauche et bloqué les expériences du type de celles qui allaient se répandre dans le monde entier (Indignados, Occupy, Villes sans peur, etc.) et leurs incarnations politiques (Podemos, Syriza, etc.) [32]. Les crises politiques, sociales, économiques et morales que la Péninsule a traversées dans les années 2000 ont donné au mouvement l’oxygène dont il avait besoin. En Italie, la formule des manifestant·es argentin·es « que se vayan todos » a été dépouillée de sa force insurrectionnelle.

Le calice de la mort

La Lega d’Umberto Bossi avait réussi à désarticuler la Démocratie chrétienne, en difficulté dans ses principaux bastions, en s’implantant durablement dans ce qu’on appelle la « zone blanche » ou les zones catholiques et conservatrices de la péninsule, où le vote Démocratie chrétienne était, jusque dans les années 1980, un vote « pour l’Église et contre le communism » [33]. En ce sens, elle a joué un rôle clé dans la consolidation de la constellation de droite qui a émergé au début des années 1990. C’est ce même chemin qu’ont emprunté Beppe Grillo et son mouvement. Après tout, n’était-ce pas précisément le parti d’Umberto Bossi que Gianroberto Casaleggio, mentor de Grillo et créateur du blog BeppeGrillo.it en 2005, avait décidé d’imiter ? Mais cette fois, ce sont les zones dites rouges, les anciens bastions du Parti communiste, qui ont été leur terrain de prédilection, disloquant, dépossédant et finalement rejetant ce qui restait des valeurs, de l’histoire et de la mémoire de la gauche, en particulier de l’antifascisme.

C’est ainsi que Beppe Grillo a choisi le 8 septembre 2007 pour lancer sa première « Journée Vaffanculo », une date à haute valeur symbolique dans l’histoire italienne du XXe siècle et en particulier dans l’histoire du fascisme. En effet, le 8 septembre 1943, le maréchal Pietro Badoglio annonce la signature de l’armistice avec les Alliés. À cette date, le roi et le gouvernement fuient la capitale, laissant derrière eux une population désorientée à la merci des troupes allemandes qui ont déferlé sur le pays depuis la destitution de Benito Mussolini 45 jours plus tôt. « Tutti a casa » [tout le monde à la maison] semble être la devise confuse de cette journée, bien rendue par le film éponyme de Luigi Comencini. Ce jour du Vaffanculo (V-Day) est le point culminant des milliers de « Vaffanculo » (Va te faire foutre !) que Grillo avait criés sur toutes les scènes, grandes et petites, d’Italie. Comme celle du théâtre Smeraldo de Milan, où, en 1992, il annonçait la naissance de la « gentocratie », invoquant la prise du pouvoir par l’humeur du peuple et sa colère ; un peuple qui « n’a plus peur de dire ce qu’il pense […] » [34]. « La gente », sujet singulier en italien, dont la déclinaison plurielle en anglais (the people) rend bien l’idée d’une entité qui se désagrège en une multitude d’individus « ego-governing » [35]. Le « gentisme », pensé comme « l’évolution ultime de la vieille notion de peuple » renvoyait au public indistinct et interchangeable, qui dans le langage du futur M5S deviendra « un est un », une horizontalité qui conduit précisément à l’inverse des objectifs affichés de la démocratie directe, c’est-à-dire à la négation du collectif par la fragmentation des opinions et à la place finalement laissée aux larges prérogatives du « leader ».

Alors que les mobilisations du V-Day ont eu lieu dans plus de 180 villes italiennes, y compris à l’extérieur du pays, c’est à Bologne, au cœur de la zone dite rouge, que Beppe Grillo a choisi de prendre la parole, défiant la gauche, ou mieux, cherchant à en effacer la mémoire. Devant des dizaines de milliers de personnes, Beppe Grillo allait dire aux politiciens de rentrer chez eux en poussant un cri unique : « Vaffa… » [Allez vous faire voir…] à « la caste » : « Italiens, le 8 septembre est arrivé, le jour de notre défaite ; ce 8 septembre sera le jour de leur défaite ». V-Day, comme dans Vaffanculo Day ». En faisant du 8 septembre, jour de la défaite de la guerre de Mussolini, le jour de la défaite du public auquel il s’adressait, Beppe Grillo s’est réapproprié les relectures révisionnistes du fascisme italien des années 1990, y compris le concept de « mort de la nation », appliqué par le révisionnisme précisément au 8 septembre 1943, qui rendait illégitimes les partis issus de la guerre de résistance.

À cette occasion, le comédien avait annoncé qu’il voulait « reprendre le pays » en organisant un mouvement des « bourgeois » et des « conservateurs » [36]. Un an plus tard, Beppe Grillo devait s’emparer du 25 avril, haut lieu de mémoire de la Résistance italienne, en organisant de nouveaux rassemblements dans plus de 400 villes, au cri de « nous sommes les vrais partisans ». Et c’est à Turin, la ville phare du mouvement ouvrier, le « Petrograd italien », la ville d’Antonio Gramsci et des Conseils d’usine, l’épicentre de l’insurrection de 1917 et de 1945, qu’il a décidé de prendre la parole. Cette fois, c’était pour promouvoir un référendum sur la suppression du financement public de la presse ; un coup dur notamment pour les médias non alignés, ceux de la gauche radicale, et un coup de pouce bienvenu pour ceux qui, comme Gianroberto Casaleggio, faisaient leur beurre sur le Web.

Beppe Grillo a activement cherché à effacer la mémoire des luttes des opprimé·es en confisquant l’espace à la gauche, une gauche qu’il définit comme « bien pire » que la droite, tout en affirmant n’être « ni de gauche ni de droite, mais du côté des citoyens » [37]. Le mouvement mis en marche à l’époque, qui deviendra deux ans plus tard le Mouvement 5 étoiles (M5S), n’était pas configuré comme un mouvement favorisant la conscience de soi, des autres et du groupe formé avec d’autres par des batailles menées collectivement. En effet, pendant les V-Days, ce n’est pas la place « lieu de la protestation et du conflit » qui est au centre, mais Beppe Grillo, et à Bologne comme à Turin et dans d’autres villes italiennes, ce ne sont pas les manifestants qui se rassemblent, mais les spectateurs. La participation se limitait aux « Vaffa… » répétés en chœur accompagnés des gestes d’une « multitude » qui, au lieu du poing levé, symbole des luttes collectives pour l’émancipation humaine, levait le majeur. Un pied de nez insupportable à cette idée, au cœur des mobilisations des années 1968, chantée en 1972 par Giorgio Gaber : « La liberté, ce n’est pas de rester sur un arbre, ce n’est pas non plus le vol d’une mouche, la liberté ce n’est pas un espace vide, la liberté c’est la participation » [38].

Le « Vaffa » fonctionnera comme un connecteur qui cherche à la fois à susciter l’émotion et à jouer sur un ensemble de sentiments confus, un lien tangible entre ces « éléments divers » à l’instar du graphique du V de MoVimento, emprunté au film de James McTeigue, V pour Vendetta, au caractère culturel composite, ou du « courage » du M5S à choisir la couleur jaune, une couleur « soigneusement évitée dans le monde politique » car elle est celle du « mensonge, de l’hypocrisie, de la trahison » [39]. « Avec la crise de 2008, Grillo devient le porte-parole d’une nouvelle forme d’organisation politique, « légère et puissante » [40], un mouvement qui combine l’énergie mobilisatrice du Web, qui peut être comparé aux partis politiques des années d’or du capitalisme, et le canal de diffusion du petit écran, un instrument privilégié par Silvio Berlusconi et sur lequel Grillo fait ses débuts. Le Web a été la carte maîtresse de ce dispositif [41]. En 2009, le blog BeppeGrillo.it a été classé septième parmi les vingt-cinq plus populaires du monde par Forbes et, à la même période, il figurait parmi les dix plus influents de la planète selon The Guardian. À cette époque, 53% des foyers italiens ont accès à Internet (contre 66% au niveau européen), un taux qui ne fera qu’augmenter avec le temps pour atteindre 84% dix ans plus tard. Le succès du blog et son suivi sont liés à la monopolisation quasi totale des chaînes de télévision par Silvio Berlusconi, alors au pouvoir. Le blog se veut « une alternative à l’information « classique » » [42]. Beppe fait un vrai travail journalistique de synthèse « dit l’un de ses followers, ce serait tellement fatiguant d’aller chercher toutes les informations qu’il nous donne » [43].

Le blog est devenu le vecteur de ce que Robert Proctor appelle une « ignorance culturellement produite », utilisant le doute comme arme privilégiée de son « agnotologie », c’est-à-dire de son agnosticisme, et de la construction de réalités parallèles[ [44]. Grillo a par exemple affirmé que le sida était la « plus grande intoxication du siècle » ou que les campagnes de prévention du cancer étaient dangereuses. En 2019, il a même annoncé sa participation au congrès de ceux qui croient que la terre est plate [45]. Le blog a fait appel à des fakes (utilisateurs avec de fausses identités qui dirigeaient la discussion), des trolls (utilisateurs qui intervenaient pour provoquer les interlocuteurs) et des influenceurs (utilisateurs qui influençaient les autres) » [46]. Une pratique adoptée par des groupes du M5S ou proches du M5S, dont certains ont promu des campagnes de « lynchage médiatique » et de menaces. Le blog de Grillo a également diffusé les thèmes chers aux Verts, dans la vague de l’énorme mobilisation contre la privatisation de l’eau, en « plaçant les questions environnementales au cœur du réquisitoire contre les entreprises capitalistes », tout en faisant connaître, par exemple, l’utilisation de la Biowashball, une balle produite en Suisse qui rendrait soi-disant les détergents superflus [47].

Très vite, les journalistes, tous les journalistes, deviennent l’objet d’invectives, allant jusqu’à les bannir des meetings du mouvement, dont celui de la Piazza San Giovanni à Rome, à l’issue de la « tournée Tsunami » pour les élections nationales de février 2013. En 2017, Beppe Grillo va même jusqu’à demander la création d’un « jury populaire » contre les journaux et les journaux télévisés qui publient des fakenews, dans un pays qui se situe alors à la 77e place en termes de liberté de la presse [48].

Refusant le clivage gauche-droite, de la même manière qu’Umberto Bossi avant lui, Beppe Grillo a su constituer une sorte d’appel pour une frange croissante de la population. Il a d’abord puisé dans la large opposition à Berlusconi, captant, réaménageant, désarticulant et vidant un vocabulaire propre à la gauche, attirant à lui certaines des figures de proue de ses intellectuels (Erri de Luca, Dario Fo…), puis élargissant sa base de masse, profitant de la décomposition du champ politique italien et de la saignée du berlusconisme, « forme sans précédent de destruction de la démocratie » [49]. « Nous avons réussi, a déclaré Beppe Grillo lors du meeting de clôture des élections nationales de mars 2018, à accélérer et à annihiler tous les partis, qui se sont dissous dans une sorte de surface nauséabonde […] le seul vrai parti qui existe aujourd’hui en Italie est le nôtre ». Des partis qu’il qualifie de « zombies », de « morts vivants » et de « cercueils ambulants », auxquels le M5S devait devenir, selon Gianroberto Casaleggio, « le champignon vénéneux amanita phalloides ».

L’hiver arrive

Le M5S couve depuis longtemps dans les entrailles du pays, comme en témoignent ses victoires électorales rapides, s’insérant dans les territoires et s’organisant au niveau local. Il plonge ses racines dans les profondeurs du sous-sol italien, dans le « sovversivismo » dont parlait Antonio Gramsci : « le caractère « subversif » [sovversivismo] de ces couches a deux visages : l’un tourné vers la gauche, l’autre vers la droite, mais la figure de gauche n’est qu’une feinte ; ils vont toujours à droite dans les moments décisifs et leur « courage » désespéré préfère toujours avoir les carabiniers comme alliés ». Et c’est bien la droite et l’extrême droite (la Lega, Casapound, l’extrême droite méridionale) qui sont apparues comme la rive à laquelle cette idéologie de la non-idéologie s’était attachée durablement, tout en alimentant activement le leurre d’une formation alternative de « gauche ». Ainsi, le M5S s’est parfois présenté comme un rempart contre l’extrême droite. Le 10 juillet 2013, après avoir été reçu par le président de la République Giorgio Napolitano, Beppe Grillo l’a également fait savoir à sa manière : « […] Je suis allé dans les territoires, et je suis en colère parce que j’ai recueilli la colère de ceux que j’ai rencontrés. […] J’essaie toujours de modérer les esprits, je l’ai dit au président de la République, ce que je dis c’est quelque chose que j’ai vécu […] ; il faut modérer les esprits, l’esprit des gens qui veulent s’armer avec des fusils, avec des bâtons et qui disent que la révolution se fait seulement comme ça et je leur dis, calmez-vous, essayons encore avec les méthodes démocratiques […] » [50]. Mais derrière la révolution invoquée, l’éversion suggérée et l’écho lointain des « canons de Bergame » que la Lega Nord brandissait dans les années 1990 avec la même rhétorique d’un Umberto Bossi qui prétendait alors aussi maîtriser les ardeurs de la base. Le M5S participe également à la culture commune de la droite basée sur le « culte du chef, la désarticulation des organisations intermédiaires et un éclectisme idéologique » que l’historien Paul Ginsborg a appelé un mélange d’éléments charismatiques, plébiscitaires et traditionalistes.

Le M5S s’est montré habile à « intercepter et interpréter tous les types de protestations et de malaises » et à les maintenir ensemble. Il s’est présenté comme un mégaphone qui a donné force et voix au « sentiment » (ou ressentiment), à la « colère » d’une population qui, depuis plus de trente ans, subit à la fois les conséquences des crises économiques, sociales et politiques vécues par toute l’Europe et l’inversisme (inversion radicale des valeurs) auquel a conduit la grande révision culturelle du berlusconisme et de la droite plurielle. Un inversisme que l’on retrouve, par exemple, dans le positionnement des porte-paroles du M5S sur le fascisme : Une « idéologie du passé » selon Beppe Grillo, qui s’est limité à dire qu’il n’est pas fasciste ; Luigi di Maio a affirmé qu’au sein du M5S, « il y a ceux qui se réfèrent à [Enrico] Berlinguer [leader communiste italien des années 80], au Parti démocrate chrétien ou à Almirante ». Il défend l’idée que « les catégories de fascisme et d’antifascisme n’ont été utilisées que pour « instrumentaliser » [les débats], car personne ne mérite d’être diabolisé, et il est possible que des erreurs aient été commises de part et d’autre, mais aussi que des choix aient été faits de bonne foi ». Un autre jeune leader de l’époque du M5S, Alessandro di Battista, annonce sentencieusement qu’« il est plus important d’être honnête qu’antifasciste ». Une position qui résonne avec celle d’une partie croissante de la population. Beppe Grillo a ouvert un dialogue avec le mouvement néo-fasciste CasaPound, ou du moins avec ses militants, et a attiré à lui des hommes socialisés dans le Mouvement social italien, comme Luigi di Maio et Alessandro Di Battista, tous deux fils de militants du MSI. Le père de l’actuel ministre des Affaires étrangères, aujourd’hui hors du M5S, a fièrement admis avoir travaillé avec Giorgio Almirante et Gianfranco Fini et a déclaré avoir retrouvé dans le M5S les « valeurs de la vieille droite » [52].

La rhétorique utilisée par Beppe Grillo, sous couvert d’humour, est celle de l’extrême droite. Le déplacement de la base électorale du mouvement vers les positions de la Lega, en dialogue avec les orientations générales du M5S incarné par Beppe Grillo, semble le confirmer. En 2008, ne déclarait-il pas : « Je ne suis pas un homme politique… Je ne pourrais le faire que dans une petite dictature où j’aurais la possibilité d’utiliser un stade pour mettre les 80 000 -100 000 personnes qui font mal à l’Italie ». Et en 2013, après les élections de février, n’a-t-il pas dit : « Que ceux qui ne veulent pas adhérer à nos règles le disent immédiatement. Alors nous pourrons les lapider » [53]. En janvier 2017, alors que l’extrême droite européenne, au rebond de l’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis, se réunissait à Coblence, annonçait « l’aube d’un nouveau monde » (Marine Le Pen) et le rêve d’une « nouvelle Europe » (Geert Wilders) hégémonisée par leurs partis, Beppe Grillo annonçait dans le Journal du Dimanche français : « La politique internationale a besoin d’hommes d’État forts comme eux [Vladimir Poutine et Donald Trump]. Je les vois comme un avantage pour l’humanité » [54]. Le site d’Alt-right de Steve Bannon, Breitbart, n’a pas manqué de saluer ces propos. Entre 2012 et 2016, la propension des électeurs du M5S à voter pour la droite a progressivement augmenté. Ainsi, selon Delia Baldassari et Paolo Segatti, lors des sondages de sortie des urnes en mars 2018, le parti préféré des électeurs du M5S après le leur était celui de Matteo Salvini [55].

Les attaques répétées de Beppe Grillo contre la « gauche bien-pensante et angélique » (buonista) concernant la politique d’immigration ou l’antiracisme n’était qu’une des déclinaisons d’un nouveau syncrétisme mêlant indifféremment la lutte contre les migrants et la lutte contre la corruption et les mafias (« l’immigré clandestin est utile, écrit-il, à la criminalité ») [56]. Grillo et son M5S sont devenus les porte-drapeaux de la lutte contre une invasion étrangère inexistante, censée mettre en danger la sécurité et les salaires des Italiens, chevauchant sans hésiter le cheval de Troie raciste. Le « gentisme » que Grillo défend depuis les lointaines années 1990 fait référence à un peuple « ethnique », comme l’a très bien souligné l’un des leaders de Podemos, Íñigo Errejón [57], et les électeurs/électrices du M5S ne s’y sont pas trompé·es. Il suffit de penser que parmi celleux qui ont voté pour le M5S, la majorité pense que « l’immigration est une menace pour l’identité culturelle italienne » [58]. Grillo n’a-t-il pas dit que les Roms étaient une « bombe à retardement », ajoutant « avant que les frontières de la Patrie ne soient sacrées, les politiciens les ont profanées » ? La Nation, l’Italie, la défense de la Patrie et des Italiens contre les migrants, les puissances occultes ou l’Europe, sont à l’ordre du jour depuis la structuration du mouvement et cette rhétorique n’a pas changé depuis, tout au plus a-t-elle subi des adaptations tactiques.

Le gouvernement M5S-Lega de juin 2018 à août 2019 en atteste. Un gouvernement que le sociologue Domenico Masi a défini comme le plus à droite de l’histoire de l’Italie républicaine, que l’analyste Ezio Mauro a qualifié de « droite réalisée », et que le journaliste Claudio Tito a décrit comme un « laboratoire pratique d’une nouvelle droite » basée sur un « nouveau bloc social » [59]. Cet exécutif a fait passer un certain nombre de mesures, dont le revenu de citoyenneté, aujourd’hui fleuron « social » du M5S, attaqué de toutes parts, mais qui est en fait un workfare, mettant au travail les personnes les plus précaires avec l’interdiction de refuser plus de trois emplois proposés en deux ans ; emplois trouvés dans un rayon de 100 km pour le premier, 250 pour le second et dans tout le pays pour le troisième. Le revenu de citoyenneté a en outre été restreint aux Italien·es et aux immigré·es titulaires d’un permis de séjour de longue durée qui vivent en Italie depuis plus de dix ans, laissant sur le bord de la route toustes celleux qui sont arrivé·es en Italie après 2012, à un moment où le nombre d’immigré·es en Italie a augmenté de plus de 43% par rapport à 2008, et qui constituent le segment le plus vulnérable, précaire et pauvre de la population [60].

Le même gouvernement a adopté le « décret sur la sécurité et l’immigration », défini aujourd’hui comme une erreur par Giuseppe Conte, le nouveau leader du M5S et à l’époque néanmoins président du Conseil, l’une des dispositions les plus autoritaires et réactionnaires de toute l’histoire de l’Italie républicaine, modifiée en 2020. Elle prévoyait l’abolition du permis de séjour pour raisons humanitaires, le doublement du nombre de jours de détention dans les centres administratifs prévus à cet effet (Centre permanent de retour (Cpr), l’impossibilité pour les demandeurs d’asile d’être inscrits à l’état civil et donc d’avoir accès au droit de séjour. En matière de « sécurité », le décret autorise l’utilisation de tasers dans les communes de plus de 100 000 habitant·es et des peines plus lourdes, jusqu’à deux ans de prison, pour celleux qui favorisent l’occupation de terrains ou de bâtiments. Le gouvernement dirigé par Matteo Salvini et Luigi di Maio a fait de la lutte contre les pauvres et les migrant·es sa priorité politique. Alors que la violence à caractère raciste n’a cessé d’augmenter dans toute la péninsule (une augmentation que Luigi di Maio a bruyamment démentie), le gouvernement Lega-5-Star a choisi de criminaliser la solidarité et de faciliter la possession légale d’armes à feu, y compris de kalachnikovs.

Cette expérience gouvernementale a duré 14 mois. En août 2019, Matteo Salvini a ouvert une crise au sein du gouvernement appelant à des élections immédiates ; effrayés par cette perspective après la victoire de la Lega aux élections européennes de mai, le Mouvement 5 étoiles et le Parti démocrate ont établi une nouvelle alliance, dirigée par… le même Giuseppe Conte. De plus, il n’y avait pas de différence de nature avec les politiques néolibérales menées jusqu’alors par le PD et la droite alliée à l’extrême droite, seulement le degré de différence en termes de précarité de l’emploi et de restriction des migrations. La mise en place du gouvernement M5S-PD en septembre 2019 et le soutien du M5S au gouvernement dirigé par Mario Draghi en février 2021, en pleine crise sanitaire, en est la confirmation magistrale.

Le sociologue français Éric Fassin a proposé d’interpréter ce qu’il appelle le « moment populiste » non pas comme une réaction au néolibéralisme, mais comme un moyen de garantir son succès populaire [61]. Le M5S était un produit du néolibéralisme, mais aussi de la subjectivité néolibérale intériorisée que sa pratique implique. « Des utilisateurs » qui affirmaient leur « capital humain » individuel à travers une « auto-communication de masse » numérisée qui semble pouvoir se passer des médiations traditionnelles, tout en brouillant l’asymétrie des acteurs [62]. Où le Web et ses outils n’étaient pas considérés comme des moyens d’atteindre une démocratie directe numérique à construire et à penser en fonction des potentialités qu’Internet ouvrait effectivement, mais comme une forme politique déjà achevée. Cette techno-utopie reposait sur les déterminants économiques et culturels d’un néo-libéralisme intégré par la subjectivité des sujets, où l’horizontalité et la participation revendiquée sont en contradiction avec la nécessaire centralisation extrême d’un mouvement composite, sous peine d’implosion, comme semblent le montrer les derniers départs du mouvement et les pertes vertigineuses dans les intentions de vote pour le M5S [63].

Le slogan « ni droite ni gauche » à propos du M5S a fonctionné comme un mantra qui a empêché toute réflexion sérieuse sur ce phénomène politique sans précédent qui a servi de courroie de transmission au lexique politique de l’ultra-droite. Grillo et son M5S ont joué sur ce que Wendy Brown appelle « le ressentiment de classe sans conscience de classe » [64]. Ce ressentiment alimente en retour les modalités d’action et le discours du M5S, qui a brouillé les mécanismes de reproduction, d’intensification et de dépolitisation des inégalités, et a ainsi supprimé la capacité de réaction. Grillo et son M5S ont prôné la disparition des instances qui existaient auparavant pour combattre les formes de haine, d’humiliation et de subordination auxquelles les opprimé·es sont confronté·es, sans en proposer d’autres. En utilisant une novlangue calquée sur le npov (point de vue neutre) wikipédien, en vidant les mots de leur contenu, en en inventant d’autres, en inversant ou en « oblitérant leur sens [….], en empêchant de penser en termes différents » et en minimisant les attaques contre les subalternes (les coupes d’austérité se limitant dans le langage de Grillo aux frattaglie, massacres/déchets), ils réduisent à néant toutes les possibilités d’élever le niveau de conscience de classe, seul moyen de les contrer. Le M5S serait, dans cette perspective, une droite (post)moderne issue de la guerre contre les élites, de la polémique permanente contre l’Etat, du refus du politiquement correct [66].

Non seulement le M5S et ses leaders ont agité des signifiants aujourd’hui creux (démocratie directe, liberté…. ), mais aussi ce que l’historien Furio Jesi, s’inspirant d’Oswald Spengler, a appelé les « idées sans mots » caractéristiques de la culture de droite, ou pour être plus précis, les « mots spiritualisés » « qui prétendent pouvoir dire réellement et donc dire et en même temps se cacher dans la sphère secrète du symbole » ; des termes censés dissimuler un « secret » partagé, mais qui n’ont pas besoin d’être expliqués et qui, par leur usage, deviennent un vecteur d’idées sans mots et fondent ainsi la solidité présente et future de la communauté à laquelle ils entendent s’adresser. Le vote pour le M5S n’avait pas de « racines sociales », il était porté par des « idées sans paroles ». C’était une base qui se rapproche de ce que Luigi Salvatorelli, un antifasciste libéral, appelait en 1922, le cinquième état, indiquant une nouvelle catégorie qui « ne coïncide pas avec le prolétariat socialement et politiquement défini », le fourrage d’une nouvelle forme de révolte qui cherche des issues [68].

Le M5S pourrait être identifié à un catalyseur chimique. Beppe Grillo s’est porté garant de la nature biodégradable de son mouvement, indiquant qu’il pouvait être converti en une simple molécule utilisable par la nouvelle politique qu’il aurait contribué à créer en produisant la décomposition de l’ancienne [69].

L’éternel « retour » du fascisme

Ces dernières semaines, il n’est pas rare de voir des références à un discours prononcé par Umberto Eco à l’université de Columbia le 25 avril 1995. Intitulé « L’éternel fascisme », il a été prononcé au lendemain de l’attentat à la bombe de droite qui a frappé Oklahoma City, faisant plusieurs centaines de blessés et des dizaines de morts. Réfléchissant à nouveau sur la persistance du fascisme, ses formes et son évolution dans le temps, il apparaissait, au-delà de la célébration du cinquantième anniversaire de la libération de l’Italie, comme une urgente nécessité. Le texte soulignait les risques encore très réels que la (re)naissance du fascisme faisait courir au monde : « Ce serait tellement plus facile pour nous, écrivait Umberto Eco, s’il apparaissait sur la scène mondiale quelqu’un qui dise : « Je veux rouvrir Auschwitz, je veux que les chemises noires défilent à nouveau sur les places italiennes ». La vie n’est pas aussi simple. L’ur fascisme [le fascisme éternel] peut revenir sous le plus innocent des déguisements. Notre devoir est de le découvrir et de pointer du doigt n’importe laquelle de ses nouvelles instances – chaque jour, dans chaque partie du monde » [70]. Cette même conférence a été republiée quelques mois avant les élections de mars 2018, lorsque la présence menaçante de Matteo Salvini dans les rangs de la coalition de droite a réactivé les craintes d’un retour du fascisme. Giorgia Meloni et son parti semblent aujourd’hui refermer le cycle de cette contre-révolution rampante entamée il y a une trentaine d’années et dans l’accélération politique et culturelle de laquelle le M5S a joué un rôle crucial. En attendant, l’Italie s’est retrouvée en première ligne d’une crise sanitaire mondiale, comptant ses dizaines de milliers de mort·es ; une Italie exsangue, politiquement instable, socialement déchirée. L’une des économies les plus fragiles de la zone euro, frappée en plein cœur, où les mesures d’endiguement ont généré une récession mondiale, sans précédent dans son ampleur et sa propagation historiques.

Fasciste ?

De nombreux termes sont utilisés pour décrire la droite qui se présente aujourd’hui aux portes du pouvoir, hypnotisant le débat public, à la recherche de mots « pour désigner la famille des dangereux démagogues » [71]. Leur surabondance même renvoie à la difficulté de déterminer ses nouveaux contours : fasciste ou post-fasciste, pour souligner la continuité dans sa transformation ; populiste, pour marquer la nouveauté d’un phénomène né dans la seconde partie du XXe siècle, désignant (ou non) un lien de continuité avec le fascisme de l’entre-deux-guerres [72]. Il ne fait aucun doute que le FdI est bien réel, quoi qu’ait pu penser la presse internationale après la diffusion d’une vidéo en trois langues où Giorgia Meloni aurait « abjuré » le fascisme, mais où cependant elle abordait le problème de l’héritage du fascisme en une seule phrase et visait principalement l’antifascisme, le communisme et la gauche. Et pourtant, ceux qui agitent le danger du fascisme aujourd’hui ne parviennent pas à être entendus par la majorité des Italien·es, car il a trop souvent été utilisé pour pousser la population à voter pour le « moindre mal », même en se bouchant le nez, selon la formule utilisée par Matteo Renzi pendant la campagne électorale de 2018. De graves erreurs ont été commises par les antifascistes, qui pensant que traiter quiconque de fasciste (Bossi, Salvini, Berlusconi, Grillo lui-même, etc.) suffisait à le disqualifier devant l’électorat. Mais aussi parce que la destruction du passé, c’est-à-dire des liens qui unissent les contemporains aux générations précédentes, a été ici, plus qu’ailleurs, mise en avant avec une diligence particulière au cours des trente dernières années.

Un pays qui a récemment vu un journaliste du quotidien La Stampa menacé à cause d’un reportage consacré à la nostalgie du fascisme. Un pays où, le 9 octobre 2021, le siège national du plus grand syndicat italien a été attaqué et dévasté par des groupes dits No Vax. Un pays où un quotidien comme Il Giornale a pu distribuer Mein Kampf dans la traduction italienne de 1938 comme cadeau à ses lecteurs [73]. Un pays qui, pendant des décennies, a criminalisé l’antifascisme, cet éternel « perturbateur » d’un ordre politique et social répressif, désigné comme le seul « véritable danger pour la démocratie italienne ». Ernesto Galli della Loggia, éditorialiste du quotidien Corriere della Sera, qui commence souvent ses éditoriaux par « ceux qui ont lu quelques livres », ce qui est censé lui donner une légitimité incontestable, résume cette position politique en une phrase : « Si le fascisme est violence, illégalité et suppression de la liberté, son antithèse n’est pas l’antifascisme, mais la démocratie » [74]. Et pourtant, « là où les digues de l’antifascisme ont cédé, la haine raciale se répand » [75]. Comme le 3 février 2018 à Macerata (Marche), Luca Traini, ancien candidat malheureux de la Lega et ancien membre du service d’ordre de son leader, a abattu six personnes originaires d’Afrique subsaharienne ; lorsque, deux heures plus tard, la police l’a arrêté, Luca Traini, enveloppé dans le drapeau italien, a crié « Vive l’Italie ! » en faisant le salut fasciste. Après cette attaque, tout le monde, du FDI au PD, a accusé les migrants d’être responsables de cette violence.

« L’Italie est un pays circulaire », écrivait Pier Paolo Pasolini dans ses écrits corsaires, « comme le Léopard de Lampedusa, où tout change pour rester comme avant », car, poursuivait-il, « c’est un pays sans mémoire qui, s’il avait le moindre souci de son histoire, saurait que les régimes portent des poisons anciens, des métastases invincibles » [76]. Ce pays englué dans un complexe de crises économiques, politiques, sociales, écologiques et morales, qui s’additionnent et se combinent, semble vivre au moment du retour d’un de ces interrègnes dans lesquels « surgissent les phénomènes morbides les plus variés » (Gramsci). D’autant plus qu’elle a oublié le sens de l’histoire, des opprimés et de leurs luttes, qu’elle s’enfonce dans une ignorance culturellement produite depuis des décennies et qu’elle semble avoir épuisé toute forme de discernement. L’irrationalité du capitalisme a fini par miner ses formations traditionnelles ; les principes démocratiques élémentaires sont érodés et la fuite de la liberté (Erich Fromm) semble s’imposer. L’éclatement de l’être social est alors masqué par l’appel au « peuple » contre les « puissants », tendant à neutraliser la capacité à prendre conscience de soi, des autres et des multiples dimensions collectives de notre humanité, et à rejeter les phénomènes de contestation dans un univers pré-politique à la manière de ce que Gramsci a défini comme apolitisme, qui s’exprime par des « phrases de rébellion [ribellismo], de subversivisme [sovversivismo], d’anti-étatisme primitif et élémentaire » [77], à l’image du « fascisme tardif » évoqué par le philosophe Alberto Toscano [78]. Quel que soit le résultat des prochaines élections, un changement d’ère est en cours. L’Italie année zéro…

Stefanie Prezioso, 12 septembre 2022

Notes :

[1] Nikou Asgari and Ian Johnston, “Italy long-term borrowing costs stuck near eight-years high”, Financial Times, 28 July 2022.

[2] Amy Kazmin, “Doubts over Italy’s access to €800bn EU Covid fund after Mario Draghi’s exit”, FT, 6 August 2022

[3] Amy Kazmin, “Doubts over Italy’s access to €800bn EU Covid fund after Mario Draghi’s exit”, FT, 6 August 2022

[4] ISTAT, Le statistiche dell’ISTAT sulla povertà. Anno 2021, June 2022 (https://www.istat.it/it/files/2022/...).

[5] Lobby nera, Fanpage, September 30, 2021 (https://youmedia.fanpage.it/video/a...).

[6] For 2018 results, Il Sole 24 ore, March 23, 2018 ; for 2013 results, http://elezionistorico.interno.gov.it/

[7] Ilvo Diamanti, Gli Italiani e lo Stato. Rapporto 2017 (demos.it).

[8] Ilvo Diamanti, Rapporto gli Italiani e lo Stato 2021 (demos.it).

[9] Giovanni Valenti, “Un “Cavaliere nero” per gli orfani del regime”, La Repubblica, 24 November 1993.

[10] Rino Genovese, Che cos’è il berlusconismo, Rome, Manifestolibri, 2011.

[11] Pier Paolo Poggi, Nazismo e revisionismo storico, Rome, Manifesto libri, 1997, p. 112

[12] Carlo Ruzza, “Italy : the political right and concepts of civil society,” Journal of Political Ideologies, No. 15, 2010, p. 264.

[13] Geoff, Eley, “Legacies of Antifascism : constructing democracy in Postwar Europe,” New German Critique, No. 67, Winter 1996, pp. 73-100.

[14] Perry Anderson, “An invertebrate left. Italy’s Squandered Heritage,” London Review of Books, vol. 13, N°5, March 2009.

[15] Mark Fisher, “How to kill a Zombie : strategizing the end of neoliberalism,” Opendemocracy.net, July 18, 2013.

[16] Fausto Bertinotti, “Rigettiamo il determinismo, pensiamo ad un processo aperto”, Corriere della Sera, 1e December 2003.

[17] Antonio Gramsci, “Note sulla vita nazionale francese”, Cahiers N°13, § (37).

[18] Massimo D’Alema, “Il voto italiano è il punto di rottura della crisi europea,” Il Manifesto, April 10, 2018.

[19] Marco Revelli, Finale di partito, Turin, Einaudi, 2013, p. IX.

[20] Carlo Formenti, La variante populista. La lotta di classe nel neoliberalismo, Rome, DeriveApprodi, 2016, p. 7.

[21] Stefano Rodotà, “Lo scippo della Costituzione,” La Repubblica, June 20, 2012. Adam Tooze, Crashed. How a decade of financial crisis changed the world, Paris, Belles Lettres, 2018 (ebook).

[22] Bruno Amable, Stefano Palombarini, L’illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français, Paris, Raison d’Agir, 2017, Paris, Raison d’Agir, 2017, p. 13.

[23] Il Manifesto, March 5, 2018

[24] Alessandra Ghisleri, “Verso il voto : FdI doppia la Lega, Azione supera FI. Un elettore su tre non ha deciso,” La Stampa, August 31, 2022.

[25] Loris Campetti, Ma come fanno gli operai. Precarietà, solitudine, sfruttamento. Reportage da una classe fantasma, San Cesario, Manni, 2018.

[26] Wendy Brown, « ”Rien n’est jamais achevé”. Un entretien avec Wendy Brown sur la subjectivité néolibérale », Terrains/Théories, N°6, 2017p. 1.

[27] Demos, “XIV Rapporto. Gli Italiani e lo Stato,” January 9, 2012 (demos.it).

[28] Demos, “XXIV. Rapporto. Gli Italiani e lo Stato”, December 2021 (demos.it).

[29] Aldo Cazzullo, “Antonio Ricci : “Salvini mi riccorda Gabibbo, Masterchef rovina le cene”, Corriere della Sera, December 2, 2018.

[30] Quoted in Giuliano Santoro, Breaking Beppe. Dal Grillo qualunque alla Guerra civile simulata, Rome, Castelvecchi, 2014.

[31] Sergio Rizzo, Gian Antonio Stella, La Casta. Così i politici italiani sono diventati intoccabili, Milan, Rizzoli, 2007.

[32] Benedetta Tobagi, “Queste nostre democrazie fragili,” La Repubblica, February 14, 2017.&gt ;

[33] Martina Avanza, Les ” Pure et durs de Padanie “. Ethnographie du militantisme nationaliste de la Ligue du Nord (Italie), PhD thesis, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, December 2007.

[34] Camillo Arcuri, “Voglio un pubblico col cartellino”, Corriere della Sera, 13 February 1992.

[35] Dany-Robert Dufour, “Vivre en troupeau en se pensant libres”, Le Monde diplomatique, N°646, January 2008.

[36] Giuliano Santoro, Breaking Beppe.

[37] “Questa sinistra peggio della destra”, La Stampa, 10 September 2007.

[38] Song from the album, Dialogo tra un impegnato e uno non so (1972).

[39] Catherine Calvet, « Michel Pastoureau : “Le jaune est la couleur des trompeurs mais aussi des trompés” », Libération, December 5, 2018.

[40] Paolo Gerbaudo, Il Partito piattaforma. La trasformazione dell’era politica nell’era digitale, Milan, Feltrinelli, 2018.

[41] John Hooper, “Italy’s web guru tastes power as new political movement goes viral,” The Guardian, January 3, 2013.

[42] Eurostat, “Households : level of Internet access,” January 31, 2019 (https://ec.europa.eu/eurostat/web/d...). [43] Federica de Maria, Edoardo Fleischner, Emilio Targia, Chi ha paura di Beppe Grillo, Milan, Selene, 2008, p. 38. [44] Robert Proctor, Londa Schiebinger (eds.), Agnotology. The Making and Unmaking of Ignorance, Standford University Press, 2008. [45] Francesco Merlo, “C’era una volta Beppe Grillo,” la Repubblica, May 1, 2019. [46] Carlo Vulpio, “La Rete è un trucco,” Corriere della Sera, July 1, 2012. [47] Nadia Urbinati, “Mobilisations en réseaux, activisme numérique : les nouvelles attentes participatives”, Esprit, N°8, August-September 2013, p. 89. [48] Reporters Without Borders ranking for the year 2016 (rsf.org). [49] Paolo Flores d’Arcais, “Fascism and Berlusconism”, Le Débat, N°164, 2011, p. 10. [50] “Beppe Grillo al Quirinale : conferenza stampa, 10/07/2013” (http://www.youtube.com) ; see also Rinaldo Vignati, “Dai comuni al Parlamento : il Movimento entra nelle istituzioni,” in Piergiorgio Corbetta (ed.), M5S. Come cambia il partito di Grillo. [51] Stefano Marroni, “Avevo 300 mila ribelli”, La Repubblica, 30 August 1994. [52] Corriere della Sera, February 13, 2018. [53] Giuliano Santoro, Breaking Beppe. [54] “Beppe Grillo : “Le bilan de l’Europe est un échec total” », Journal du Dimanche, January 22, 2017. [55] Delia Baldassari, Paolo Segatti, “Ancora Sinistra-Destra”, in Itanes, Vox populi. Il voto ad alta voce del 2018, Bologne, Il Mulino, 2018 [56] Beppe Grillo, “Un clandestino è per sempre,” beppegrillo.it, May 1, 2011. [57] Ludovic Lamant, « Errejón : “Le plus grand perdant des élections italiennes c’est Bruxelles” », Mediapart, March 12, 2018. [58] Luca Comodo, Mattia Forni, “Gli elettori del Movimento : atteggiamenti e opinioni”, in Piergiorgio Corbetta (ed.), M5S. 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