Salariat : Socialiser les entreprises, une idée neuve !

samedi 12 novembre 2022.
 

Le candidat Macron avait promis d’instaurer un « dividende salarié ». Il n’envisageait en fait qu’un versement obligatoire de prime aux salariés en cas de versement de dividendes aux actionnaires. Pourtant, une autre logique est possible, bien plus ambitieuse.

Les divergences d’intérêts entre les salariés et les propriétaires des entreprises sont de plus en plus flagrantes. Cette année, dans la majorité des entreprises, les actionnaires refusent d’accorder aux salariés les augmentations de rémunération qui pourraient compenser la forte inflation, tandis qu’ils s’accordent à eux-mêmes des montants mirobolants en dividendes et rachats d’actions. L’une des manières de rééquilibrer les choses est d’augmenter les impôts des entreprises et de leurs propriétaires pour redistribuer une partie de leurs revenus colossaux. Mais c’est à la racine du problème qu’il faut également s’attaquer, c’est-à-dire à l’existence même de profits et de dividendes aussi élevés. Des. exemples historiques montrent que c’est possible par la socialisation des profits des entreprises.

S’inspirer des tentatives historiques

Dès qu’on évoque la question de la propriété des entreprises, le débat se résume trop souvent à leur nationalisation, présentée comme la seule alternative à la domination des intérêts privés. En réalité, même s’il paraît indispensable que certains secteurs stratégiques soient intégralement sous propriété publique, ne mettre en avant que cette méthode masque une grande partie de l’enjeu : quelle mesure mettre en place pour que, dans l’intégralité des entreprises, ce soient les salariés qui aient le dernier mot ? Les coopératives constituent un modèle intéressant, qui prévoit une détention majoritaire du capital et du pouvoir de décision par les salariés, mais en réalité la grande majorité d’entre elles sont des créations et non des transformations d’entreprises capitalistes en entreprises socialisées.

L’enjeu est donc de socialiser la majorité des entreprises, c’est-à-dire celles qui ne sont pas déjà des coopératives et pour lesquelles il n’y a pas un intérêt stratégique à les nationaliser. Il est possible de le faire sans expropriation immédiate des actionnaires. Par exemple, au Pérou en 1970 un décret avait imposé le transfert de 15% des bénéfices des sociétés industrielles vers un « fonds indivisible des travailleurs ». Il s’agissait d’une méthode de socialisation par les profits, qui vise à affecter par la loi une partie du bénéfice net des entreprises vers un fonds indivisible géré par les travailleurs. Autre exemple : le plan Meidner, mis en place en Suède dans les années 1970, qui prévoyait que toutes les entreprises de plus de 50 salariés alloueraient automatiquement chaque année 20% de leurs profits sous la forme de nouvelles actions à un fonds contrôlé par les salariés de l’entreprise, avec les mêmes droits que les actionnaires. L’objectif était une socialisation en douceur de l’économie, via une montée progressive des intérêts salariaux dans leur direction. Une forte mobilisation patronale a finalement eu raison de ce projet.

Autre méthode : la socialisation par les salaires. Dans ce cadre, le pouvoir des salariés sur l’entreprise augmente en fonction de la masse salariale de l’entreprise, dont une partie est consacrée à l’achat de titres de propriété de l’entreprise où ils travaillent. Une proposition de loi avait été élaborée en ce sens au Danemark au début des années 1970. Le projet reposait sur une taxation progressive de l’ensemble des salaires versés par l’entreprise, qui était allouée à un fonds contrôlé par les salariés. Ce projet a malheureusement, lui aussi, été liquidé sous pression du patronat.

Enclencher le processus de socialisation

On a trop tendance à l’oublier, car la gauche au pouvoir n’a jamais rien fait de cet héritage, mais l’idée de socialisation progressive a aussi été débattue en France au cours du XXe siècle, en particulier à la fin des années 1960 lors de la mise en place de la participation. En juillet 1965, Louis Vallon, rapporteur général de la commission des finances, a introduit dans la Loi de finances pour 1966, l’amendement suivant « le gouvernement déposera avant le 1er mai 1966 un projet de loi définissant les modalités selon lesquelles seront reconnus et garantis les droits des salariés sur l’accroissement des valeurs d’actif des entreprises dues à l’autofinancement ». Louis Vallon s’inspirait des travaux de Marcel Loichot qui proposait de distribuer chaque année aux salariés, sous forme d’actions, la moitié de l’accroissement du capital. Il prévoyait qu’au bout de 25 ans les salariés détiendraient la majorité du capital des entreprises basées en France.

Le manque de volonté du gouvernement, l’opposition du patronat et la relative inertie des syndicats de l’époque ont finalement eu raison de ce projet. L’ordonnance de 1967 instaurant la participation se cantonne ainsi à une participation aux bénéfices et non pas au capital. Depuis cette époque, la participation au bénéfice a très peu évolué et sa formule de calcul aboutit souvent à des montants dérisoires pour les salariés.

En relançant les débats sur le fait que la participation des salariés devrait être étendue au capital des entreprises, on peut esquisser les voies d’une socialisation de l’économie. On peut également prendre appui sur les comités sociaux et économiques (CSE - appelés comités d’entreprises jusqu’aux ordonnances Macron de 2017-) en étendant leur pouvoir. Cela peut permettre d’enclencher le processus de socialisation progressive des entreprises, qui remettra à jour l’idéal socialiste sans sombrer dans les dérives totalitaires du XXe siècle ou dans la cogestion des intérêts capitalistes.

Construire le rapport de force face au patronat

La méthode pourrait être la suivante : chaque année, 60% du bénéfice réalisé par les entreprises serait accordé comme propriété collective du CSE et resterait dans les fonds propres de l’entreprise. Cette part des fonds propres donnerait lieu à l’émission de nouvelles actions de l’entreprise, qui octroieraient au CSE les droits de vote équivalent à leur pourcentage de détention de l’entreprise lors de l’Assemblée générale des actionnaires. Ces titres, appelés actions de travail, ne donneraient pas droit à dividende. Cela permettrait de substituer progressivement les capitaux rémunérés individuels par des capitaux non rémunérés collectifs. Ces actions de travail appartiendraient aux CSE et non pas individuellement aux salariés. En outre, elles seraient incessibles.

Cette socialisation progressive de l’économie fera face à une féroce opposition du patronat. Elle ne pourra donc être mise en place de manière pérenne que si un rapport de forces social puissant s’organise dans le pays et au niveau international, tout comme la mise en place de la Sécurité sociale après-guerre. Cette socialisation sera elle-même un outil dans la construction de ce rapport de forces, car elle aidera le peuple à avoir à nouveau conscience que le système capitaliste n’est qu’une modalité parmi d’autres de l’organisation de nos sociétés. Personne ne peut croire que cette socialisation progressive serait un chemin pavé de rose. Une chose est toutefois certaine : elle permettrait de remettre au cœur des enjeux la répartition capital/travail et le fait qu’il ne s’agit pas simplement de mieux redistribuer les richesses, mais de modifier radicalement la manière dont elles sont produites.

Guillaume Etiévant

Cet article est tiré d’une note « Socialiser le capital par la loi » écrite par H. Clouet et G. Etiévant pour le laboratoire d’idées, l’Intérêt général


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