Gaz naturel liquéfié : la France s’enferre dans le fossile

jeudi 17 novembre 2022.
 

Pour pallier la fin des importations de gaz russe, les pays européens se ruent sur le GNL, produit essentiellement par les États-Unis et le Qatar. Si le groupe TotalEnergies profite de cet engouement gazier, les conséquences climatiques du GNL pourraient être lourdes pour la France comme pour les pays du Sud.

C’est un véritable engouement. Depuis l’agression des troupes russes en Ukraine, le gaz naturel liquéfié (GNL) est sous les feux de la rampe énergétique en Europe.

Le terme désigne du gaz fossile refroidi à − 160 °C afin qu’il passe à l’état liquide pour être ensuite transportable par navire. « Avant le conflit, le GNL était un marché de niche mais, actuellement, il est en pleine explosion en Europe, explique à Mediapart Thierry Bros, expert en énergies et professeur à Sciences Po. Contrairement aux pipelines qui livrent le gaz d’un point A à un point B fixes, le gaz liquéfié peut être transporté par bateau, ce qui est beaucoup plus flexible et permet d’importer aisément du GNL des gros pays producteurs que sont les États-Unis, le Qatar et l’Australie. »

Pour pallier la réduction des importations de gaz russe, qui représentaient 40 % du gaz consommé dans l’Union européenne (UE), la Commission européenne a proposé, entre autres, dès mars dernier, de diversifier les sources d’approvisionnement du Vieux Continent « grâce à une augmentation des importations de GNL ».

Et le 28 juin, à l’issue d’un sommet du G7, les leaders des grandes puissances économiques mondiales ont appuyé dans leur déclaration finale : « En vue d’accélérer l’élimination progressive de notre dépendance à l’égard de l’énergie russe, nous soulignons le rôle important que peut jouer l’augmentation des livraisons de GNL, et nous reconnaissons que des investissements dans ce secteur sont nécessaires en réponse à la crise actuelle. »

Vague fossile

Depuis, les projets de terminaux de GNL ont fleuri dans toute l’Europe, avec au moins vingt-cinq nouvelles installations industrielles ou ex-projets dormants réactivés.

Pour exemple, l’Allemagne, qui dépendait à plus de 50 % pour sa consommation du gaz russe, a annoncé vouloir mettre les bouchées doubles pour construire son premier terminal GNL d’ici à 2024. Le gouvernement d’outre-Rhin a aussi lancé l’installation en mer du Nord de quatre terminaux flottants. Enfin, Berlin a signé en septembre un accord avec les Émirats arabes unis en vue de premières livraisons de GNL dès la fin de l’année.

L’Estonie, la Finlande et l’Italie se sont aussi lancées dans la course au gaz liquéfié. Et, en mai dernier, le premier ministre grec a inauguré avec le président du Conseil européen, Charles Michel, un terminal flottant de GNL au large d’Alexandroupolis, pour une mise en service en 2023.

La France n’échappe pas non plus à cette ruée fossile. L’énergéticien Engie a annoncé accroître considérablement ses volumes de GNL achetés aux États-Unis. Puis, le 3 mai dernier, la firme a signé avec l’entreprise américaine NextDecade un contrat d’approvisionnement en GNL sur 15 ans à partir de 2026.

La compagnie pétrolière TotalEnergies a pour sa part conclu cet été un contrat pharaonique avec le Qatar pour le développement d’ici quatre ans du plus grand champ de gaz fossile du monde, gaz qui sera exporté sous forme de GNL.

Si l’Hexagone dispose déjà de quatre terminaux capables de réceptionner et regazéifier le GNL, le projet de loi « pouvoir d’achat » de cet été a entériné l’installation au large du Havre d’un terminal méthanier flottant. Ce dernier sera opérationnel dès l’année prochaine, après avoir été rapatrié de Chine par TotalEnergies.

Un gaz climaticide

« Avec ces terminaux et ces contrats de TotalEnergies et Engie, la France se positionne comme un des premiers importateurs mondiaux de GNL américain », indique à Mediapart Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politiques énergiques européennes et françaises à l’institut Jacques-Delors.

Problème : le GNL américain était en 2021 à près de 80 % issu de gaz de schiste, dont l’extraction est désastreuse pour les écosystèmes, notamment les nappes phréatiques. Son exploitation est interdite en France depuis 2011.

Pis, le GNL pourrait être extrêmement climaticide. Il faut en effet beaucoup d’énergie pour liquéfier le gaz et sa production émet des volumes importants de méthane, un gaz à effet de serre qui a un potentiel de réchauffement 84 fois plus important que le CO2 sur une période de vingt ans.

Le gaz importé sous forme de GNL pourrait générer une augmentation de l’empreinte carbone de la France.

Le Haut Conseil pour le climat

Selon une étude du cabinet Carbone 4 datée d’octobre 2021, la préparation du gaz en GNL puis le transport et la regazéification du gaz liquide « sont près de deux fois plus énergivores et ainsi plus de deux fois plus émissifs que le transport par gazoduc international ».

Ces travaux soulignent aussi que pour le mix d’approvisionnement français en 2019, l’empreinte carbone du GNL est 2,5 fois plus élevée que celle du gaz acheminé par gazoduc.

Le 29 juin, dans son rapport annuel, le Haut Conseil pour le climat a alerté : alors que le rythme annuel de réduction des émissions de la France devra doubler sur la période 2022-2030, « la substitution du gaz russe par du gaz importé sous forme de GNL pourrait générer […] une augmentation de l’empreinte carbone de la France ».

Géopolitique chamboulée

Par ailleurs, les infrastructures GNL construites aujourd’hui en Europe avec de l’argent public verrouillent à long terme les systèmes énergétiques des pays européens autour du gaz fossile.

Ces nouvelles installations sont à rebours des recommandations scientifiques et de celle des Nations unies qui martèlent que la production de gaz doit diminuer de 3 % par an pour maintenir le réchauffement global à + 1,5 °C.

Quant à l’Agence internationale de l’énergie, elle préconise depuis mai 2021 l’arrêt immédiat du développement de nouveaux projets gaziers afin de contenir le dérèglement climatique.

« Le GNL permet de passer d’un marché du gaz régional dépendant matériellement des gazoducs à un marché international qui fonctionne au plus offrant. C’est clairement plus une révolution géopolitique qu’écologique », précise à Mediapart Éric Vidalenc, spécialiste énergie et directeur adjoint de l’Ademe Hauts-de-France.

On assiste à une sorte d’hypocrisie de l’Europe qui, pour pallier sa boulimie en énergie fossile, prive les pays du Sud de leur possibilité de se défaire du charbon par le gaz.

Phuc-Vinh Nguyen, de l’institut Jacques-Delors

Un impact géopolitique délétère : les achats massifs et en urgence de GNL par les pays européens ont en effet des répercussions énergétiques et, in fine, climatiques pour les pays asiatiques, qui sont en train de remplacer leur production électrique à base de charbon par du gaz.

« Pour exemple, le GNL destiné originellement au Pakistan ou au Bangladesh a été racheté plus cher par l’UE. Résultat : alors que les pays riches exhortent l’Asie à sortir rapidement du charbon, on assiste à une sorte d’hypocrisie de l’Europe qui, pour pallier sa boulimie en énergie fossile, prive les pays du Sud de leur possibilité de se défaire du charbon par le gaz », analyse Phuc-Vinh Nguyen.

Ce chamboulement énergétique et géopolitique profite pleinement à TotalEnergies, actuellement numéro deux mondial du GNL, derrière Shell.

En effet, le groupe pétrolier tricolore mise énormément sur le GNL pour doper sa croissance. TotalEnergies a récemment injecté des milliards d’euros dans des projets de production de GNL en Australie (Ichthys LNG), au Mozambique, au Nigéria (Train 7 project) ou encore en Russie (Arctic LNG2). Le groupe vise une augmentation de sa production de gaz fossile de 30 % d’ici à 2030.

Et, comme le note Alma Dufour, députée La France insoumise de Seine-Maritime, « le nouveau terminal flottant du Havre enferre notre avenir énergétique dans le gaz fossile car il permettra à TotalEnergies d’écouler son GNL, énergie dans laquelle le groupe a énormément investi ces dernières années ».

Début juillet, deux semaines à peine avant que le projet de terminal GNL du Havre soit acté par l’Assemblée nationale, la première ministre Élisabeth Borne arguait pourtant dans l’hémicycle : « Nous serons la première grande nation écologique à sortir des énergies fossiles. »

Mickaël Correia


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