Le jour où la France n’a pas (vraiment) accueilli l’Océan Viking…

mardi 15 novembre 2022.
 

Après trois semaines à errer, sans qu’on lui assigne de port où débarquer les 234 rescapés secourus en mer, l’Océan Viking, de Sos-Méditerranée, a enfin accosté à Toulon. Entre soulagement et indignation, les associations dénoncent l’instrumentalisation politique de cette crise et les défaillances des États membres de l’Union Européenne.

«  Le sauvetage que nous avons débuté le 22 octobre n’est toujours pas terminé  », c’est en substance ce qu’explique Louise Guillaumat, directrice adjointe des opérations de SOS-Méditerranée, lors de la conférence de presse tenue, le vendredi 11 novembre à midi. À cette heure, plus de la moitié des rescapés tirés des eaux par l’ONG, trois semaines auparavant, sont toujours à bord de l’Océan Viking, qui a accosté le matin même, sur le quai de l’artillerie de la base navale varoise.

Au soleil levant, sur le quai Cronstadt, au pied du «  cul-vers-ville  », une statue évoquant le génie de la navigation, les caméras de télévision se sont frayé une place parmi les pêcheurs matinaux. Il est 7 h 00, le bateau de Sos-méditerranée est à moins de six miles marins des côtes toulonnaises. Il accoste deux heures plus tard. Pourtant, les 231 exilés à son bord ne sont pas accueillis par la France.

44 enfants isolés

«  Les passagers ont été placés en zone d’attente. Ils n’ont pas été autorisés à entrer sur le territoire national.  » explique Éric Jalon, préfet, et directeur général des étrangers en France (DGEF). Le port militaire et le centre où vont être hébergés les exilés ont été, par décret, définis, la veille, comme «  zone d’attente provisoire  » gérée par la Police des airs et des frontières (PAF). «  Des évaluations de leur état de santé sont faites dès leur descente du navire  », promet le préfet.

Après quoi, ils sont conduits en bus dans un centre de vacances, mis à disposition par la Caisse centrale d’activités sociales (CCAS) des agents des industries électriques et gazières en France, en solidarité avec les personnes réfugiées. Une fois là-bas, ces dernières, parmi lesquelles 44 mineurs isolés, doivent pouvoir formuler une demande d’asile en procédure accélérée.

«  Des agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ont été détachés sur place pour y mener des entretiens  », poursuit le DGEF. Ceux pour qui la demande d’asile sera jugée «  irrecevable et manifestement infondée  » feront l’objet de reconduites dans leur pays d’origine. Ce n’est qu’après cette procédure, pouvant durer jusqu’à 26 jours, que les autres pourront alors prétendre à demander l’asile en France ou dans un des neuf pays de l’union européenne s’étant déclaré prêt à en accueillir une partie.

Une façon de détourner le règlement de Dublin

« Ce n’est pas ce que prévoit le droit dans l’état  », pointe Laure Palun, la directrice de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), présente au rassemblement organisé sur le port, en milieu de matinée, par les associations, syndicats et partis solidaires des exilés. «  Les demandeurs d’asile doivent normalement être accueillis sur le territoire d’un État avant leur relocalisation.  » explique-t-elle.

Le choix fait par la France est une façon de détourner le règlement de Dublin qui prévoit qu’une demande d’asile ne puisse être étudiée que par le pays de première entrée du candidat. Et ce n’est pas la seule entorse à la loi que revêt le dispositif «  exceptionnel  » mise en place par Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. «  Ce matin, on nous a refusé l’entrée dans la zone d’attente alors que nous sommes une des associations agréées pour y accéder en tant qu’observateur  », dénonce ainsi la responsable associative. La loi prévoit, d’ailleurs, dans le même cadre un libre accès aux parlementaires. Le député LFI de la 7e circonscription de Marseille, Sébastien Delogu, s’est porté volontaire ce matin. Mais «  le cabinet de Sébastien Lecornu, ministre des armées, nous interdit l’accès au port  », confia-t-il, en début d’après-midi, au téléphone depuis le bureau du préfet maritime. Même les membres de Sos-Méditerranée n’ont pas pu venir à la rencontre de leur équipage bloqué en mer depuis 21 jours.

L’indignité monte d’un cran

«  La France a su accueillir dignement les réfugiés venus d’Ukraine  », rappelle Olivier Masini, secrétaire général de l’UD CGT du Var, alors que plusieurs centaines de militants entament une marche solidaire en direction du théâtre de la liberté où les représentants de SOS-Méditerranée tiennent leur conférence de presse. «  Nous sommes ici pour affirmer les valeurs humanistes de notre syndicat et pour demander que les réfugiés débarqués aujourd’hui puissent bénéficier d’un traitement similaire.   »

C’est avec les traits tendus par la colère et la fatigue que les quatre dirigeants de l’Ong de sauvetage en mer accueillent leur auditoire. «  Les États Européens négligent depuis sept ans la situation  » , lance Sophie Beau, Co-fondatrice de SOS-Méditerranée. «  Il est tant que soit mis en place un véritable mécanisme opérationnel et pérenne de répartition des exilés secourus en Méditerranée centrale. L’instrumentalisation politique de cette crise est indigne des démocraties européennes.  »

L’indignité est d’ailleurs montée d’un cran en début d’après-midi, lorsque devant l’arsenal, les représentants du parti d’extrême-droite, Reconquête, sont venus s’exprimer devant une poignée de groupies haineux. Pas de quoi décourager, cependant, les sauveteurs de Sos-Méditerranée. «  Je préfère rester optimiste, reprend Sophie Beau. Les citoyens européens sont porteurs de solidarité. Nous repartirons rapidement en mer pour continuer notre mission de sauvetage. Et dans le contexte économique actuel, nous avons plus que jamais besoin du soutien de la société civile… Répondez à ce SOS.  »


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message