Présidentielle 2022 : le vote « à part » des jeunes générations

lundi 5 décembre 2022.
 

Les chercheurs Laurent Lardeux et Vincent Tiberj ont rendu publics les résultats de l’enquête post-électorale Youngelect 2022. Centrée sur les 18-34 ans, elle montre comment leur comportement a différé de l’ensemble de l’électorat. La durabilité de cette spécificité reste en question

OnOn savait déjà que les jeunes cohortes de l’électorat étaient plus distantes que les autres vis-à-vis de la scène électorale, et que leur rapport envers les institutions, moins « déférent » mais pas dépolitisé pour autant, s’ancrait dans des changements de valeurs générationnels. C’est notamment ce qui ressortait d’un ouvrage scientifique publié en 2021, dirigé par le sociologue Laurent Lardeux et le politiste Vincent Tiberj.

Respectivement chargés de recherche à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) et professeur à Sciences Po Bordeaux, ils viennent de publier une note portant spécifiquement sur le comportement électoral des 18-34 ans à l’élection présidentielle de 2022. Cette enquête par sondage ausculte non seulement leur degré de participation, mais aussi les candidatures qui ont eu leur préférence.

Il en ressort l’image d’une jeunesse au comportement électoral bien distinct des autres classes d’âge, mais qui n’en est pas pour autant homogène dans ses choix.

En premier lieu, le scrutin de 2022 a confirmé sa propension supérieure à l’abstention. « Le différentiel entre les jeunes et leurs aînés persiste, écrivent Laurent Lardeux et Vincent Tiberj, même si cet écart était beaucoup plus marqué lors des régionales et départementales de 2021 : 67 % des 18-24 ans et 61 % des 25-29 ans déclarent avoir participé aux deux tours des élections présidentielles contre 86 % pour les plus de 35 ans. »

On le voit, la participation est au plus bas chez les personnes sur la fin de leur vingtaine. Pour celles qui sont plus jeunes, le fait de vivre encore chez leurs parents, ou d’être encore scolarisées, favorise le fait de « jouer le jeu » d’une expérience civique qui est souvent la première. Plus tard, entre 30 et 35 ans, la participation est encore basse en comparaison des plus vieux, mais se « normalise », sans doute en raison d’une plus grande stabilité résidentielle, familiale et professionnelle que durant la vingtaine.

De manière générale, les deux chercheurs invoquent trois types de facteurs pour comprendre cette moindre propension à aller voter. Il y a d’abord un « effet cycle de vie », avec une période où l’on apprivoise l’offre politique et ses codes, tout en accédant difficilement à une véritable autonomie matérielle.

Il y a ensuite un « effet de génération », c’est-à-dire la montée structurelle d’un « régime de citoyenneté » où le vote est de moins en moins considéré comme un devoir à accomplir. Cet effet peut être maximisé par un « effet de période », dans la mesure où ces dernières années sont marquées par une défiance vis-à-vis des partis qui se situe à des niveaux très élevés dans le corps citoyen.

Il y a enfin le fait que les plus jeunes sont particulièrement touchés par le phénomène de « mal-inscription » sur les listes électorales. On apprend dans l’enquête publiée par l’Injep que « 27 % des 25-29 ans déclarent être inscrits dans une autre commune que leur commune de résidence, contre 6 % des 50-64 ans ou 3 % des plus de 65 ans ».

Notons cependant que tous ces facteurs n’ont pas la même incidence selon le niveau d’instruction, les milieux sociaux des jeunes concernés, et leur degré de précarité. Plus ce dernier est élevé, par exemple, plus la tendance à participer est faible : « Parmi les moins précaires, 77 % des jeunes ont voté aux deux tours (78 % tous âges confondus). En revanche, dans le tiers le plus précaire, seuls 54 % des moins de 35 ans ont voté aux deux tours (66 % tous âges confondus). » L’appartenance de genre, en revanche, n’a pas d’effet.

Une polarisation entre les votes Mélenchon et Le Pen

Le comportement des cohortes électorales les plus jeunes se distingue en second lieu par les candidatures sur lesquelles se portent leurs suffrages, lorsqu’elles décident d’aller mettre un bulletin dans l’urne.

Fait intéressant, on ne retrouve pas, chez les 18-34 ans, la fameuse « tripolarisation » du champ politique observée pour l’ensemble de l’électorat. Auprès de ce dernier, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont quasiment fait jeu égal, un peu au-dessus de 20 % des votes exprimés, tandis qu’Emmanuel Macron les devançait de 5 à 7 points. Cette domination du président sortant ne retrouve plus chez les plus jeunes – et loin de là, puisque son score est alors divisé par deux.

Les candidats de gauche et de droite radicales recueillent quant à eux près de deux tiers des voix chez les 18-34 ans, contre moins de la moitié auprès de tous les électeurs s’étant exprimés. Et si Mélenchon se fait devancer de peu par Marine Le Pen chez les 25-34 ans, il la surclasse chez les plus jeunes électeurs et électrices (c’est d’ailleurs la seule classe d’âge où il y parvient).

« Sans doute que se joue ici […] une insatisfaction spécifique des plus jeunes à l’endroit de celui qui a exercé le pouvoir lors de ces cinq dernières années, écrivent Lardeux et Tiberj. Certains ont pu y voir l’exemple d’une “radicalité” de la jeunesse favorable d’abord à la gauche de la gauche, puis à l’extrême droite, qui pourrait passer avec le temps. C’est encore trop tôt pour le dire. On pourrait aussi y voir un effet de génération, appelé à perdurer et donc à durablement structurer les équilibres politiques et partisans français. »

Là encore, en tout cas, les différences sociologiques internes aux 18-34 ans ont leur importance. Emmanuel Macron n’est véritablement surreprésenté, avec des scores proches de son niveau national, qu’auprès des segments les plus stables économiquement, les plus instruits, et appartenant aux catégories supérieures du salariat. À l’inverse, Marine Le Pen remporte ses meilleurs scores chez les moins diplômés et dans les catégories ouvrières.

L’électorat « jeune » de Jean-Luc Mélenchon, en comparaison, est beaucoup plus équilibré que ceux de ses adversaires, ses scores évoluant confortablement entre 30 et 40 % selon les profils sociodémographiques. Sa singularité la plus saillante reste sa surreprésentation manifeste chez les personnes racisées, déclarant au moins une « ascendance migratoire du Maghreb » et/ou se déclarant de religion musulmane. Elles ont clairement perçu le candidat insoumis comme celui qui répondait le mieux à leur aspiration à moins de discrimination.

L’importance de la dimension culturelle de la compétition politique

L’autre résultat auquel aboutit l’enquête de l’Injep, qui contribue encore à démarquer les plus jeunes vis-à-vis de l’ensemble des citoyens, est le constat de l’importance maximisée, en leur sein, de la variable dite « culturelle » dans leur choix de vote.

Cela ne veut pas dire que la variable socioéconomique, concernant l’intervention de l’État dans l’économie et le niveau de redistribution des richesses qu’il assure, ne compterait plus. Mais le poids de la variable culturelle, qui recouvre les enjeux de multiculturalisme, d’immigration, d’autorité et de droits des femmes et des minorités sexuelles, a eu tendance à augmenter de manière générale durant les dernières décennies. Et plus que dans d’autres classes d’âge, elle a tendance à être surdéterminante chez les jeunes.

« C’est particulièrement visible s’agissant du vote pour Marine Le Pen, affirment les auteurs de la note. Les chances de voter pour cette candidate dépendent essentiellement des valeurs culturelles des répondants. » Parmi les 18-34 ans qu’ils ont identifiés comme les plus conservateurs, le vote en faveur de la candidate du Rassemblement national est en effet le plus élevé (jusqu’à 60 %, un niveau bien supérieur à celui qu’elle obtient chez les séniors les plus conservateurs).

Ensuite, plus le niveau de libéralisme culturel s’accroît, plus Marine Le Pen décroche, et cela de manière très nette, quel que soit le degré d’attachement à la redistribution des segments concernés.

À l’inverse, Jean-Luc Mélenchon obtient des scores faméliques parmi les 18-34 ans qui sont les plus conservateurs, n’atteignant que 10 % parmi les plus redistributeurs d’entre eux. Son score démarre en revanche à 20 % auprès de celles et ceux qui sont les plus défavorables à la redistribution mais les plus progressistes sur le plan culturel (un niveau plus de deux fois supérieur au score qu’il obtient chez les séniors qui combinent les mêmes attitudes culturelles et économiques).

Ces indices confortent bien la thèse de la note, selon laquelle, « parmi les millenials [la génération née entre 1980 et 2000 – ndlr], les valeurs culturelles structurent de plus en plus leurs choix électoraux, en faveur des candidats favorables à la diversité ou qui s’y opposent ».

Le constat a son importance : le degré de libéralisme culturel ayant tendance à progresser avec le renouvellement générationnel, cela signifie que la course aux thèmes réactionnaires risque d’être perdante stratégiquement, en plus d’être peu honorable éthiquement.

Fabien Escalona


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