Grève victorieuse des auxiliaires de vie à Caen : « L’esclavage moderne, c’est fini »

mercredi 21 décembre 2022.
 

Une dizaine d’employées de Domidom, filiale du groupe Orpea, ont fait 45 jours de grève pour obtenir de meilleures conditions de travail et des revalorisations salariales. Les avancées qu’elles ont obtenues vont bénéficier à près de neuf cents salariées de l’entreprise en France.

« Ce mouvement nous a unies, renforcées. On ne se connaissait pas avant. Maintenant, on est soudées. Il n’y a pas de mots pour exprimer ce que l’on ressent. » Angelika Osmane, 48 ans, auxiliaire de vie chez Domidom, filiale depuis 2014 du célèbre groupe Orpea, se dit fière de ce qu’elle et « les filles » ont accompli. Et il y a de quoi.

Au bout de quarante-cinq jours de grève, une dizaine de salariées de l’antenne Domidom de Caen, émargeant à environ 1 300 euros net par mois, ont fait plier leur employeur et obtenu de substantielles avancées sociales. Non seulement pour elles, mais aussi pour les autres employées de la filiale d’Orpea, spécialisée dans l’aide à domicile aux personnes âgées et aux personnes handicapées.

« Comme elles le disent souvent, ce sont quelques petits bouts de femmes qui ont réussi à faire plier l’un des numéros 1 du secteur lucratif pour l’aide à domicile », applaudit Allan Bertu, secrétaire de l’union départementale CGT du Calvados. « On a fait avancer la situation de près de neuf cents employées Domidom. C’est énorme », renchérit Angelika Osmane, attablée dans un café de Caen quelques jours après la fin de la grève. Elles ont en effet arraché des améliorations valant pour toutes les employées de Domidom.

« La nouvelle direction veut promouvoir un dialogue social constructif, dynamique et pluriel, et est pleinement satisfaite de cet accord. Les attentes des collaboratrices sont fortes compte tenu de l’absence de dialogue social et d’ouvertures de négociations dans les années antérieures », réagit de son côté la directrice des relations presse d’Orpea. La direction a été remplacée au printemps, à la suite du scandale déclenché par la publication en janvier du livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet, qui a mis en lumière la maltraitance ayant cours dans les Ehpad du groupe.

Le protocole d’accord validé le 30 novembre prévoit une revalorisation salariale de 9 % en moyenne, et surtout une augmentation de l’indemnité kilométrique, de 0,31 à 0,45 euro par kilomètre. Cet élément est fondamental pour des salariées qui arpentent les routes chaque jour, afin d’apporter des soins et un peu d’humanité à des personnes fragiles et dépendantes.

L’accord mentionne également le renouvellement du comité social et économique (CSE) de la filiale, jusque-là défaillant, la création d’un régime de prévoyance ou encore l’ouverture de négociations pour le versement d’une indemnité repas – faute de moyens et de temps, les travailleuses sont souvent contraintes de manger dans leur véhicule entre deux visites.

Ce conflit social victorieux a démarré le 18 octobre, jour de mobilisation nationale pour une hausse des salaires et la défense du droit de grève, organisée à l’appel de plusieurs syndicats. Les auxiliaires de vie et les aides ménagères de Domidom Caen décident de participer au mouvement. « L’élément déclencheur a été le prix du gazole, commente Angelika Osmane. Le prix du litre atteignait les 2 euros à la pompe et on était remboursées à hauteur de 0,31 euro. Ce n’était plus supportable. On perdait beaucoup d’argent et nous n’arrivions plus à boucler les fins de mois. »

« Des collègues se mettaient en arrêt maladie la dernière semaine du mois car elles n’avaient plus assez d’argent pour payer le gazole. Il fallait choisir entre payer le carburant, le loyer et nourrir les enfants », illustre Chloé Benard, 26 ans, auxiliaire de vie gréviste, aux sept années d’ancienneté. Une situation documentée par Mediapart dans un récent article.

Spontanément, elles se lancent dans une grève illimitée

Au soir de la journée d’action, de manière spontanée et via leur téléphone, plusieurs employées – deux aides ménagères et dix auxiliaires de vie non syndiquées – se concertent et décident d’engager un mouvement de grève illimité. « C’est rare et courageux », note Arthur Delaporte, député PS Nupes (Nouvelle Union populaire, écologique et sociale) du Calvados, très impliqué dans le soutien aux grévistes.

L’élu a notamment participé à une réunion de négociation au siège d’Orpea à Puteaux (Hauts-de-Seine). Il a aussi convié les grévistes à l’Assemblée nationale, où elles ont participé à une rencontre avec le député LFI (La France insoumise) François Ruffin, accompagné de salariés de l’entreprise Geodis.

« Les auxiliaires de vie et les aides ménagères sont souvent isolées les unes des autres, mal payées », rappelle Angelika Osmane. « Ce sont souvent des femmes seules avec enfants et peu de ressources », ajoute Allan Bertu, de la CGT. Et pourtant, la mayonnaise a pris. Un piquet de grève s’est organisé devant le siège de l’agence Domidom de Caen. « On a démarré, on n’avait rien. À part un marqueur et un drap blanc », se souvient Chloé Benard.

Mais, rapidement, les soutiens affluent et permettent à ce mouvement désorganisé et spontané de se structurer. « Des syndicalistes CGT de chez Enedis, tout proche de l’agence, des gens de Sud-Santé, des politiques, du NPA [Nouveau Parti anticapitaliste – ndlr] ou de la Nupes, les “gilets jaunes” de Caen, tous nous ont soutenues et aidées », se souvient Angelika Osmane, qui n’en revient toujours pas de « cet élan de solidarité ». Elle évoque aussi le soutien d’une avocate venue devant le piquet de grève pour proposer « bénévolement » ses services.

Nous appelons à ce que des avancées puissent rapidement être actées afin de mettre fin à ce mouvement de grève préjudiciable à tous. Nous vous remercions donc d’ouvrir de vraies négociations.

Courrier à la direction signé par cinq députés de la majorité

La réussite de ce mouvement tient aussi à l’aide financière apportée aux grévistes, salariées aux revenus particulièrement modestes. « Ça a été très dur mais on a pu tenir, au moins pour pouvoir payer les loyers, grâce à la caisse de grève, à une cagnotte en ligne et plusieurs initiatives organisées pour nous soutenir », explique Angelika Osmane.

La CGT du Calvados a apporté un soutien « politique et juridique », en participant notamment à certaines réunions de négociations ou encore en appelant les élus locaux à se mobiliser. Un travail de lobbying qui a payé dans la dernière ligne droite du conflit : le 21 novembre, cinq députés du Calvados appartenant à la majorité présidentielle (Horizons et Rennaissance) ont adressé un courrier à Aurore Capitaine, directrice des opérations chez Domidom.

« Nous appelons à ce que des avancées puissent rapidement être actées afin de mettre fin à ce mouvement de grève préjudiciable à tous. Nous vous remercions donc d’ouvrir de vraies négociations avec les représentants des personnels et de nous informer de vos retours sur tout ce que vous mettrez en œuvre pour sortir par le haut de ce blocage particulièrement marquant et préoccupant sur notre territoire », écrivaient les cinq parlementaires, accentuant encore un peu plus la pression sur Orpea et Domidom.

Piquet de grève devant le siège parisien

« Après le scandale, Orpea doit communiquer aujourd’hui sur une image renouvelée, celle du bon employeur. C’est un des ingrédients de la réussite de ce mouvement », décrypte Arthur Delaporte, déplorant toutefois « qu’Orpea ait perdu un mois pour sortir de la grève en bloquant sur la question du panier-repas ».

« Dès le 9 novembre, un accord de revalorisations salariales significatives a été signé. En dépit de ces avancées, le mouvement avait été reconduit sur l’agence de Caen par huit salariés (sur 37) sur la base de nouvelles revendications. Ces dernières ne pouvaient aboutir car contraires au principe d’égalité de traitement entre tous les salariés de notre entreprise », expose la directrice des relations presse d’Orpea.

La direction du groupe privé avait adopté au départ une position dure. « Dans les premières réunions, ils refusaient le principe d’une augmentation des salaires, tout en lâchant du lest sur le panier-repas », explique Allan Bertu. « Après, ils ont commencé à bouger sur les salaires mais en refusant d’avancer sur le panier-repas, dans une forme de chantage », ajoute le syndicaliste.

Selon Angelika Osmane, la première proposition de revalorisation s’établissait « à 2 % », soit largement en dessous de l’inflation de 6,2 % sur un an. Mais le rapport de force politique et l’obstination des grévistes ont fini par opérer la bascule. « Dans la dernière ligne droite, l’installation d’un piquet de grève directement devant le siège du groupe Orpea à Paris a eu aussi son petit effet », raconte Allan Bertu, ajoutant que « les revendications des salariés du soin et du lien sont vues comme particulièrement légitimes par l’opinion publique ».

Satisfaite, Angelika Osmane attaque aujourd’hui l’exécutif ainsi « qu’Élisabeth Borne et ses tailleurs à 3 000 balles », qui « n’ont rien fait pour les grévistes durant les 45 jours de mouvement ». « Alors que pendant la crise Covid nous étions “essentiels”, on a été exclus du Ségur », souligne l’auxiliaire de vie, en référence au Ségur de la santé, où le gouvernement a accordé à l’été 2020 des augmentations aux soignant·es, mais pas à l’ensemble des employé·es du médico-social.

« Le temps des rois, l’esclavage moderne, c’est fini », conclut celle qui a rejoint la CGT pendant le mouvement. « Sept grévistes ont adhéré au syndicat et une section syndicale est en cours de formation », rapporte Allan Bertu. « Depuis l’été, il y a eu sept conflits sur des revendications salariales dans le Calvados, dans des boîtes où la culture syndicale était relativement faible, relève le militant CGT. Et cela a payé à la fin. »

Manuel Sanson


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