Au PCF, l’opposition à Fabien Roussel fait entendre sa voix

vendredi 16 décembre 2022.
 

Après un Conseil national tendu, le projet de la direction du parti communiste pour le prochain congrès n’a obtenu que 58 % des suffrages exprimés. Un appel signé par trente-cinq cadres critique une perte de boussole idéologique. Un événement, dans un parti aux habitudes légitimistes.

Est-ce un début de fronde ? Les oppositions internes à Fabien Roussel, élu il y a quatre ans sur la promesse d’une réaffirmation identitaire du Parti communiste (PCF), sont sorties de leur réserve lors d’un conseil national (CN) tendu, les 3 et 4 décembre à Paris. Alors que le parti centenaire prépare son 39e congrès, prévu à Marseille (Bouches-du-Rhône) début avril 2023, le résultat du vote sur le projet de « base commune » de la direction, censé fixer les grandes orientations pour les quatre prochaines années, témoigne d’une défiance qui gagne du terrain.

Le texte présenté par la direction a certes obtenu 58 % des suffrages exprimés par les membres du CN (composé de la direction et des cadres intermédiaires du parti) : 84 voix pour, 55 contre et 5 abstentions sur 185 inscrits. Sur le papier, Fabien Roussel peut donc se targuer d’avoir obtenu une majorité (qui n’équivaut cependant qu’à 45 % du total des membres du CN, en comptant les absent·es).

Premier discours de Fabien Roussel comme secrétaire nationale du PCF, lors du congrès de novembre 2018 à Ivry. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart « Ce résultat montre qu’il y a un débat dans le parti, mais qu’une très large majorité de la direction, des secrétaires départementaux – et je suppose des adhérents – se retrouvent dans l’orientation proposée », défend Christian Picquet, proche du secrétaire national, qui préside la commission du texte. Il voit même dans ce résultat « l’indice d’une progression significative », car la proposition de candidature de Fabien Roussel à la présidentielle n’avait obtenu que 52% des voix du CN en 2021.

La fracture

Il n’en demeure pas moins que le PCF est « fracturé en deux », comme le dit l’ancienne secrétaire nationale de l’Union des étudiant·es communistes (UEC), Anaïs Fley, qui siège au CN. Le « grand parti de la classe ouvrière » avait en effet habitué ses adhérent·es à davantage de légitimisme : « Ce n’est pas dans la culture communiste d’avoir un résultat comme celui-ci. D’habitude on évite d’avoir des votes qui se divisent. Là, il y a eu un gros débat sur le texte, qui n’a pas évolué car son sens n’était pas amendable », décrit Hadrien Bortot, secrétaire de section dans le XIXe arrondissement de Paris, présent ce week-end sous la coupole de Colonel-Fabien, le siège du PCF.

Signe supplémentaire de crispation : à la demande de Fabienne Haloui, secrétaire fédérale du PCF du Vaucluse, le vote s’est fait à bulletin secret, ce qui a irrité la direction. « Ce n’est pas commun au PCF de faire un vote à bulletin secret, confirme Christian Picquet. Je ne suis pas convaincu que ça avait véritablement un objet, mais c’est de droit dans nos statuts, et on y a accédé, ça ne nous a pas effrayés. »

Mardi 6 décembre, trente-cinq membres du CN ont cependant signé un appel confirmant l’ouverture d’un front oppositionnel. Parmi les signataires, des habitué·es de la fronde qui avaient notamment soutenu le texte « Pour un printemps du communisme » en 2018 (12 % des suffrages exprimés), comme Frank Mouly. Mais aussi des proches de l’ancien secrétaire national, Pierre Laurent, qui n’ont pas pour habitude de sortir du rang.

Il y a la tentation de la direction de faire un congrès pour ou contre Fabien Roussel. Or le fond du débat est stratégique.

Hadrien Bortot, membre du Conseil national

Ils affirment que le texte de la direction « ne fait pas base commune », et regrettent en particulier une « non-prise en compte du risque imminent de prise de pouvoir par l’extrême droite » et « l’absence de discussion ouverte sur la Nupes et sur la conception du rassemblement portée par le PCF ». « Il y a la tentation de la direction de faire un congrès pour ou contre Fabien Roussel. Or le fond du débat est stratégique, politique, il s’agit d’une vision de ce que doit être le PCF dans la gauche », commente Hadrien Bortot, un des signataires. S’ils réunissent trois cents cotisants venant d’au moins trente fédérations d’ici le 8 janvier, il y aura donc une base commune alternative de leur part.

En cause, des divergences sur le bilan électoral du parti ces quatre dernières années : « L’objectif de la direction est de dire qu’on a volé de victoire en victoire pendant quatre ans… Comment construire une suite qui ait un tout petit peu d’efficacité à partir d’un bilan aussi déconnecté de la réalité ? », s’inquiète ainsi Frank Mouly, qui a manifesté sa « surprise » au CN.

Les communistes se divisent aussi sur l’analyse de la présidentielle. La direction met le score décevant de Fabien Roussel (2,3 % des suffrages exprimés) sur le compte de « l’hyper-présidentialisation de la vie politique » dont aurait bénéficié Jean-Luc Mélenchon. La stratégie de celui-ci, qualifiée à plusieurs reprises dans le texte de « populiste de gauche », aurait permis de répondre à « l’attente de radicalité de certains secteurs de la société et de tout un pan de la jeunesse, mais [en] ignorant délibérément la question stratégique clé de la reconquête des fractions du monde du travail qui se sont détournées de la politique ».

Le spectre de l’extrême droite

Quant à la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes), elle a atteint un « plafond de verre », lit-on dans le texte qui sera bientôt envoyé aux adhérent·es. « Manifestement, Jean-Luc Mélenchon pense que le monde du travail, le salariat, doit se fondre dans un peuple qu’il mythifie, critique Christian Picquet. Il dit que le peuple est le nouvel acteur du changement, qui a son expression politique à travers LFI. Nous, nous disons que l’acteur du changement est le monde du travail, qui est la force motrice de l’union de tous ceux qui ont intérêt au dépassement du capitalisme. »

Cette manière de suggérer, en creux, que la Nupes serait le réceptacle d’une gauche « sans le peuple » a été contestée pendant le CN par des délégués soucieux de travailler au rassemblement à gauche. « Le rôle du PCF serait, pour la direction, d’aller conquérir des électorats des zones rurales et périphériques, mais poser la question en ces termes, c’est tomber dans un piège, estime ainsi Antoine Guerreiro, ancien secrétaire national de l’UEC et militant dans le Val-de-Marne. C’est faire fi de toutes les catégories de population qui se sont rassemblées autour de la Nupes, comme s’il fallait les séparer des autres. De plus, si la Nupes ne suffit pas, alors il faut proposer autre chose qui puisse faire ses preuves. »

« Ce texte est habilement construit, mais on se pose comme des donneurs de leçons, et on ne prend aucun engagement. C’est la porte ouverte à ce qu’au final, toute la ligne politique du parti soit dictée par Fabien Roussel », abonde la jeune membre du CN Anaïs Fley. Les sorties médiatiques de celui-ci, comme sur la « gauche des allocations » à la Fête de l’Humanité en septembre, ou encore ces jours-ci sur le référendum sur les retraites (dans une interview à Ouest-France, il déclare que le PCF est le « meilleur allié » des chefs d’entreprise, et qu’il vaut mieux un référendum « qu’un blocage du pays, avec manifs, grèves et compagnies ») ont fini par lui valoir des inimitiés.

Chacun à gauche doit faire une analyse critique, y compris le PCF. Chaque force de gauche travaille bien trop souvent dans son propre couloir.

Laurence Cohen, sénatrice et membre du Conseil national du PCF Enfin, le danger d’une possible accession au pouvoir de l’extrême droite en 2027 est négligé aux yeux de ces communistes, hétérodoxes malgré eux. « On a en France une gauche extrêmement affaiblie et un Rassemblement national en dynamique. Dans cette situation, chacun à gauche doit faire une analyse critique, y compris le PCF. Chaque force de gauche travaille bien trop souvent dans son propre couloir », affirme la sénatrice communiste Laurence Cohen, qui appelle de ses vœux « un texte qui ne donne pas dès le départ des conclusions ».

Certains communistes ne digèrent pas le choix fait en 2022 d’une candidature « quoi qu’il en coûte » de Fabien Roussel, alors que le Rassemblement national (RN) aurait pu être éliminé au premier tour : « Alors que l’exigence d’empêcher l’extrême droite d’accéder au second tour montait dans la campagne, on est apparu comme un obstacle à cet objectif, avec les conséquences que l’on sait : la force de propulsion dont le RN a bénéficié pour les législatives. C’est une faute grave, qui est passée sous le tapis », juge ainsi Frank Mouly.

Les critiques longtemps restées mezza-voce à l’intérieur du PCF se font donc entendre plus distinctement. De là à présager un résultat inattendu au congrès d’avril, il y a cependant un pas. En 2018, le courant des « rénovateurs » ne pesait plus que 12% des voix. Cette fois-ci, une alliance avec d’anciens soutiens de Pierre Laurent pourrait se dessiner.

Celui-ci, qui préside le Conseil national, avait réuni 38 % des voix en 2018 sur sa propre « base commune ». Pour la première fois de l’histoire du PCF, les militants communistes avaient mis en minorité leur équipe dirigeante, propulsant Fabien Roussel à la tête du parti. Un coup de tonnerre que certains espèrent désormais répéter, en sens inverse.

Mathieu Dejean


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