« Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » : Macron, ou l’écologie du renoncement

mercredi 11 janvier 2023.
 

Stupéfiant, affligeant et inexcusable. C’est ainsi qu’il faut qualifier le propos d’Emmanuel Macron sur la « crise climatique » lors de ses vœux aux Français. Parce qu’il invisibilise les alertes des scientifiques bien sûr. Mais aussi (et surtout ?), parce qu’il incarne le refus entêté et coupable de changer de logiciel idéologique face à l’urgence climatique et à l’effondrement de la biodiversité.

Voilà une belle prouesse. Il faut être diablement doué pour arriver à décevoir un auditoire qui n’attend pas grand chose de votre allocution télévisée. C’est pourtant l’exploit que vient de réaliser Emmanuel Macron lors de ses vœux à la Nation en laissant entendre que les « effets spectaculaires » du réchauffement climatique que la France a connu en 2022 étaient imprévisibles : « qui aurait pu prédire (…) la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ? » a-t-il demandé. Climatologues, expert.es et militant.es pour le climat, pour la plupart tombés de leurs chaises, ne s’en sont toujours pas remis.

Précisons immédiatement : cette phrase n’a rien d’anodin. On ne parle pas ici d’une petite phrase captée au débotté et au détour d’un dialogue spontané. Non, on parle ici d’une phrase d’un discours de vœux, soit l’un des discours les plus relus et corrigés de l’année. Relu et corrigé par le Président de la République lui-même, mais aussi par plusieurs de ses conseillers, avant que ce discours soit mis sur prompteur, enregistré et que l’allocution soit validée pour diffusion. Que cette phrase hallucinante – également présente dans la version écrite des vœux – ait été maintenue n’est donc pas une maladresse fortuite.

Depuis cette allocution, plusieurs articles de presse, s’appuyant sur les réactions de climatologues le plus souvent sidérés ainsi que sur le 6ème rapport du GIEC publié en trois volets entre août 2021 et avril 2022, détaillent par le menu pourquoi les « effets spectaculaires » du réchauffement climatique que la France a connu en 2022 étaient plus que prévisibles. Ce n’est donc pas l’objet de ce post de blog de procéder à ces énièmes rappels, bien qu’ils soient visiblement nécessaires (lire l’article de Thomas Baïetto pour France Info par exemple).

De quelle écologie « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » est-elle le nom ?

En 2023, après plus de trente ans d’alerte du GIEC, un président ne devrait pas dire ça. Non, il ne devrait pas. Et pourtant Emmanuel Macron l’a fait. Littéralement stupéfiant. Affligeant aussi : en plus de 18 minutes d’allocution, c’est l’un des deux seuls très courts moments où l’urgence climatique est évoquée. Le Président de la République aurait cherché à effacer la responsabilité des élites politiques et économiques dans l’absence de réponse adéquate face à la crise climatique qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Voilà une nouvelle éclatante illustration du fait qu’une (grande) partie de ces élites n’ont pas pris la mesure du problème. Malgré les alertes, les formations, les appels divers et variés, les enjeux ne sont pas compris, volontairement ou pas.

Quoi qu’en dise le zélé Pascal Canfin dans Le Monde, c’est enfin inexcusable. Inexcusable, parce qu’à l’heure des 8°C d’excédent thermique que nous avons venons de connaître par rapport aux normales de saison, aucune place ne devrait être laissée au doute à propos des conséquences actuelles et à venir du réchauffement climatique : ces conséquences sont documentées et prévisibles et la fréquence et l’intensité de ces phénomènes climatiques extrêmes devraient encore s’accroître. NOUS LE SAVONS ! Laisser planer le flou, comme le fait Emmanuel Macron revient à faire le lit des climato-rassuristes.

Comme l’illustrent les 24°C à Dax ou les 18,6°C à Strasbourg de ces derniers jours, qui font de cet hiver une fin de printemps, les terribles conséquences du réchauffement climatique sur nos vies devraient mobiliser non pas deux (mauvaises) phrases d’une longue allocution de voeux de 18 minutes, mais en structurer la logique. Malheureusement, après l’année que nous venons de vivre, la plus chaude jamais enregistrée en France, qui a vu nos forêts brûler, nos glaciers fondre, nos lacs et rivières s’assécher, nos cultures agoniser, et chacun.e d’entre nous souffrir – 11 000 morts vraisemblablement causés par la canicule – Emmanuel Macron a renoncé à proposer une réponse à la catastrophe écologique à laquelle nous sommes confrontés.

Retraites, travail, SNU, écologie du renoncement : notre jeunesse mérite mieux.

Qu’a-t-il dit à notre jeunesse qui, déjà sacrifiée pendant deux ans sur l’autel de la pandémie de COVID19, s’inquiète à propos des conditions de pérennité de la vie sur la planète Terre ? Il lui a parlé jusqu’à saturation de retraites et de travail – et de la mise en service d’un service national universel – lui proposant d’être une « génération de bâtisseurs », là où il faudrait d’abord lui donner les moyens d’être une « génération de protecteurs » face aux destructions en cours : protéger la biodiversité et le vivant, lutter contre le réchauffement climatique, réduire les pollutions, prendre soin des plus précaires et vulnérables. Voilà un horizon et une espérance collective légitimes auxquels Emmanuel Macron a visiblement renoncé.

Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait fait de la transition écologique le « combat du siècle » promettant que « le quinquennat serait écologique ou ne serait pas » (16 avril 2022, Marseille). Nous avons la réponse : sur les neuf premiers mois de l’année 2022, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué d’à peine 0,3% par rapport à la même période en 2021 (baromètre Citepa), alors qu’il faudrait qu’elles baissent de 4,7% chaque année jusqu’en 2030 (rapport du Haut Conseil pour le climat). Avec de tels résultats scolaires, le redoublement serait assuré. Pas ici. Pire, Emmanuel Macron reste muet à ce sujet : il a déjà renoncé à faire de la lutte contre le réchauffement climatique le fil directeur du quinquennat.

L’année 2023, cruciale sur le plan climatique, évincée des priorités de l’année par E. Macron

L’année 2023 est pourtant absolument cruciale en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Sur le plan international d’abord (bilan de l’action climatique mondiale prévue par l’Accord de Paris). En France également, pour (tenter de) rattraper les retards accumulés. Mais aussi parce que c’est en 2023 que doivent être publiées la première Loi de programmation énergie-climat (LPEC), ainsi que les troisièmes éditions de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), du Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) et de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 2024-2033). Face à l’urgence climatique, ainsi que face à notre dépendance énergétique générant des faiblesses criantes (approvisionnement, inflation, fermetures d’usines et d’activités, etc), voilà qui devrait mobiliser toutes les forces du pays : on ne fera pas -55% de CO2 d’ici à 2030 en divisant le pays sur les retraites et en éludant les difficultés. Emmanuel Macron n’en a pas dit mot. Il a renoncé.

L’écologie d’Emmanuel Macron est donc une écologie du renoncement. Une écologie qui nie l’évidence ou qui feint de s’interroger sur la prévisibilité des phénomènes climatiques extrêmes. Une écologie qui refuse de faire de la lutte contre le réchauffement climatique le fil directeur du quinquennat : imagine-t-on ce qu’il serait possible d’accomplir si les 150 milliards € d’aides publiques annuelles au secteur privé étaient conditionnées à la réduction des émissions de GES ? Une écologie qui refuse de changer de modèle, d’introduire des normes contraignantes, d’abandonner l’impératif de croissance, d’arrêter de faire une confiance aveugle envers le marché et les promesses de ruptures technologiques à venir. C’est enfin une écologie qui renvoie aux individus la responsabilité de la mise en œuvre de la sobriété énergétique, là où il faudrait au contraire des politiques publiques structurantes pour que les gestes de chacun contribuent véritablement à changer nos modes de vie.

En matière de climat et d’écologie, Emmanuel Macron a donc déjà renoncé, si tant est que ce fut une promesse sérieuse, à faire de son quinquennat un « quinquennat écologique ».

Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022).


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