Des socialistes anti-Olivier Faure ont offert un million d’euros au Parti radical de gauche

dimanche 15 janvier 2023.
 

Des candidats aux législatives soutenus par Carole Delga, Stéphane Le Foll et Bernard Cazeneuve ont attribué leur financement électoral, pour un montant global de plus d’un million d’euros, au Parti radical de gauche. Certains proches du premier secrétaire du PS y voient la constitution d’un pécule en vue d’une scission après le congrès qui s’ouvre jeudi. Les intéressés démentent.

Ils se veulent plus socialistes que les socialistes, pleurent la grandeur perdue du parti de Jaurès, poussent des cris d’orfraie contre ceux qui, en l’« inféodant » à Jean-Luc Mélenchon, voudraient dissoudre la « vieille maison » dans la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes)… Pourtant, lors des législatives de juin, vingt-cinq candidats socialistes opposés à la ligne du premier secrétaire Olivier Faure, dissidents ou non, se sont affiliés en préfecture, en toute discrétion… au Parti radical de gauche (PRG).

Cette opération coordonnée a conduit à priver le Parti socialiste de plus d’un million d’euros de financement électoral, selon les calculs de Mediapart, sur la base de données publiées par le ministère de l’intérieur (accessibles ici). Et à la veille du congrès du PS, qui s’ouvre ce jeudi 12 janvier par le vote sur les motions, elle interroge sur l’éventualité d’une scission, préparée de longue date, en cas de réélection d’Olivier Faure à la tête du parti.

Parmi les fonds dont bénéficiera le PRG, dirigé par Guillaume Lacroix, figurent en premier lieu plus de 900 000 euros, versés par l’État au titre du nombre de voix obtenues au premier tour des législatives par les vingt-cinq candidats socialistes, la plupart dissidents. À ce montant étalé sur les cinq ans de la législature, il faut ajouter 37 000 euros attribués chaque année par l’État pour chaque député élu (quatre en l’occurrence).

Une somme pour le moins rondelette qui fait les affaires du Parti radical, lequel a refusé de rejoindre la coalition formée par la Nupes, en juin dernier et dont plusieurs membres ont rejoint Emmanuel Macron en 2017. « Pendant des années, le PS est venu jouer les trouble-fêtes au PRG, c’est une petite revanche », glisse Guillaume Lacroix, qui ne boude pas son plaisir de voir l’ancien petit parti satellite du PS tirer son épingle du jeu.

Mais l’histoire fait voir rouge à la direction actuelle, où l’on accuse ces socialistes, qui ont pour point commun de soutenir les motions des deux opposants au premier secrétaire, Hélène Geoffroy et Nicolas Mayer-Rossignol, de trahir le parti. Contacté, Olivier Faure n’a pas souhaité répondre à nos questions à ce stade.

« Les mêmes qui nous reprochent sur tous les tons l’effacement du PS avec la Nupes et qui expliquent qu’il faut remettre le PS au cœur de la gauche sont ceux qui financent le parti d’à côté, c’est inadmissible ! », réagit Pierre Jouvet, son porte-parole, qui dit n’avoir pas eu connaissance de l’ampleur de ces « manœuvres » avant d’en avoir été informé par Mediapart.

Pendant des années, le PS est venu jouer les trouble-fêtes au PRG, c’est une petite revanche…

Guillaume Lacroix, président du Parti radical de gauche Un manque à gagner qui apparaît en tout cas « énorme » pour une formation qui vit avec une dotation publique annuelle de 4,5 millions d’euros, affirme Fatima Yadani, trésorière du PS : « Depuis 2017 et la débâcle du dernier quinquennat, nous percevions moins de 6 millions d’euros, aujourd’hui 4,5 millions [de financement public annuel, ndlr]… Imaginez ce que représente un million ! Et malgré nos efforts, certains trouvent encore le moyen de nous affaiblir en réduisant la dotation publique », déplore-t-elle, rappelant les difficultés financières auxquelles le PS doit faire face depuis plusieurs années.

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Au-delà de la question financière, se pose aussi, et peut-être surtout, la question de l’après : « Évidemment que les opposants à Faure cherchent un véhicule politique où se retrancher après le congrès. Il y a un plan structuré depuis des mois, c’est clair comme de l’eau de roche », théorise-t-on autour du premier secrétaire.

Delga, Le Foll et Cazeneuve en embuscade Les vingt-cinq candidats aux législatives qui se sont affiliés au PRG lors du dépôt de leur candidature en préfecture ont en effet pour point commun d’avoir été soutenus publiquement par des figures socialistes radicalement opposées à la ligne unitaire portée depuis un an par Olivier Faure.

À commencer par Carole Delga, la puissante présidente de la région Occitanie qui a orchestré la dissidence dans son fief, et qui soutient la candidature de Nicolas Mayer-Rossignol au congrès du PS. Mais aussi par Stéphane Le Foll, le maire du Mans, qui a soutenu cinq candidats dissidents affiliés au PRG dans la Sarthe. Ou encore, par l’ancien premier ministre de François Hollande, Bernard Cazeneuve, qui a quitté le PS l’an dernier – « un déchirement ! » –, mais qu’Hélène Geoffroy entend faire revenir au bercail en cas de victoire de sa motion « Debout les socialistes ! ».

Trois personnalités impliquées de manière plus ou moins active dans ce montage financier avec le PRG. « Disons qu’on s’est coordonné entre Occitanie en commun [le microparti de Carole Delga – ndlr] et le PRG autour des candidats dissidents », admet Guillaume Lacroix, qui refuse cependant de parler d’« accord » en bonne et due forme. Contactée par Mediapart, Carole Delga n’a pas donné suite à nos questions. Son entourage fait savoir que les données étant publiques, « il n’y a pas grand-chose à commenter ».

Autre protagoniste de cet accord qui ne dit pas son nom, l’ex-hollandais Stéphane Le Foll, aujourd’hui soutien d’Hélène Geoffroy, qui présente le montage comme une mesure de pragmatisme, destinée à l’époque à offrir une « solution », à la fois « rapide et légale », d’affiliation pour les candidats dissidents : « Moi, j’avais dit qu’il était hors de question de créer des partis particuliers, qu’il ne fallait pas faire chacun des trucs dans son coin et qu’il fallait se coordonner avec d’autres dissidents qui étaient dans la même barque. Comme des candidats radicaux s’étaient aussi présentés contre des candidats de la Nupes, c’était simple de s’affilier au PRG, c’est comme ça que ça s’est passé », narre-t-il.

« D’ailleurs, il va falloir qu’on voie avec le PRG qui a récupéré la totalité de la somme qui sera versée l’an prochain ce qu’on va faire », ajoute-t-il.

Bernard Cazeneuve affirme lui ne s’être « pas du tout, du tout, du tout » occupé du sujet des financements durant les législatives. Mais il indique être un proche de vingt ans du PRG dont il estime qu’il sera « l’une des organisations autour de laquelle, avec d’autres, il faudra travailler à la refondation d’une gauche qui ressemble davantage à ce que les militants souhaitent voir prévaloir ».

Solution de « repli » Si les candidats qui ont fait le choix de s’affilier au PRG ont en général trouvé un concurrent labellisé « Nupes » en face d’eux lors de la campagne, plus étonnant, certains d’entre eux ont été soutenus par la Nupes. C’est le cas de la socialiste mosellane Brigitte Vaïsse, qui a, à ce titre, bénéficié de la ribambelle des logos de la coalition (PS, Europe Écologie-Les Verts, PCF et La France insoumise) sur son matériel électoral. Pas de trace en revanche du logo du PRG, auquel elle a pourtant attribué son financement.

Scénario similaire du côté de Joël Aviragnet, candidat socialiste sortant, investi par la Nupes sur la 8e circonscription de Haute-Garonne malgré une directrice de campagne nommée Carole Delga, et largement élu face à un candidat du Rassemblement national le 19 juin dernier.

L’élu a en commun avec David Taupiac ou Laurent Panifous, autres députés socialistes élus au printemps, de reverser son financement électoral au PRG, et d’avoir signé une récente tribune du JDD favorable à la motion de Nicolas Mayer-Rossignol, où ils fustigent un Parti socialiste « isolé [et] effacé ». Mais, contrairement à ses deux autres collègues qui siègent dans le petit groupe Liot (plutôt proche de la majorité), il est membre du groupe socialiste au Palais-Bourbon.

Interrogé par Mediapart sur cette « bizarrerie », l’élu assume, avançant qu’au printemps dernier, les relations ont été chaotiques avec le PS. Si le PS, comme le PCF, l’ont officiellement soutenu, une candidate écologiste, Annabelle Fauvernier, s’est présentée contre lui au premier tour, avec la bénédiction de l’Insoumis Manuel Bompard, proche de Jean-Luc Mélenchon (lire notre Boite noire).

À LIRE AUSSI Le congrès du PS se résume au débat sur la stratégie de l’union 7 janvier 2023 Les dissidents de gauche en plein no man’s land politique 16 juin 2022 Cette expérience compliquée l’aurait conduit, explique-t-il aujourd’hui, à s’affilier au PRG lors du dépôt de sa candidature en préfecture. À l’instar de David Taupiac, qui garde lui aussi un souvenir cuisant des dernières législatives : « Je ne voulais pas être sous la coupe de LFI et j’ai des valeurs sociales-démocrates. Le PS n’a ni financé ma campagne, ni joué franc-jeu car il ne m’a pas informé qu’il me retirait l’investiture. Je n’ai pas trouvé ça correct de leur part, et en attendant, j’ai donné mon rattachement au PRG. Ça a été une solution de repli », indique le député du Gers, qui affirme avoir à l’époque informé la direction du parti à la rose qui n’aurait pas été surprise de son choix.

« Vu l’ambiance dans laquelle se sont déroulées les législatives, le PS savait ce que sa reddition [dans la Nupes, ndlr] voulait dire. Quand on tue des candidatures, on en assume les conséquences », abonde de son côté Laurent Ughetto, ex-premier fédéral d’Ardèche, qui s’est présenté en divers gauche dans la 3e circonscription du département face à une candidature de la Nupes avant d’être suspendu par le parti au mois de juin. Aujourd’hui soutien de Nicolas Mayer-Rossignol au congrès, il présente son choix d’avoir répondu à « l’offre » du PRG comme un choix de « cohérence ».

La méthode de certaines fédérations qui ne sont pas sur la ligne de Faure, c’était de regarder où les dissidents avaient le plus de chances de faire de bons scores et ensuite, de leur demander de cotiser au PRG. Je l’ai fait car les petits jeux du national ne m’intéressent pas.

Une ex-candidate socialiste aux législatives Une cagnotte pour préparer la sortie ? Au fond, les « fauristes » du parti craignent que ce montage financier ne constitue en réalité une première étape vers une éventuelle scission des « anti-Nupes » dans le cas où Olivier Faure serait reconduit au congrès. À moins que, comme le formule un autre cadre qui parle de « jeu déloyal », « le PRG reverse ensuite l’argent au micro parti de Delga », laquelle ne cache pas ses ambitions pour 2027.

Selon une socialiste qui cotise au PRG et qui préfère rester anonyme, cette stratégie d’autonomisation financière aurait été envisagée dès avant les législatives : « La méthode de certaines fédérations qui ne sont pas sur la ligne de Faure, c’était de regarder où les dissidents avaient le plus de chances de faire de bons scores et ensuite, de leur demander de cotiser au PRG. Je l’ai fait car les petits jeux du national ne m’intéressent pas, raconte cette ex-candidate. Quoi qu’il en soit, c’était une manière pour certaines fédérations de garder une indépendance financière et politique vis-à-vis de la direction. »

Du côté des anti-Nupes, on jure qu’aucune coalition de circonstance n’est en route et on appelle à arrêter « la parano ». « Des conversations ont déjà eu lieu, mais un scénario de désaffiliation n’est pas à l’ordre du jour », jure François Kalfon, proche d’Hélène Geoffroy, qui précise que « de toute façon, personne ne peut expliquer qu’il a un agenda de sortie à trois jours du congrès ». « Olivier Faurr a continué à exclure tout le monde. Il dit “partez, partez”. Bon très bien. Un jour ça arrivera peut-être », glisse néanmoins Stéphane Le Foll.

« Il n’y a pas d’organisation secrète, ni de contacts pour préparer quoi que ce soit, je n’ai aucune intention de me mêler de ce congrès », assure de son côté Guillaume Lacroix. Mais si, pour l’heure, « c’est ground zero », ce dernier est persuadé que dans l’espace politique qui s’ouvre entre une gauche « radicalisée » par Jean-Luc Mélenchon et un Emmanuel Macron de plus en plus droitier et qui ne pourra, qui plus est, pas rempiler en 2027, le PRG pourrait bientôt retrouver un rôle à gauche : « L’avantage qu’on a, c’est que même si on est le parti le plus ancien de France, plus personne ne sait qui on est, et qu’on n’a pas de passé à faire oublier. »

Par ailleurs, souligne-t-il, sibyllin, « le PS n’a plus rien à offrir aux “minoritaires”… Ce congrès pourrait avoir des conséquences sur les départs. Tous les partis sont morts, s’il faut créer quelque chose de neuf, on le fera ».

Si la situation reste telle qu’elle est aujourd’hui et si un très grand nombre d’électeurs et d’élus se trouvent orphelins de la gauche dont ils ont envie, ils la reconstruiront.

Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre de François Hollande

Comme un heureux hasard, Bernard Cazeneuve est attendu au prochain congrès du PRG, en mars, et y prendra la parole. Une base lancement de ce « quelque chose de neuf » ? Interrogé par Mediapart sur cette hypothèse, l’ancien premier ministre n’exclut pas cette éventualité : « Ma conviction très profonde, c’est que si la situation reste telle qu’elle est aujourd’hui et si un très grand nombre d’électeurs et d’élus se trouvent orphelins de la gauche dont ils ont envie, ils la reconstruiront », explique-t-il.

Sous quelle forme et avec qui ? « Je n’en sais rien, poursuit-il, mais de toute façon ces gens-là ne pourront pas rester comme ça orphelins, sans maison, sans toit et sans lieu où se retrouver pour dire ce à quoi ils croient. En politique, la nature a horreur du vide. »

Sarah Brethes et Pauline Graulle


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