Retraites : à l’Assemblée, la gauche offensive contre une « monstruosité »

samedi 4 février 2023.
 

L’article 1 du projet de loi « retraites » supprimant les régimes spéciaux a été adopté lors de la première journée d’examen en commission par la majorité. Le RN s’est abstenu. Dans une ambiance parfois survoltée, la Nupes a néanmoins réussi à imposer ses thèmes et son tempo.

C’est un tour de chauffe. Un moment « où on se renifle les uns les autres », dixit le socialiste Jérôme Guedj. Lundi 30 janvier, les députés se retrouvaient au sein d’une petite salle du Palais-Bourbon pour le premier des trois jours d’examen de la réforme des retraites en commission des affaires sociales.

Une séance plus symbolique qu’autre chose : l’exécutif ayant choisi d’intégrer sa loi à un texte budgétaire, aucun des amendements votés ne sera retenu dans le texte qui sera présenté dans l’hémicycle à partir de la semaine prochaine. Mais les discussions, qui se sont prolongées tard dans la nuit, ont toutefois permis à l’opposition de tester sa stratégie d’amendement, de roder son argumentaire, et de jauger les rapports de force avant le grand bain de la séance publique.

Or, sur ce point, la bataille ne fait que commencer. Certes, la gauche n’a pas obtenu d’avancée sur le plan législatif et, en fin d’après-midi, l’article 1 visant à supprimer les régimes spéciaux a été adopté. Mais elle a réussi à imposer ses thèmes et son tempo face à une extrême droite fuyante et à une majorité peu inspirée.

Dès 9 h 30 du matin, le ton était donné. Les députés de la Nupes ont débarqué en force, flanqués d’une dizaine de collègues non membres de la commission. Première prise de bec : la pièce est bondée, certains députés réclament un changement de salle.

La présidente de la commission, la députée Renaissance Fadila Khattabi, a sa manière bien à elle d’appeler au calme : « Mes chers collègues, on ouvre les chakras et on se tait ! » Les travaux démarrent. Quelques élus de la majorité grommellent au vu du nombre d’amendements à examiner.

« Monstruosité juridique »

Le débat s’engage sur l’article liminaire, relatif au cadre législatif : pourquoi l’exécutif a-t-il décidé d’utiliser un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative (PLFSS) pour faire passer la « mère des réformes » ?

Une « monstruosité juridique », dénoncent Jérôme Guedj et ses alliés de La France insoumise (LFI) qui ont fait et refait leurs calculs : entre les après-midi comptabilisés comme des journées entières et la niche parlementaire du PS qui tombera en plein milieu de l’examen dans l’hémicycle, c’est moins d’une dizaine de jours, et non vingt comme annoncé, qui seront consacrés à la grande réforme du second quinquennat d’Emmanuel Macron.

Un texte « anticonstitutionnel », juge Raquel Garrido : « Vous avez dégainé le 49-3 comme on dégaine un revolver. Avec le 47-1, vous continuez le braquage ! », cingle l’Insoumise, en référence à l’article qui permet, si le Parlement ne se prononce pas dans un délai de cinquante jours, l’adoption d’un budget avant la fin de l’année civile par ordonnance. « Entrer dans cette loi par la question des finances dit bien comment on met en danger la vie des gens pour des raisons économiques », ajoute la députée écologiste Sandrine Rousseau.

Le braquage, l’arnaque… Je ne comprends pas pourquoi vous dites cela.

Stéphanie Rist, députée Renaissance, rapporteure du projet de loi de réforme des retraites

Même le très modéré député centriste, Charles de Courson, parle de « détournement du concept de loi de financement rectificative ». Décidément, il n’y a que Stéphanie Rist, la rapporteure du texte à l’Assemblée, qui semble ne pas voir où est le problème : « Le braquage, l’arnaque… Je ne comprends pas pourquoi vous dites cela, alors que le PLFSS, c’est le véhicule pour voter l’assurance-vieillesse », plaide-t-elle.

La discussion reprend sur l’article premier et la suppression des régimes spéciaux. Un sujet sur lequel ce « gouvernement de banquiers » fait une « fixette », grince le communiste Sébastien Jumel.

C’est en tout cas l’occasion pour la gauche de rentrer dans le dur – la pénibilité au travail –, et de détailler les conséquences de cette « réforme strictement comptable » sur « la vie concrète » des gens. Que ce soit pour « Nathalie », cette chauffeuse de bus qui embauche à 4 h 30 du matin ou pour les agents de la RATP, dont un sur cinq finit en inaptitude, souligne le socialiste Arthur Delaporte.

Le Rassemblement national (RN), qui estime qu’« une politique nataliste d’envergure » et une « réindustrialisation ambitieuse de la France » suffiraient à régler le problème des retraites, n’est, lui non plus, pas fan de « la petite musique injuste qui consiste à pointer du doigt certains Français », affirme Laure Lavalette. Mais de là à s’opposer à la suppression des régimes spéciaux, il y a un pas... que la formation frontiste ne franchira pas.

Les régimes spéciaux supprimés

15 h 02. « Il ne nous reste plus que… 5 503 amendements à examiner ! », annonce la présidente de la commission qui ne se départit jamais de son humour caustique. Cette fois, ce sont les régimes spéciaux des salariés de la Banque de France, mais aussi des notaires et clercs de notaire qu’on examine.

À gauche, où l’on dénonce un « nivellement par le bas », François Ruffin voudrait au contraire du mieux pour tout le monde. « Quand dans les TER on a supprimé les premières classes, j’aurais préféré qu’on supprime les secondes et qu’on généralise les premières », lance-t-il sous les « Ooooh, c’est beau ! » moqueurs du RN.

Le Picard reste imperturbable. « Le minimum aurait été d’entendre dans ces débats le fait qu’il peut y avoir des régimes particuliers pour ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur cœur, ce que vous n’avez pas permis », déplore-t-il, accusant les macronistes d’« instiller le dégoût du travail et le dégoût de la démocratie ».

La salle s’échauffe. Sébastien Jumel vient d’évoquer les coupures d’énergie envisagées par des gaziers et des électriciens dans les permanences de députés favorables à la réforme. Une « menace ? », se récrie la majorité. Le Normand enfonce le clou : « Il y a des choses qui m’empêchent de dormir, par exemple quand on coupe l’électricité des familles qui ne peuvent pas payer leur facture… Et d’autres moins, par exemple quand ceux qui ont des manteaux de fourrure pourraient être privés de quelques heures de chauffage ! »

Nouvelles protestations sur les bancs macronistes. « Faut-il transformer l’Assemblée nationale en ZAD ? », s’émeut Charlotte Parmentier-Lecoq. « Il n’y a pas d’un côté les députés du peuple, de l’autre, les députés du capital, nous sommes tous les députés du peuple ! », rappelle, comme s’il en était besoin, son collègue « marcheur » Benoît Mournet.

La majorité décide de revenir à l’attaque contre La France insoumise qui se ferait l’apôtre du « droit à la paresse ». Alexis Corbière s’étouffe devant ces « sottises », rappelle « que quand le Front populaire a instauré le ministère du temps libre, l’Action française l’a surnommé le ministère de la paresse », et qu’il n’est jamais bon d’utiliser le vocabulaire de l’extrême droite.

Peine perdue : après sept heures d’échanges, et malgré une liasse d’amendements visant à reporter la date d’application de l’extinction des régimes spéciaux ou à en sauver certains, l’article de suppression est adopté à main levée. Malgré ses rodomontades, le RN s’est abstenu.

Un index qui laisse perplexe

Il est 21 h 02, le travail de la commission a repris après le dîner. « Nous avons trois jours, soit 28 heures devant nous. Pour finir l’examen du texte, il faudrait examiner 250 amendements à l’heure. Tout est fait pour qu’on n’attaque pas l’article 7 [sur le recul de l’âge légal de départ à la retraite – ndlr] », remarque Charles de Courson. « Il ne tient qu’à vous qu’on y arrive ! », rétorque Fadila Khattabi.

C’est du bidon !

Sébastien Jumel, député communiste

Les discussions sont relancées sur l’article 2 portant sur la création du fameux « index » qui consiste à répertorier le nombre de seniors en emploi dans les entreprises. La gauche veut aller plus loin, et adopter des sanctions pour les employeurs qui ne joueraient pas le jeu ; la majorité ne veut surtout pas « rigidifier » les process. Un amendement du communiste Pierre Dharréville qui précise les indicateurs de l’index est adopté avec le soutien du chef de file des députés Les Républicains, Thibault Bazin.

Une minuscule victoire qui laisse François Ruffin sceptique : « Qu’est-ce que l’index senior va changer pour Marc, qui a été licencié de son restaurant, pour les auxiliaires de vie qui partent pour inaptitude ou pour les salariés de Dunlop qui n’ont eu aucune proposition de reclassement ? Rien ! Ça sert juste de maquillage à votre réforme. » « J’ai peur d’être d’accord avec François Ruffin, c’est du bidon ! », ajoute Sébastien Jumel.

Sandrine Rousseau repart à l’assaut : « On confine à l’absurde, cet index existe déjà, c’est le bilan social, là on invente un truc pour essayer de faire croire qu’on fait participer les entreprises et pas seulement les individus », observe-t-elle. Puis, implorant les députés de la majorité : « Même vous, vous ne pouvez pas y croire à cet index ! »

À l’extrême droite, on n’aime pas « taper les petits patrons ». Alors, pas question de perdre son temps sur cet index. « Avançons sur le reste ! », exhorte Thomas Ménagé sans être suivi. « Je veux bien qu’on ait le goût de l’effort inutile, mais cela ne sert à rien d’amender quoi que ce soit », déclare Sébastien Chenu. Le parti de Marine Le Pen n’a de toute façon déposé que 75 amendements en tout et pour tout. De quoi s’attirer les railleries de Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI, qui ne cesse de dénoncer la « fausse opposition » du RN.

Jérôme Guedj imagine un accord national interprofessionnel des partenaires sociaux pour définir les indicateurs de l’index. Mais il ne cache pas qu’il n’est pas convaincu par cet « écran de fumée ». « Un écran de fumée sur lequel nous débattons depuis tout de même 1 h 30 ! », fait remarquer Fadila Khattabi.

Après une autre grosse demi-heure à rejeter des liasses d’amendements, un fou rire nerveux parcourt la salle. Il est bientôt minuit. Jérôme Guedj justifie : « Notre boulot de parlementaire, c’est de montrer que c’est creux ! » « Si vous aviez voté pour la suppression de cet index dès le début, vous n’auriez pas eu l’intégralité de ces amendements », glisse, taquine, Sandrine Rousseau. Puis de conclure, en appelant les parlementaires à voter « contre la loi, contre toute cette loi. Ça arrangerait le peuple entier ».

Pauline Graulle


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