L’Université Jean-Jaurès de Toulouse est déserte, comme tous les samedis, mais un amphi est bondé : 350 personnes (psychologues, médecins du travail, étudiants, anciens étudiants) participent à une journée d’étude ayant pour thème : Travail, néolibéralisme et subjectivité.
Le néolibéralisme change-t-il nos subjectivités ?, par Christophe Dejours
Christophe Dejours qui a écrit sur les conditions de travail, la souffrance et la violence dans le travail, tient des propos très forts à l’encontre du néolibéralisme, son cynisme et sa cruauté.
Il tient au préalable à définir le néolibéralisme, selon divers auteurs et philosophes : c’est une théorie politique et sociale hantée par la lutte contre les Lumières, contre le Christianisme, le socialisme, la planification, et contre l’État-Providence. Son but est d’établir la loi du marché et la concurrence généralisée entre les humains de façon à assurer aux créateurs de richesses la liberté d’entreprendre. Le terme même liberté est inapproprié car peut-on parler de liberté quand il s‘agit de prendre le pouvoir et de s’emparer de la richesse ?
Pour répondre à la question de savoir si le néolibéralisme influe sur la subjectivité, c’est-à-dire le fonctionnement psychique, il faut en passer par la clinique du travail. La centralité du travail, c’est d’abord la santé (mentale, du corps), au point que, pour beaucoup, le travail devient un médiateur : ce n’est pas seulement un plaisir, c’est le moyen de construire sa santé. Mais, dans le pire des cas, il mène jusqu’au suicide. Il n’y a pas de neutralité. Il faut essayer de comprendre pourquoi ça tourne dans un sens, ou ça tourne dans l’autre. La première caractéristique de cette centralité du travail est qu’il est à « la base de l’expérimentation sociale ». Et de ce fait « le monde du travail est la zone privilégiée d’expérimentation sociale de la domination », depuis toujours, depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui : « le néolibéralisme ne devient concrètement une domination que lorsque celle-ci a pris possession du monde du travail ». À partir de là, elle gagne tout le reste de la société à cause de cette centralité du travail. Il n’y a pas d’étanchéité entre travail et hors-travail, de sorte que lorsque je suis entraîné par le travail à restructurer, remanier ma personnalité, mon comportement, mes conduites dans le monde du travail, il est évident que cela a des incidences sur le monde extérieur, non seulement sur la famille, mais aussi sur ma civilité, et donc la société. Si vous gagnez le monde du travail, vous gagnez la société… nos adversaires le savent très bien ! Nous sommes les naïfs qui n’avons pas compris ça, cela fait pourtant longtemps qu’il en est ainsi.
Deuxième point, sur cette centralité du travail : c’est le programme de refondation sociale promu par le Medef à l’époque d’Ernest-Antoine Sellière qui définissait l’entreprise comme l’unité fondamentale de la société. Tout doit être calqué sur le modèle de l’entreprise. Et c’est ainsi que, pour le président Macron, il s’agit de gouverner la France comme une entreprise et de diriger les citoyens comme des salariés de son entreprise.
Le néolibéralisme dans le travail c’est le tournant gestionnaire, c’est-à-dire l’éviction de ceux qui avaient jusqu’alors la main sur l’organisation du travail : les ingénieurs et les gens de métiers. Ils tenaient la gouverne de la domination : ils n’étaient pas très tendres. Ils ont été évincés et remplacés par les gestionnaires. Ce tournant gestionnaire (la « gouvernance par les nombres » selon la formule d’Alain Supiot) se traduit par une augmentation considérable de puissances dans le monde du travail, parce qu’ils ont introduit des dispositifs d’une force extrême : l’évaluation individuelle des performances (diabolique, pire que Taylor comme mode de domination), la qualité totale, la standardisation des modes opératoires (machine à dégrader le travail bien fait), la frappe communicationnelle (la novlangue managériale, interdiction du vocabulaire ancien), la précarisation de l’emploi.
À l’extérieur de l’entreprise, c’est le démantèlement du Code du travail qui avait été construit par le Conseil National de la Résistance et qui a été détruit systématiquement par Macron 1, El Khomri 2, Macron 2 à partir de 2017. Et aussi dans la formation des élites où on expurge tout ce qui relève de la science du travail. C’est la stratégie de l’ignorance : les élites sont formées à ne pas savoir penser ! Dans les écoles de commerce, de management, d’ingénieurs, on n’apprend plus les sciences du travail. Idem à Polytechnique, où on n’apprend que la gestion, le management : les meilleurs terminent à Goldman Sachs, qui recrute aussi aux Ponts-et-chaussées, dans les grandes écoles françaises, bon gisement des leaders du néolibéralisme. Et dans l’enseignement secondaire, dans le programme de philosophie de terminale, où les « thèmes » avaient déjà remplacé les grand sujets philosophiques, on a vu, sous l’égide de Blanquer, la tentative de faire disparaître deux thèmes : le travail et… la psychiatrie. La mobilisation d’enseignants a empêché la suppression du thème travail.
Ainsi des progrès considérables ont été réalisés en matière de domination : ils iront jusqu’au bout, nettoyant tout ce qu’ils pourront dans l’enseignement. Cette opération a du succès, sauf qu’elle repose sur des bases scientifiques fausses (comme l’évaluation). Comment se fait-il que ça marche ? Tout simplement… parce que les gens le font marcher ! Pas parce qu’on l’impose : certains se précipitent, car c’est bon pour le CV, pour la carrière. On est en plein dans la servitude volontaire que dénonçait La Boétie (1548) : « la tyrannie ne peut fonctionner du seul fait du tyran, il faut que des gens se mettent au service d’un système qui pourtant nous broie ».
Même si nous désapprouvons le système, nous sommes amenés à le servir. « Ce sont les ordres, on peut pas faire autrement », même les chefs disent ça. Et quand il s’agit d’évaluer, chacun est là à faire rentrer dans des cases, à faire du zèle, comme la certification dans les hôpitaux : on n’est pas d’accord, on le fait quand même. Nous nous retournons contre nous-mêmes, contre nos opinions : « et le pire de cette histoire est que, pour beaucoup d’entre nous, nous le faisons, et ça va très bien, merci ». Christophe Dejours a des mots très sévères à l’encontre des chercheurs qui participent aux travaux de l’Agence nationale d’évaluation de la recherche (AERES) qui évaluent leurs collègues sur des données fausses, le sachant, mais sans complexe. Ce qui ne les empêche pas de mener une petite vie tranquille : c’est ce qu’on appelle le clivage du moi.
Le clivage du moi, ceci dit en passant, c’est ce qui caractérise… le pervers sexuel. C’est très répandu même chez des gens qui ne sont pas des pervers sexuels. Cela rejoint, chez les Grecs, le concept d’acrasie, agir à l’encontre de son meilleur jugement, faiblesse de la volonté. Je sais ce qui est bien, ce qui est juste, notre sens moral est intact, et pourtant cela n’empêche pas de massacrer des subordonnés, faire des plans sociaux, mentir sur les mots, obéir, trahir la solidarité, les valeurs. Pour certains, une grosse minorité, cela provoque des conflits psychiques, angoisses, souffrance éthique : c’est dangereux pour la santé mentale.
Les autres continuent de servir. Comment font-ils ? Tout simplement en arrêtant de penser : alors je ne peux plus juger (cf. Hannah Arendt à propos d’Eichmann : « j’exécute les ordres »). Et c’est assez facile d’arrêter de penser. Car pour faire le bien il faut le penser. Avoir une préoccupation de l’autre, le collègue, le destinataire, le client, le malade, le bénéficiaire, mais l’autre c’est aussi l’environnement. Je pense à l’incidence de ce que je fais sur la civilisation. Si je tiens compte de l’autre, je fais des compromis avec mes intérêts, que je dois en partie sacrifier. Si j’arrête de penser, je protège mes intérêts personnels, je glisse vers le mal et j’entre dans la compétition généralisée. Les gens se font des saloperies, tout le monde se méfie des uns des autres. Beaucoup s’en satisfont, c’est plus confortable, ils le font le mieux possible, mettant toute leur intelligence au profit du système, car faire le bien c’est compliqué : ça demande des arbitrages, des jugements, des compromis, des remaniements.
La clinique est cruelle : elle nous fait découvrir combien c’est la servitude volontaire qui permet à la tyrannie néolibérale et gestionnaire de fonctionner. En même temps, il y a ambiguïté dans ce clivage acrasique : il faut le dire, « cela permet aux gens de ne pas tomber malades », c’est une stratégie de défense.
« Le Bien nait des penchants les plus vils »
Christophe Dejours montre alors d’où vient le néolibéralisme : ce n’est pas la nature, ce n’est pas un état de fait, cela a été pensé par des décisions humaines. Le néolibéralisme est pensé contre la bonté, l’assistance à autrui, la pitié, toutes notions défavorables à l’économie. Les préceptes des néolibéraux (élaborés par des savants, des économistes, des sociologues, des psychologues) sont les suivants : « la vertu morale produit une science pauvre et malheureuse », « l’égoïsme produit la prospérité universelle ». Il ne faut pas s’en remettre à la morale et aux religions mais à la science. Le marché, si on le laisse faire, atteint les fins visées par la morale et la religion. L’égoïsme est méprisable mais il produit davantage d’effets moraux que ceux qui prétendent agir pour faire le bien. C’est la “ Fable des abeilles ” de Bernard Mandeville et sa querelle du luxe (XVIIIe siècle) : « le Bien nait des penchants les plus vils », les vices de chacun contribuent au bonheur collectif. C’est aussi Milton Friedman et la recherche de son propre intérêt, Adam Smith avec « la main invisible » du marché, et Hayek qui considère qu’une dictature peut être plus libérale qu’une démocratie.
Avec le néolibéralisme, le chômage a explosé, l’emploi s’est précarisé, le but étant que tout le monde évolue entre chômage et emplois incertains. Les individus sans travail sont privés de la reconnaissance qui est un élément fondamental de la construction de l’identité. Pathologie des chômeurs de longue durée (toxicomanie, alcoolisme, décompensation psychologiques et somatiques) et tentative de compenser ce manque par le travail illégal, le trafic de drogue, l’exploitation sexuelle, visant à une reconnaissance par l’argent. La sublimation chez Freud le fait au profit d’activités socialement utiles, tandis que le néolibéralisme laisse faire la pulsion antisociale, la main invisible du marché rétablira l’ordre social. Or les gens privés de travail sont privés du droit de sublimer.
C’est le syndrome des banlieues, accroissement de la violence, radicalisation, intégrisme et terrorisme : il ne s’agit pas d’affirmations en l’air, mais de pièces étudiées dans les dossiers des parquets. Dans le djihadisme il y a une promesse d’accomplissement de soi, d’être vraiment reconnu, que la société néolibérale n’offre pas. La subjectivité, ici, est dans la sublimation de la mort (on le voit dans les dossiers : amour de la mort, destruction de la démocratie, de la vie, des femmes), l’idéalisation d’un futur. Tous les intégrismes sont au service de la destruction des autres et de soi. La sublimation chez Freud, c’est au service de la vie, de la culture, c’est honorer la vie.
À la question « est-ce que le néolibéralisme est susceptible de transformer la subjectivité », Christophe Dejours répond tel qu’il le comprend aujourd’hui sachant que cela doit être débattu : « en sapant les conditions de possibilité de la sublimation, le néolibéralisme est contre la sublimation, la pensée néolibérale est un appauvrissement de la subjectivité et une limitation de l’accomplissement de soi (…) il agit de façon très puissante sur la subjectivité de nos contemporains ». Mais il importe de préciser que le néolibéralisme ne crée pas ce clivage acrasique ex-nihilo. Ce n’est pas une création, c’est bien ça qui est terrible : ce clivage est présent chez chacun d’entre nous, c’est une potentialité psychique à l’intérieur de chaque être humain. « Le néolibéralisme déséquilibre la subjectivité, c’est-à-dire le fonctionnement psychique, en faveur de la perversion, au dépens de la civilisation, et dans la marge il crée le fanatisme, le nihilisme, et le terrorisme ».
J’ai interrogé Christophe Dejours sur les propos qu’il venait de tenir : il m’a précisé qu’à ce jour aucun de ses ouvrages ne s’en fait l’écho.
Quel fil nouent travail, subjectivité et néolibéralisme ? par Marie-Jean Sauret
Il débute son propos en direct du divan, citant les plaintes entendues : « Nous ne sommes pas des bœufs », « pas des machines », « on nous traite comme du bétail » ! Le langage humain est pouvoir de symboliser, de représenter, à ce titre il est pouvoir de création, mais il est aussi menteur : par cette opposition au sein même du langage, le sujet est divisé car la vérité se dérobe à lui. L’humain est l’animal le plus prématuré : raison pour laquelle, sans doute, il a adopté le langage et aussi la famille pour que soin et éducation lui soient procurés. C’est parce que le réel du sujet est inaccessible (« ce que l’inconscient s’efforce de chiffrer ») que l’être humain tente de s’inscrire dans une filiation et de s’interroger via la figure de Dieu (« le transcendant est une réponse à l’énigme du sujet parlant »). Par ce travail symbolique, « l’humain a quitté sa niche écologique pour habiter le discours, ce qui fait de lui une sorte d’inadapté à son environnement ». Il s’est éloigné de la nature (et de la sélection naturelle) en se fondant sur la culture (la « civilisation » dit Marie-Jean Sauret) : technique, science, art, mythes, religions, philosophie, politique, guerre. Freud a parlé de « travail de culture » et Durkheim caractérise une société par son rapport au travail.
L’humain, parce qu’il est parlant, est confronté au manque, et c’est ce manque qui crée le désir. C’est ce désir que le sujet vise dans le travail de culture et dans le travail tout court : « le travail participe du processus de subjectivation », et donc de l’élaboration de l’identité. Ainsi, outre ce que le travail apporte en moyens matériels (dont alimentation, vêtements, habitat), il contribue au sens de l’existence de l’individu, par son travail il se réalise lui-même. La question qui est posée par le thème de cette journée est : en quoi le néolibéralisme affecte la société, c’est-à-dire le travail lui-même et, de ce fait, la subjectivité de chacun (le désir, la solidarité) ?
L’humain n’a cessé de travailler et d’inventer : le marché et la techno-science, ce qui a renforcé le capitalisme. Ce dernier est un système qui tient un discours, mais l’homme ne l’habite pas, il fait avec. Selon Marx, le prolétaire, conséquence du capitalisme industriel, est réduit à ses capacités reproductives, sans discours propre, aliéné. C’est par la conscience de classe que le prolétaire investit (enfin) un discours, se situe dans le lien social et refuse de subir la vérité du capitalisme (Prolétaires de tous les pays, unissez-vous).
Tous les secteurs de la vie (pas seulement la consommation) sont contaminés par la promesse du discours capitaliste qui « promet de tout expliquer, tout comprendre, tout fabriquer et jouir de tout ». Partout et en tous lieux, du fait de cette promesse de jouissance (de plus-value), le sujet veut plus : savoir, construire, produire toujours plus. Donc plus (davantage) de travail. Le manque, qui est au cœur de l’être humain, pourrait être ainsi comblé par des objets manufacturés qui n’apportent jamais satisfaction tant il est vrai que le capitalisme est « un régime de frustration » (forclusion de la castration, dit Lacan). Et Marie-Jean Sauret d’asséner cette phrase sans détour : « le capitaliste ne veut pas d’argent, il veut plus d’argent » ! Et il entraîne tout le monde dans cette spirale. Sauf ceux qui dépriment et deviennent « anorexiques » de tous ces biens, pouvant aller jusqu’au suicide (mortalité la plus fréquente chez les jeunes).
Cette quête infinie est déjà inscrite dans l’idéologie des Lumières : progrès infini de la science. Le capitalisme (marché et technoscience) disqualifie toutes les valeurs qui ne sont pas marchandes : « ne compte que ce qui compte après avoir été compté ». Toutes les questions existentielles sont rejetées, mais il ne peut empêcher que les sujets s’interrogent (y compris ceux qui fabriquent la science, parfois avec angoisse, car « la science ne dit pas ce qu’il faut faire de la science »). Et c’est ainsi que se développe le scientisme prétendant répondre à la science et aux questions existentielles : religions scientistes (Scientologie, Raéliens), radicalismes paranoïaques (évangélisme, islamisme), complotismes, transhumanisme (« qui prétend nous guérir de la vie, de la mort et maintenant du travail ») et Design Intelligent (contestation de l’évolution, Dieu étant aux commandes). Et Marie-Jean Sauret d’analyser que « ces idéologies construisent une anthropologie susceptible de nous adapter au discours capitaliste », propos qui mériterait d’être proclamé haut et fort, complété par cette autre phrase percutante : nous sommes condamnés « à nous penser en entrepreneur de soi-même, en individu sans singularité, soumis aux mêmes lois économiques et bio-psycho-sociales que ses semblables, chacun se devant d’être utile, compétent, rentable, efficace, économique, durable, etc. »
Tout est ramené à la valeur économique, marchande du travail, à sa rentabilité. Il donne sens à l’existence, sauf pour ceux qui en sont privés, qualifiés d’inutiles, par le néolibéralisme qui s’emploie à les culpabiliser (en réduisant les indemnités de chômage) et en créant un marché des déshérités. Tandis que le capitaliste, lui, profite du système sans travailler ! La bataille pour les retraites c’est souvent un souhait de quitter un emploi aliénant et la retraite est un temps de changement d’identité (dans un monde où tout est tourné vers le travail, où l’inactif est traité de fainéant). Le paradoxe est que « la qualité de la retraite dépend de la qualité du travail qui l’a précédé ».
Ainsi, apparemment, « la politique s’est tout entière mise au service de l’économie ». Le sujet est réduit à une démocratie formelle : « la dimension prédatrice du système ne se dissimule plus : le capitalisme est un système de prédation (cannibale, avancent certains) profitant du surmoi de chacun pour le soumettre à l’impératif de jouissance ». Le tout « sous couvert de guérir chacun du manque » et en rejetant les « ‘choses de l’amour’ par voie de conséquence (ce qui mériterait un développement que l’on entrevoit dans le film Un autre monde) ».
Marie-Jean Sauret conteste la promesse d’un monde sans travail (un « fantasme »). A l’avenir, le travail disponible se réduira aux seules tâches qui ne pourront être abandonnées aux machines. Il faudra alors définir de quelle manière répartir les richesses : « un revenu universel n’y suffira pas si l’on ne sort pas du système inégalitaire qui les fabrique ». Cela suppose que l’on débatte du type de société que nous voulons : soit poursuivre dans la voie néolibérale qui suppose un déficit de démocratie, soit en sortir, seule condition pour la survie du sujet, avec des dispositifs garantissant sa singularité. Mais il y a tout lieu de parier sur le fait que les agents du néolibéralisme s’y opposeront. Il sera invoqué le fait que « l’issue par le partage et la solidarité est contrecarrée par la ‘nature humaine’ peu encline à faire des sacrifices, à partager, à renoncer à la jouissance du pouvoir ». D’ailleurs, la soumission volontaire à l’aliénation néolibérale tendrait à prouver que la nature humaine n’est pas partageuse.
Le psychanalyste termine son propos en invoquant un allié : le symptôme. Ce dernier, qui s’exprime par la souffrance, est le lieu de tension entre le singulier et le social : « Il a la charge d’éviter au sujet de se dissoudre dans la masse et au collectif de voler en éclats ».
« La tâche du clinicien est sans doute de permettre à chacun de se débarrasser de la dimension pathologique du symptôme sans renoncer à sa fonction. Cet objectif va avec la récupération de sa possibilité d’acte, de la responsabilité de sa position, de sa capacité d’aimer et de travailler. Ce sujet est le sujet qu’exigent la démocratie et l’éthique. La conception que nous en faisons est donc politique. Mais on le devine, une telle issue ne permettra la mutation que la société appelle que si chacun met le capitalisme hors de lui : s’il ne confond pas le plus de jouir avec la plus-value, s’il échappe au fantasme d’un savoir absolue et d’une jouissance qui anéantirait l’inconscient avec le désir, et s’il devenait alors capable d’opter pour les satisfactions que l’expérience de sa propre vie, au fond la seule réalité qu’il connaîtra jamais, lui offre, et lui offre de partager avec ses semblables, ceux avec lesquels « il est engagé dans une œuvre humaine »... »
Après son intervention, Marie-Jean Sauret m’a confié qu’il était moins optimiste que Christophe Dejours sur l’effondrement prévisible du capitalisme du fait, selon Dejours, que la science de la gestion est une supercherie inventée par de faux savants, donc par des êtres humains (et non pas par une loi naturelle) et que d’autres êtres humains pourraient déboulonner. Selon Sauret, le capitalisme fonctionne grâce à l’intervention du pouvoir politique qui adapte sans cesse la loi de sorte qu’elle serve les grands possédants. Il ne tombera pas de lui-même, il faut militer pour un changement politique, sans oublier que pour Marx l’économie a une dimension idéologique (et de citer Jean-Pierre Dupuy qui parle d’économystification). La servitude volontaire ne suffit pas à expliquer que tant de personnes continuent à servir un système qui veut tout maîtriser (machines, hommes, nature). La sublimation ne suffira pas car la prédation a contaminé tous les domaines traditionnels de la sublimation. Vision pessimiste d’un monde où l’homme cyborg et la machine auraient remplacé les individus de notre espèce, « triomphe de la pulsion de mort ».
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