La litanie des féminicides se poursuit, Darmanin entrouvre un œil

vendredi 10 mars 2023.
 

Le ministre de l’intérieur a demandé l’ouverture d’une enquête administrative après un féminicide en Gironde. La victime, tuée par son ex-conjoint, avait récemment porté plainte deux fois contre lui. L’homme avait déjà été lourdement condamné. Deux autres femmes ont été tuées ces dernières quarante-huit heures.

Une femme est morte, encore une. Elle est morte dans d’épouvantables circonstances, tuée chez elle par son ex-conjoint. Encore. Elle avait porté plainte contre lui à deux reprises en un mois. En vain.

Une fois de plus, une fois de trop, une femme est morte. Elle avait 54 ans et vivait à Saint-Laurent-d’Arce, en Gironde. Vendredi 3 mars, elle a été poignardée à de nombreuses reprises à la gorge et au ventre par son ex-compagnon âgé de 61 ans. Il a été retrouvé pendu dans le garage du domicile. Le couple était séparé « depuis la mi-janvier », selon un communiqué du procureur de la République de Libourne.

D’ordinaire, comme Mediapart l’a écrit récemment, l’exécutif ne dit rien de ces féminicides, dont le décompte tragique est assuré par des collectifs féministes. Depuis le début de l’année, vingt-six femmes ont été tuées par leur conjoint, ou ex-conjoint. Huit de plus depuis notre article, paru il y a deux semaines, et qui déplorait le silence politique le plus total après la mort de quatre femmes en une semaine.

Cette fois, le ministère de l’intérieur est obligé de réagir. Gérald Darmanin demande une enquête administrative de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Car aux deux plaintes de la victime déposées à la gendarmerie -et qui ne seraient jamais remontées jusqu’au parquet selon France Info – s’ajoute le « profil » de l’ex-conjoint. L’homme avait été condamné en 2006 à vingt ans de réclusion criminelle pour tentative d’assassinat sur son ex-femme.

Sorti de prison en 2017, il avait bénéficié d’« une mesure de réduction conditionnelle », indique le parquet. Toujours selon France Info, Il ne faisait en revanche l’objet d’aucun suivi au-delà de sa période de détention.

Les plaintes de sa victime étaient récentes. Elles avaient été déposées « le 5 février puis le 23 février » à la gendarmerie de Saint-André-de-Cubzac pour des « violences sans incapacité » et « diffusion d’images portant atteinte à l’intimité de sa vie privée », selon le procureur de Libourne.

Un ministre bien silencieux

« L’enquête administrative demandée par Gérald Darmanin permettra de comprendre les circonstances de ce féminicide sordide », a commenté sur Twitter Isabelle Rome, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. « Les femmes victimes doivent être mieux protégées dès le signalement des violences. Toutes les mesures seront prises dans ce sens », écrit aussi la ministre déléguée

Gérald Darmanin, lui, n’a fait aucun commentaire. C’est son ministère qui a transmis à l’Agence France-Presse la demande d’enquête administrative auprès de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Toujours prompt à tweeter son indignation sur moult sujets, sur ses déplacements ou ses décisions, le ministre est bien silencieux.

Silence aussi sur deux autres féminicides qui se sont produits au cours de ces dernières quarante-huit heures. Vendredi soir à Amiens, une jeune femme de 27 ans a été tuée par son ex-conjoint, poignardée à la tempe sur le parking d’un hôtel. L’auteur des coups a retourné son arme contre lui. Blessé au thorax, il est hospitalisé dans un état grave.

D’après La Voix du Nord, son ex-compagne avait récemment porté plainte contre lui pour « violences conjugales ». Il avait interdiction d’entrer en contact avec elle, mais « continuait de la harceler », précise une source policière au quotidien régional. Le ministre réclamera-t-il une enquête ?

Une plainte contre quatre policiers du Nord

La veille, en Seine-et-Marne, une femme a été lardée d’une dizaine de coups de couteau à Melun, en Seine-et-Marne. Âgée de 53 ans, elle a été retrouvée morte dans sa cuisine par les pompiers. Son compagnon venait de se défenestrer du huitième étage. « Les investigations sont en cours dans le cadre d’une procédure diligentée du chef d’homicide volontaire par conjoint », a précisé le parquet de Melun au journal Le Parisien, le seul à avoir consacré un long article à ce drame. D’après le quotidien, le couple était en instance de séparation.

« Tant qu’il y aura des violences, tant qu’il y aura des femmes qui meurent sous les coups de leur compagnon, le combat ne s’arrêtera pas », promettait en septembre 2022 la première ministre Élisabeth Borne, en réitérant l’engagement de son gouvernement à lutter contre les violences conjugales.

Force est de constater que les moyens déployés pour la « grande cause nationale », voulue par Emmanuel Macron sont insuffisants. Et face à l’irréparable, des familles doivent aujourd’hui se battre, avec et par leurs propres moyens. En témoigne cette plainte, déposée il y a quelques jours, contre quatre policiers du Nord pour « non-assistance à personne en péril », près de deux ans après la mort d’une jeune femme de 33 ans, à Douai.

Elle avait été retrouvée morte le 31 mai 2021, couverte d’ecchymoses, au domicile de son compagnon contre lequel elle avait déposé plainte pour des menaces de mort. Appelés par une voisine quelques heures avant le décès, les policiers « ont choisi de ne rien faire », déplore l’avocat de la famille de la victime auprès de l’AFP, précisant que l’homme « était alcoolisé, tenait des propos inquiétants » et que la victime avait un « coquard à l’œil ».

Les policiers n’ont pas mis la jeune femme à l’abri. Ils n’ont pas interpellé son conjoint. Au contraire, ils lui auraient demandé de rester chez lui « et de ne plus importuner les voisins », précise encore l’avocat.

« S’il y a eu des manquements de la police nationale, il y aura des sanctions », avait, quelques mois plus tard, promis un certain… Gérald Darmanin, interpellé par la famille. Le ministre de l’intérieur avait alors saisi l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). La mission d’évaluation de l’IGPN n’a finalement conclu « à aucune faute » de la part des policiers. D’où la plainte, fin févier 2023, de la famille de la victime.

Cécile Hautefeuille


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