Retraites (France) : le 49.3, point final d’une réforme où rien n’a fonctionné

mercredi 22 mars 2023.
 

L’utilisation de cette arme constitutionnelle par Élisabeth Borne vient signer une triple défaite pour l’exécutif : Dans la rue, dans l’opinion et désormais au Parlement.

Jeudi noir pour le camp d’Emmanuel Macron. Élisabeth Borne a annoncé, dans un chaos absolu au Palais Bourbon, utiliser l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer la réforme des retraites sans vote à l’Assemblée nationale, alors que le scrutin était prévu dans l’après-midi du jeudi 16 mars. « On ne peut pas prendre le risque de voir 175 heures de débat s’effondrer », a-t-elle justifié, sous les cris et les chants de la Nupes.

Ce 49.3 est un aveu d’échec. Le président de la République faisait savoir jusqu’à mercredi soir encore qu’il voulait soumettre sa réforme au vote des députés, pour lui donner une légitimité démocratique après l’aval du Sénat. Même chose pour Élisabeth Borne qui martelait à qui voulait l’entendre qu’il y avait une majorité sur son texte. Raté.

Après plusieurs réunions de crise à l’Élysée, et face à la réticence d’une partie des députés Les Républicains, le passage en force a finalement été décidé pour éviter une possible défaite au Palais Bourbon jeudi. Au risque d’enflammer la mobilisation sociale, dans un contexte où la réforme est toujours rejetée par l’opinion. Soit le point final législatif d’un texte emblématique, qui vient conclure le parcours chaotique de la « mère des réformes » voulue par Emmanuel Macron.

Mal embarqué depuis le départ

En réalité, le texte présente plusieurs malfaçons, et ce depuis sa sortie d’usine. En décembre 2022, l’exécutif annonce la présentation de son projet avant les fêtes. Les oppositions montent au créneau, en dénonçant le « cadeau de Noël » empoisonné d’Emmanuel Macron aux Français.

Premiers conciliabules au sommet et premier recul : le texte est finalement présenté début janvier. La réforme se fera via un Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, provoquant de nombreuses critiques, en raison des contraintes de temps que ce véhicule législatif (qui n’est pas fait pour réformer les retraites) exige.

Le 10 janvier, la Première ministre met fin au suspense et détaille les grandes lignes de son projet, présenté comme le fruit d’un accord conclu avec Les Républicains. Elle apparaît alors flanquée du triptyque « Justice, Équilibre, Progrès ». Problème, il s’avère que le texte n’est finalement pas si juste, notamment pour les femmes, un des arguments pourtant martelés par la majorité. Deuxième problème : l’impérieuse nécessité de revenir à l’équilibre n’est pas vraiment partagée par le président du Conseil d’orientation des retraites, lequel relativise les trous dans la caisse en audition au Parlement.

Troisième problème : les progrès laissent à désirer. Peu à peu, les oppositions et spécialistes détricotent les promesses phares du gouvernement censées faire passer la pilule du très impopulaire report de l’âge de départ en retraite. L’exemple des 1200 euros est sans doute le plus éloquent concernant les errements gouvernementaux.

Après avoir reconnu le 23 janvier sur Public Sénat, que la retraite allait « pénaliser » les femmes, c’est à nouveau le ministre Franck Riester qui suscite les crispations en expliquant, le 9 février, que le gouvernement n’a jamais promis un seuil plancher pour tous les retraités. Ce qui figurait pourtant dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron.

Un échec stratégique pour Borne

Les placards à archives ouvrent leurs portes, et la presse, comme les réseaux sociaux, se font le relais des « mensonges » ou des « approximations » des différents ministres sur cette promesse emblématique. Acculé par les députés, au cours de séances éruptives, le Ministre du Travail Olivier Dussopt finira par convenir que cette mesure présentée un temps comme un minimum ne concernerait que 10 000 nouveaux retraités par an. Les sondages négatifs s’enchaînent. Pire, ils s’aggravent.

En parallèle de ces difficultés croissantes, symbolisées par le blocage en première lecture à l’Assemblée nationale, les manifestations historiques dans la rue, l’opposition coalisée de l’ensemble des syndicats, ou les réserves du Conseil d’État… Élisabeth Borne persiste à tout miser sur sa stratégie de départ : sceller un accord avec Les Républicains pour s’assurer une majorité absolue à l’Assemblée nationale et (justement) éviter un 49.3 forcément risqué.

L’échec est cinglant. En cherchant coûte que coûte à sécuriser sa majorité au Palais Bourbon, Élisabeth Borne tombe dans un piège. La cheffe du gouvernement renonce au report de la retraite l’âge légal à 65 ans, fait un geste sur les carrières longues, étend la hausse du minimum contributif aux retraités actuels…

Elle croit avoir topé à la droite, elle vient en réalité d’ouvrir un guichet des réclamations, dans lequel vont s’engouffrer plusieurs élus LR qui ne cessent de demander plus. Avec un effet désastreux pour l’exécutif : les concessions promises rabotent les économies espérées par le report de l’âge légal, démonétisant le principal argument de la réforme. Le projet devient inaudible. Pendant qu’Olivier Dussopt ose vanter une « réforme de gauche », la Macronie ne cesse d’affirmer que la droite devrait se ranger derrière le texte, ayant toujours plaidé pour l’allongement du temps de travail. Comprends qui peut.

Avant un lundi (très) noir ?

Le tout, sans parvenir à convaincre les députés LR rétifs depuis le premier jour, Aurélien Pradié en tête, et alors que plusieurs élus de la majorité doutent à haute voix du bien-fondé de la réforme. Les jours passent, et un consensus sur la réforme à l’Assemblée paraît impossible. Certes, l’examen au Sénat paraît plus simple, mais les méthodes utilisées au Palais du Luxembourg (comme le vote bloqué), nourrit les procès en « fébrilité » instruits par l’opposition.

Même chose en Commission mixte paritaire. Une vraie fausse concession sur les carrières longues faite aux Républicains donne (encore) l’impression que le gouvernement cherche à camoufler certains effets de sa réforme. La manœuvre rate son objectif : plusieurs élus LR restent dubitatifs.

On connaît la suite : un recours au 49.3 décidé à la dernière minute pour ne pas « jouer avec l’avenir du pays », selon les mots d’Emmanuel Macron rapportés par un proche. De quoi mécontenter tout le monde.

Les organisations syndicales crient au « vice démocratique » et appellent à la mobilisation pour faire face à ce coup de force. Les oppositions politiques dénoncent le « piétinement » du Parlement et accusent Emmanuel Macron et Élisabeth Borne de jeter de l’huile sur le feu. Les troupes macronistes sont dépitées, et vivent cette issue comme un échec. « Un gâchis », peste le député MoDem Philippe Vigier.

Une situation très délicate pour le gouvernement, qui fait soupirer un marcheur historique, reconverti dans le privé. « C’est très représentatif de l’évolution de la Macronie : d’une ambition de transformation à une gestion du quotidien et de crise », regrette-t-il auprès de HuffPost. Question crise, Élisabeth Borne n’en a pas fini, puisqu’elle court désormais le risque de faire face à une motion de censure transpartisane qui pourrait lui être fatale, déposée par les groupes d’élus de l’Assemblée après l’usage du 49.3.

Anthony Berthelier et Romain Herreros

• Le HuffPost, 16/03/2023 18:00


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