Derrière le baratin de “la lettre” de Sarkozy “aux éducateurs”, la régression

dimanche 28 octobre 2007.
 

La rentrée scolaire 2007 est caractérisée par une série d’attaques sans précédent : la volonté d’en finir avec la carte scolaire ; le rapport du HCE sur l’enseignement primaire ; la remise en cause du collège unique ; la suppression de 10 200 postes dans l’éducation nationale ; la réduction des heures de cours, le lancement du " chantier du statut et du service des enseignants " mis en place autour d’un comité sous la direction " morale " de Michel Rocard ; la volonté d’imposer un service minimum en cas de grève ; d’annualiser les services d’enseignement ; d’allonger l’année scolaire ; de généraliser la bivalence ; " la lettre aux éducateurs " de N. Sarkozy, manifeste de 32 pages où il résume son projet politique pour l’école.

Sarkozy dresse un tableau particulièrement sombre du système éducatif dans sa “lettre aux éducateurs”.

Ce dernier fait écho au tohu bohu médiatique sur le rapport du HCE. L’école est dans une situation catastrophique. L’échec scolaire atteint des niveaux qui ne sont pas acceptables. 40 % des élèves entreraient en 6ème sans savoir lire et écrire. L’inégalité devant la culture et le savoir s’accroît. La culture commune est à ce point délitée qu’il est impossible de se comprendre. Il faut donc refonder l’école autour de mesures qui mêlent à la fois morale et gestion du système éducatif. Les propositions concrètes sont peu nombreuses mais donnent l’articulation de son projet : un objectif budgétaire clair et précis déjà entamé et préparé par Ferry et De Robien (baisse des postes aux concours d’enseignants) et deux propositions, déjà affirmées dans son programme, qui visent, en pratique, à " refonder " le projet d’école républicaine et de démocratisation scolaire, en une école clairement ségrégative.

la suppression de milliers de postes qui succède à des années d’austérité (- 5000 postes à la rentrée 2007). Les suppressions d’options ne suffisant plus, on arrive à la diminution des horaires d’enseignement inscrite dans la lettre de mission de Xavier Darcos. La baisse démographique permettrait de dégager des emplois. Or, si elle est réelle dans le secondaire (- 50 000 élèves), les suppressions de postes sont démesurées par rapport à cette évolution (-10 000 postes !). Enfin la France a la particularité d’avoir une natalité forte qui inversera la tendance dans le secondaire dès 2009. Unebaisse démographique aurait pu permettre la mise en place de réelles réformes visant la démocratisation scolaire.

D’autres arguments reviennent dans les propos ministériels : 32 000 enseignants ne sont pas devant des élèves, selon le rapport de la Cour des comptes de 2003. Ils ne sont pas pour autant sans emploi. Ils sont formateurs en IUFM, conseillers pédagogiques, remplaçants : des fonctions dont l’Ecole a besoin. Il reste un surnombre d’enseignants, évalué par l’administration à 3 000. Si l’on en croit le Rapport de performance 2006, "ces surnombres n’ont pas entraîné une majoration de la masse salariale, les services académiques ayant mobilisé ce sureffectif enseignant pour les remplacements des absences et le soutien scolaire". On ne peut pas en même temps vouloir le déploiement des PPRE (Projet personnel de réussite éducative, soutien individualisé aux élèves en difficultés) et la suppression de ces emplois... Où trouver les 22 000 postes nécessaires aux PPRE et au “plan langues” ? Comment rendre ces derniers efficaces sans effort de formation et d’accompagnement ? Austérité et efficacité sont réellement contradictoires.

Le gouvernement oppose le financement des universités et celui de l’enseignement scolaire ("Nous sommes dans un pays qui consacre énormément d’argent à l’enseignement secondaire, pas assez à l’enseignement supérieur et pas assez à l’enseignement primaire. Et bien il faut que les choses changent" François Fillon sur TF1). Les six milliards d’euros consacrés au bouclier fiscal et à l’accroissement des heures supplémentaires auraient permis de doubler le budget des universités. Le succès universitaire à ses racines dans l’enseignement scolaire et même préscolaire. Si l’on veut augmenter le taux d’accès en université il faut concrètement hisser scolairement les enfants des milieux défavorisés, ce qui veut dire commencer par diminuer le taux d’échec scolaire. Et pour cela renforcer l’école préélémentaire et élémentaire. Ce raisonnement est tenu par les autres pays développés qui investissent davantage dans l’éducation scolaire alors que leur nombre d’élèves est en déclin.

L’autonomie des établissements doublée d’un contrôle étatique par évaluations. "Les établissements auront une plus grande autonomie dans le choix de leur projet, de leur organisation. L’évaluation sera partout la règle et les moyens seront répartis en fonction des résultats et des difficultés que rencontrent les élèves". Le projet se met en place dans les académies sous la forme de la contractualisation. Dans le primaire il s’agit de mettre en place les EPEP (établissements publics d’enseignement primaire) Pour réussir, les écoles primaires ont besoin d’un véritable patron capable de les diriger ! Par contre, rien sur la formation des personnels ! Avec la suppression de la carte scolaire, l’autonomie va déboucher sur la concurrence des établissements. La sélection sur la base des performances scolaires donnera alors de nouveaux débouchés aux entreprises de soutien scolaire et la marchandisation de ce secteur s’accentuera.

l’aggravation de la sélection : "Nul ne doit entrer en 6e s’il n’a pas fait la preuve qu’il était capable de suivre l’enseignement du collège. Nul ne doit entrer en seconde s’il n’a pas fait la preuve qu’il était capable de suivre l’enseignement du lycée et le baccalauréat doit prouver la capacité à suivre un enseignement supérieur." Derrière ces lieux communs, aucune proposition pour la réussite de tous. La refondation de l’école sera libérale, inégalitaire et ségrégative ! Le projet d’instaurer une culture commune va se limiter au " socle commun " perverti en véritable " SMIC culturel ".

Une promesse électorale est oubliée : l’effort financier en faveur des ZEP. Seules les heures supplémentaires pour assurer de l’accompagnement scolaire restent. Lorsque l’on connaît la difficulté des conditions de travail dans ce type d’établissement, on comprend l’inanité de ce type de dotations qui n’est jamais totalement utilisée ! Les revendications de postes et de temps de concertation sont ignorées.

Diversification des parcours contre collège unique Les enfants sont différents. Leurs réussites sont donc différentes. On ne parle pas encore de génétique mais on s’en rapproche. Les causes sociales de l’échec sont absentes. La réussite scolaire est renvoyée à la responsabilité individuelle des élèves, des familles ou des enseignants. Il s’agit de changer l’école avec moins de moyens. Une quadrature du cercle apparente, car le remodelage du système éducatif sera libéral. La remise en cause du collège unique obéit à deux objectifs. Le premier est budgétaire, le second social. Supprimer le collège unique c’est accepter l’idée que, comme sous la IIIème République, pauvres et riches ne fréquentent plus les mêmes écoles. C’est accepter de creuser la fracture sociale, voire la montée des communautarismes. Attaquer le collège unique c’est défendre une société inégalitaire. Aujourd’hui, il ne faut pas se débarrasser du collège unique ; Cette formule réussit comparativement mieux que l’école à filières ; mais se demander comment créer les conditions de la réussite de notre école unique

Moderniser l’école Au delà de la rhétorique refondatrice, il s’agit d’amplifier la politique menée par les ministres précédents, Ferry et De Robien, et d’appliquer les audits de " modernisation " lancées sous les gouvernements Raffarin et Villepin. Ils recommandent de réduire de 20 % le nombre d’enseignants en diminuant les horaires d’enseignement, en annualisant le temps de travail et en regroupant plusieurs classes pour certains enseignements. L’application est en marche dans les lycées et collège. Fillon vient d’annoncer qu’elle allait s’appliquer dans les lycées professionnels. La scolarisation à deux ans ne cesse de régresser et les classes maternelles sont gravement menacées.

Lutter contre l’échec scolaire c’est d’abord démocratiser l’accès aux savoirs et aux qualifications : 20 % d’une génération, 160 000 élèves, sortent de l’école sans diplôme reconnu chaque année.

L’enquête PISA (qui compare les compétences dans la langue maternelle, en mathématiques et en sciences de tous les enfants de 15 ans des pays de l’OCDE), nous montre que notre système scolaire est très clivé socialement. 50 % des élèves ont des difficultés dans la scolarité obligatoire et 50 % sont parmi les plus performants (ceux qui ont 15 ans vont vers le bac général). La caractéristique essentielle de notre école est qu’elle fait bien réussir les élèves qui s’y adaptent et qu’elle a du mal à répondre aux besoins des autres. Le poids de l’origine sociale est dans ce clivage particulièrement lourd et vide de sens le slogan d’égalité des chances. La massification de l’enseignement secondaire, premier puis deuxième cycle n’a pas été accompagnée d’un mouvement de démocratisation mais a produit un résultat inverse.

De 1985 à 1995, l’obtention du baccalauréat est passée de 30 % à 60 %. Le taux d’obtention du baccalauréat général a stagné autour de 15 % pour les enfants d’ouvriers qui se sont reportés sur les baccalauréats technologiques et professionnels. Aujourd’hui, le taux stagne, et cette " panne " touche d’abord les milieux les plus modestes.

Un bac général pour enfants de cadres et de professions intermédiaires et un bac professionnel pour les enfants des milieux les plus modestes. L’homogénéité sociale de la voie générale a été préservée. Les pré requis sociaux exigés sont restés les mêmes. Cela a impliqué une régression de la démocratisation de l’enseignement supérieur.

La démocratisation ne va pas de soi dans notre pays. L’alternative est simple, en sortir par la démocratisation ou la sélection. C’est le choix entre la gauche ou la droite. Aucune confusion n’est possible. La semaine d’action unitaire prévue lors du vote du budget doit être massive.

Philippe Verdier


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