Sur la LDH, Gérald Darmanin dans l’extrême droite ligne du Rassemblement national

vendredi 14 avril 2023.
Source : Mediapart
 

En fustigeant mercredi la Ligue des droits de l’homme, le ministre de l’intérieur n’en était pas à son coup d’essai. En 2015, alors maire de Tourcoing, il avait déjà voulu annuler la subvention de la ville versée à la LDH. S’inscrivant ainsi dans une tradition d’extrême droite : s’en prendre aux défenseurs des libertés fondamentales.

OnOn a les soutiens qu’on mérite. L’anathème jeté par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, contre la Ligue des droits de l’homme (LDH), mercredi lors d’une audition devant les parlementaires, a fait bondir les défenseurs des droits humains – et permis à la LDH de recevoir 30 000 euros de dons en 24 heures. Mais il a surtout fait plaisir à ses ennemis, à l’exemple de l’essayiste obsédée par l’islam Céline Pina.

« Je ne connais pas la subvention donnée par l’État, mais ça mérite d’être regardé dans le cadre des actions qui ont pu être menées », avait déclaré Gérald Darmanin à propos de la LDH. « Il faudrait arrêter de subventionner la LDH, mais aussi le Planning familial, s’interroger sur ce qui se passe à la Ligue de l’enseignement… Il y a du ménage à faire dans les grandes associations subventionnées par l’État », renchérit Céline Pina dans Le Figaro. La vénérable institution, qui a plus de 100 ans de combats pour la démocratie derrière elle, est accusée de « dérive » tant elle serait « noyautée par les islamo-gauchistes ».

Un condensé des paniques morales de l’époque pour une droite qui flirte toujours plus avec l’extrême droite. Car Gérald Darmanin n’en est pas à son coup d’essai. Alors maire de Tourcoing (Nord) (et encore à l’UMP), en 2015, celui-ci avait voulu annuler la subvention de la ville versée à la LDH, au motif que cette dernière envisageait de subventionner à son tour un collectif de soutien aux Roms. La subvention – 250 euros pour l’année ! – avait fini par être concédée, « malgré le contexte budgétaire particulièrement difficile de la ville », selon le courrier de l’édile.

Un an auparavant, et à 40 kilomètres à peine, c’est un maire Front national (FN, devenu Rassemblement national, RN, en 2018) cette fois qui s’en était pris à la LDH. Fraîchement élu à la mairie d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois avait annoncé la fin de la subvention et de l’usage gratuit d’un local municipal dont bénéficiait la Ligue. « Non seulement, aucun bail n’a été signé entre l’association d’extrême gauche et la mairie, faisant de la LDH un occupant sans titre, mais plus grave, ces subventions sont totalement illégales », se justifiait le maire et très proche de Marine Le Pen.

À Mantes-la-Ville, dans les Yvelines, c’est un autre maire FN, Cyril Nauth, qui a commencé par priver la LDH de son local avant de faire voter par son conseil municipal la suppression des aides à l’association. « C’est un choix politique et symbolique : nous ne souhaitons plus subventionner cette association très politisée », avait justifié le maire en 2015. À Fréjus, dans le Var, la LDH s’est également vue privée de local par la mairie FN.

Une LDH visiblement détestée par le parti lepéniste. En 2016, dans un communiqué, Steeve Briois récidive et porte contre la LDH des accusations qui fleurent bon les années 1930. « Le militantisme de la Ligue des droits de l’homme est-il financé par des fonds étrangers ? », s’interroge le maire d’Hénin-Beaumont. En cause : la publication des SorosLeaks, des documents censés montrer que l’Open Society, la fondation du milliardaire, a financé des « associations d’extrême gauche », dont la LDH, « en vue de peser sur les élections municipales et européennes de 2014 ». Un texte de Steeve Briois dans lequel il égrène les pires clichés, la LDH étant accusée d’accepter « de l’argent d’une fondation étrangère dirigée par un homme dont la haine du patriotisme et des identités nationales est bien connue et dont la philanthropie a toujours, et de manière unanime, été motivée par le profit ».

Même quand ils ne dirigent pas les villes, les membres du FN/RN font preuve d’un activisme redoutable contre la LDH. En 2016, toujours, Antoine Chudzik, conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté et représentant FN de la 2e circonscription de Saône-et-Loire, a ainsi appelé publiquement à « arrêter le subventionnement de la Ligue des droits de l’homme » à Paray-le-Monial. Le motif ? La Ligue entendait organiser un « cercle de silence » en soutien aux personnes punies par la loi pour avoir aidé des migrant·es.

La LDH n’est pas la seule victime des maires d’extrême droite. Maire de Hayange en Moselle, Fabien Engelmann s’en est lui pris au Secours populaire, au motif que la présidente de l’association avait dénoncé les conditions d’organisation par la mairie d’un goûter de Noël pour les enfants pauvres. Fabien Engelmann avait d’abord dénoncé dans un communiqué un Secours populaire devenu « succursale du Parti communiste », mettant en œuvre une « propagande promigrants ». La ville avait ensuite tenté d’expulser l’association du local qu’elle occupait, avant de tout simplement la priver de gaz et d’électricité. Une décision de justice avait donné raison au Secours populaire mais l’association reste privée de local.

Quand la justice s’en mêle

Dans le Var, le maire de Fréjus, David Rachline, ne s’en prend pas non plus qu’à la LDH. En septembre 2015, l’Asti (Association de solidarité avec les travailleurs immigrés) et le centre social Les Tournesols ont été empêchés de participer au forum des associations de la ville, les subventions des centres sociaux de Villeneuve, de l’Agachon et de La Gabelle ont été rabotées, et le centre de Villeneuve a carrément été fermé quand sa directrice s’est émue de la baisse de sa subvention.

Plus récemment (en 2022), c’est le maire RN de Perpignan, Louis Aliot, qui a montré le peu de cas du parti pour le débat démocratique. La mairie a décidé de déposer une plainte pour « injure envers un corps constitué » à l’encontre de Josie Boucher, militante syndicale et associative, engagée notamment dans l’antiracisme et l’anticolonialisme. Il est reproché à la militante d’avoir déclaré que « les réfugiés ukrainiens n’ont pas grand-chose à attendre des fascistes ».

Ces derniers mois, l’extrême droite a un nouveau cheval de bataille : les subventions accordées par les mairies à l’association de secours aux migrant·es en mer SOS Méditerranée. À Marseille, le 30 septembre, le conseil municipal s’est écharpé sur un projet de subvention de 30 000 euros pour l’ONG. Conseiller municipal d’opposition, le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier (Reconquête) dénonce ces « 30 000 euros de plus pour subventionner une immigration qui nous coûte déjà un pognon de dingue ». Tandis que le RN Arezki Selloum dénonce le fait que « la mer Méditerranée est la voie principale des migrants pour venir en Europe ».

Plus grave peut-être, la justice, à présent, s’en mêle. Le 7 février, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté la demande d’annulation par deux conseillers régionaux d’une subvention de la ville. D’autres recours, à Saint-Nazaire ou encore à Toulouse, ont connu le même débouché. Ils étaient chaque fois soutenus par l’extrême droite.

À Paris, en revanche, le recours contre la subvention accordée par la ville à SOS Méditerranée, introduit par un militant d’extrême droite, a donné lieu à une décision inverse. La cour d’administrative d’appel a estimé que « les responsables de l’association ont, aussi, publiquement critiqué, et déclaré vouloir contrecarrer par leur action, les politiques définies et mises en œuvre par l’Union européenne et les États membres en matière d’immigration et d’asile, de franchissement des frontières extérieures de l’Union et de maîtrise des flux migratoires ». Le juge ajoute que « cette action a, en outre, eu pour effet d’engendrer de manière régulière des tensions et des différends diplomatiques entre États membres de l’Union, notamment entre la France et l’Italie ».

Cet alignement des planètes entre la justice et le politique confine au fascisme d’atmosphère. Et explique peut-être pourquoi, deux jours avant sa sortie contre la LDH, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin avait préféré se faire remplacer par son ministre délégué chargé des outre-mer, Jean-François Carenco, pour répondre aux député·es lors d’un débat sur la lutte contre le terrorisme d’extrême droite.

Quant à Emmanuel Macron, depuis la Chine, il a sans le vouloir souligné ce qui le séparait du Rassemblement national en déclarant : « Si les gens voulaient la retraite à 60 ans, ce n’était pas moi qu’il fallait élire comme président de la République. » Comme s’il n’y avait plus que l’âge de départ à la retraite qui opposait la droite et l’extrême droite.

Christophe Gueugneau


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