Manifeste de Madrid contre la dette illégitime et les actions des fonds d’investissement

dimanche 7 mai 2023.
 

par CADTM , Ecologistas en acción , ATTAC Espagne , Plateforme espagnole de lutte contre les fonds vautours , Audit de la santé , Coordination pour le droit au logement à Madrid

Du vendredi 21 avril au dimanche 23 avril 2023, se sont tenues à Madrid les journées contre les dettes illégitimes et les fonds vautours. Elles étaient organisées par ATTAC Espagne, le CADTM international, la Plate-forme contre les fonds vautour, l’Audit citoyen de la dette dans le secteur de la Santé, les Ecologistas en Accion, la Coordination pour le droit au logement à Madrid, différentes Associations de quartier de Madrid, etc.

À l’issue des 3 jours de conférences et de débats, un manifeste a été adopté. Le voici :

L’économie mondiale des dernières décennies s’est caractérisée par la suprématie du capital financier, tant sur le plan politique qu’économique. Cela n’aurait pas été possible sans les grandes transformations réalisées au cours des années 1980, qui ont jeté les bases d’une accumulation en faveur des intérêts du capital, grâce à la mondialisation des économies par l’ouverture vers l’extérieur, en particulier la libéralisation des marchés financiers internationaux, et aussi grâce à la libéralisation et à la privatisation des secteurs productifs de base, ainsi qu’à la baisse constante des revenus salariaux dans le produit national.

L’histoire nous montre une récurrence des crises, qui témoigne d’une série de faiblesses intrinsèques au fonctionnement du système capitaliste. La nature des crises financières a pour substrat commun que les systèmes financiers entrent dans une expansion du crédit au-delà des paramètres rationnels et que les ressources offertes par les institutions financières, tant publiques que privées, produisent des spirales d’endettement chez les agents économiques.

Il y a quinze ans, l’une des pires crises de la dette a pris naissance dans le système bancaire américain et s’est propagée à tous les systèmes financiers. En Europe, elle a explosé sous la forme d’une crise bancaire, car les banques détenaient 80 % des prêts hypothécaires.

Les autorités européennes et l’État espagnol ont réagi en prenant un ensemble de mesures pour sauver les banques. Résultat : des millions de personnes ont perdu leur emploi, leur logement, leur protection sociale et les femmes ont été particulièrement touchées.

La recette de la Banque centrale européenne, de la Commission européenne et du FMI a été l’imposition de politiques d’austérité se traduisant par des coupes dans les droits sociaux. La priorité était de sauver le système et de restaurer la confiance dans le secteur financier.

Aujourd’hui, quinze ans plus tard, nous nous demandons si notre situation est la même ou pire.

Les perspectives de la dette publique dans les pays européens se sont considérablement aggravées par rapport aux niveaux d’avant la pandémie. Trois ans après l’urgence sanitaire Covid-19, et après presque deux ans d’investissements et d’aides publiques visant à relancer l’économie et à contenir la crise énergétique, les États membres arrivent avec un niveau d’endettement élevé - dans le cas de l’État espagnol avec une dette publique centrale de 116 % du PIB et des gouvernements périphériques comme le Pays valencien avec plus de 50 % de son PIB -, avec de grandes entreprises aux bénéfices historiques, et avec une bonne partie de la citoyenneté européenne en difficulté.

La cause principale de cette augmentation est la décision des gouvernements de ne pas taxer les grandes entreprises qui ont profité des crises de la santé et de l’énergie et de la guerre pour augmenter illégitimement leurs profits. Au lieu de financer les dépenses publiques en augmentant les impôts des plus riches, en particulier ceux qui se sont enrichis pendant la crise aux dépens du malheur de la population, les gouvernements ont une fois de plus eu recours à l’endettement illégitime.

Actuellement, dans l’État espagnol, les paiements annuels du service de la dette limitent considérablement les investissements dans la couverture des besoins sociaux de base essentiels pour les citoyens tels que la santé, le logement, les services sociaux, l’éducation, etc. La dette s’avère insoutenable.

Face à ce panorama inquiétant de l’endettement public, la Commission européenne (CE) a présenté en novembre 2022 une proposition de réforme du cadre de la gouvernance économique européenne, afin de débattre et de négocier avec les États membres ce que serait un retour au Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Il s’agit de la sacro-sainte maxime qui consiste à ne pas dépasser « 3% de déficit » et « 60% de dette publique » au nom de la stabilité de l’économie européenne et de l’euro.

Selon la Commission, il est temps de faire les comptes et de réfléchir à la manière de revenir au PSC. Cette situation est inquiétante car elle pose la question de savoir qui va payer pour toute cette dette et si l’on s’attend à une nouvelle vague de coupes et de politiques d’austérité.

Pendant ce temps, le casino financier mondial suit son cours et continue de faire peser un risque majeur sur la société ; les lobbies érodent la démocratie et la dette mondiale augmente ; l’évasion fiscale systématique est désormais endémique et structurelle ; les grands capitaux privés ont pris le contrôle de la soi-disant transition écologique ; les grands fonds d’investissement colonisent les services publics essentiels et l’économie productive.

Avec la décision de la BCE d’augmenter fortement les taux d’intérêt à l’instar de la Réserve fédérale américaine, la nouvelle crise de la dette publique et privée qui mûrissait a pris des formes aiguës, affectant principalement les pays du Sud. Progressivement, cette hausse des taux d’intérêt rendra le remboursement des dettes publiques et privées de plus en plus insupportable. Les mouvements de lutte contre les dettes illégitimes, qui avaient reculé ces dernières années pendant la période de l’argent facile, devront être relancés.

Nous pensons que cette réunion à Madrid nous donne l’occasion d’ouvrir un nouvel espace de débat public sur les causes profondes des crises et sur ce que nous voulons faire du secteur financier. Nous devons défendre notre avenir et imposer une solution socialement juste à la dette actuelle. Nous sommes déterminés à intensifier la lutte pour le contrôle démocratique de la finance et pour la socialisation des banques. L’économie doit être au service de la politique et la politique doit satisfaire les besoins humains.

Nous dénonçons l’impact négatif d’une vision à court terme des marchés financiers qui dominent les formes de développement des sociétés, alimentent les inégalités sociales, la pauvreté, les politiques étatiques centralisatrices, autoritaires et austéritaires, l’effondrement des services publics et le changement climatique, et c’est pourquoi, en ce qui concerne la dette, nous demandons :

1. La fin des politiques d’austérité imposées au nom du remboursement de la dette par les institutions financières internationales et les États, ainsi que la fin des politiques extractivistes et coloniales imposées par les plans d’ajustement structurel.

Dans l’État espagnol, la fin de la fausse décentralisation politique et économique du modèle autonome du « régime commun », qui subordonne le développement des nations et des régions et de leur citoyenneté au maintien d’une élite politique, économique et médiatique qui fonde son pouvoir sur le renforcement de la domination du capital de l’État.

2. L’organisation d’audits citoyens de la dette qui identifient les dettes illégitimes et insoutenables en vue de leur annulation, promeut un processus efficace et équitable d’allègement de la dette et fournit un moyen de sortir du piège de la dette dans lequel de nombreux citoyens, entreprises et pays sont pris. Ce processus d’allègement de la dette fait partie du développement de nouveaux cadres économiques qui s’éloignent du productivisme et renforcent la justice sociale.

3. La priorisation de l’intérêt général avant le remboursement de la dette. En ce sens, nous proposons l’abrogation de l’article 135 de la Constitution, qui place le remboursement de la dette avant toute dépense sociale.

4. La création d’un service public de banque et d’assurance, afin qu’il soit géré sous contrôle citoyen dans l’intérêt général. De même, pour les cas où les banques de détail font faillite et nécessitent la sauvegarde de leurs déposants, créer un fonds spécial de crise dans tous les pays, alimenté par une taxation exceptionnelle des sociétés financières.

5. Mettre fin à l’impunité des fraudeurs fiscaux avec la généralisation de l’échange automatique de données bancaires et fiscales, ainsi que l’abolition définitive du secret bancaire afin que les États puissent connaître et saisir les fonds cachés dans les paradis fiscaux. En Espagne, mettre fin à la domiciliation fiscale des entreprises dans des territoires où leur activité économique n’est pas réalisée.

6. Chercher à récupérer la souveraineté des États face au pouvoir du marché avec un système d’impôt sur le revenu hautement progressif.

7. Mettre la Banque centrale européenne (BCE) au service de l’intérêt général (et non plus des marchés), ce qui nécessite en priorité de placer la BCE, responsable de la politique monétaire et de la supervision bancaire, sous contrôle démocratique en abrogeant l’interdiction faite aux États et aux gouvernements d’emprunter auprès de leur banque centrale. Annuler les dettes de la zone euro détenues par la BCE, qui représentent en moyenne 25 à 30 % de la dette souveraine de chaque pays de la zone euro.

En ce qui concerne les fonds spéculatifs et les fonds vautours, il faut :

1. Informer et expliquer au public les dommages graves et énormes que les fonds vautours peuvent causer dans nos vies.

2. Dans le domaine des services de base, qu’ils soient publics ou privés, tels que le logement, l’éducation, la santé, les services sociaux, les soins aux personnes âgées ou l’environnement, nous demandons l’adoption de mesures visant à empêcher l’entrée de fonds spéculatifs dans ces secteurs et à promouvoir une gestion orientée vers la satisfaction des besoins des citoyens.

3. Promouvoir une loi contre les fonds vautours dans l’État espagnol, similaire à la loi belge qui empêche ces fonds de nuire, car ils s’enrichissent en détruisant les droits fondamentaux de la population.

Jusqu’à l’adoption de cette loi, nous proposons d’empêcher ces fonds de recevoir des fonds publics s’ils ne respectent pas un niveau minimum de transparence qui inclut la révélation de l’identité de leurs actionnaires, qui s’enrichissent dans l’opacité en détruisant les droits fondamentaux de la population.

4. Promouvoir l’élaboration de réglementations similaires de portée internationale, à commencer par l’Union européenne, car les fonds vautours ont souvent recours aux tribunaux des pays « amis » pour contourner les lois des États.

5. La disparition des paradis fiscaux.

Alors rêvons un peu... Ce qui précède signifiera que les avertissements et les demandes du mouvement social et citoyen ont enfin été entendus par les autorités internationales, européennes et étatiques, ce qui s’est enfin traduit par la mise en œuvre de réformes radicales pour réguler le système économico-financier. Leurs décisions doivent être inspirées par l’intérêt général, la voix des citoyens. En outre, les questions environnementales et la lutte contre les inégalités doivent devenir une priorité.


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