Les deux anciens trésoriers de Marine Le Pen présents à la manifestation néofasciste à Paris

mercredi 17 mai 2023.
 

Samedi 6 mai, des groupuscules néofascistes ont manifesté à Paris, en cagoules et masques noirs. Axel Loustau et Olivier Duguet, les deux anciens trésoriers du microparti de Marine Le Pen, Jeanne, étaient présents en marge de ce défilé. Le premier a tenté d’intimider notre photographe.

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Marine Turchi

Les deux acolytes ont milité ensemble au Groupe union défense (GUD) dans les années 1990, sous la houlette de Frédéric Chatillon, un vieil ami de Marine Le Pen. Reconvertis respectivement en chef d’entreprise et comptable, ils ont été, via le microparti Jeanne, les piliers de l’organisation financière du Front national et de ses campagnes.

Axel Loustau, qui a connu Marine Le Pen à la faculté de droit d’Assas à Paris, a joué, ces dix dernières années, un rôle à la fois financier et politique. Fondateur d’un groupe de sociétés (sécurité, imprimerie) qui a travaillé pour le Front national, il fut trésorier de Jeanne (2012-2022), conseiller régional RN d’Île-de-France (2015-2021), président de la fédération des Hauts-de-Seine et il a pris, en 2017, les commandes de la cellule financière de la campagne présidentielle de Marine Le Pen.

Olivier Duguet, dont Mediapart avait révélé la condamnation à six mois de prison avec sursis dans une affaire d’escroquerie au préjudice de Pôle emploi en 2012, fut successivement trésorier et trésorier adjoint de Jeanne.

Ces dernières années, à l’approche du procès de l’affaire du financement des campagnes 2012 du Front national, les gudards ont disparu des organigrammes officiels (dans cette affaire, Chatillon et Duguet ont été condamnés, Loustau a été relaxé en mars 2023).

Mais cette « GUD connection » est restée présente dans les coulisses des campagnes du RN, notamment via l’agence de communication e-Politic, dont Chatillon et Loustau sont actionnaires avec leurs holdings. Axel Loustau continue d’ailleurs d’afficher, sur les réseaux sociaux, son soutien au Rassemblement national et à son nouveau président, Jordan Bardella.

Samedi, au moins deux membres de ce petit groupe – Axel Loustau et Olivier Duguet – étaient donc présents en marge de ce défilé, qui a regroupé 550 militants selon la préfecture, le plus souvent dissimulés derrière des cagoules, casquettes, lunettes et masques noirs, et criant « Europe, jeunesse, révolution », le slogan fétiche des néofascistes. Les deux anciens gudards apparaissent aussi sur des images diffusées par les organisateurs, participant au dépôt de gerbe dans la cour d’un immeuble.

La manifestation, autorisée par la préfecture, s’est déroulée dans un climat de grande hostilité à l’égard de la presse et était encadrée par un dispositif de police sous-dimensionné au vu de sa dangerosité.

Au lendemain de la publication de notre article, la préfecture de police de Paris s’est défendue, dans un communiqué, estimant que ce défilé avait « fait l’objet d’un encadrement adapté des forces de l’ordre, pour éviter tout risque de débordement ou affrontements ». Elle indique avoir autorisé cette manifestation car celle-ci aurait rempli « les obligations » (une déclaration en préfecture) et qu’elle n’avait « occasionné, les années précédentes, aucun débordement ou trouble à l’ordre public ». Elle fait aussi valoir qu’en janvier, « l’arrêté interdisant une manifestation de l’ultra droite à Paris avait été suspendu par le juge administratif ».

Samedi, dès le départ, des militants assurant le service d’ordre de la manifestation ont en tout cas entravé le travail d’information de journalistes et photographes présents, refusant qu’ils prennent des photos, alors que la manifestation était publique.

Identifié dès son arrivée par un ancien militant de l’Action française proche de Marc de Cacqueray – figure centrale de l’ultradroite sur lequel Mediapart vient de publier une grande enquête –, notre photographe Yann Castanier a été intimidé et menacé à plusieurs reprises, et a dû poursuivre son travail protégé par les policiers. Un membre du service d’ordre a indiqué à ceux-ci qu’ils ne seraient « pas en mesure d’assurer sa sécurité si des personnes du cortège sortaient pour s’en prendre à lui ».

Yann Castanier a également été pris en photo, suivi et intimidé par Axel Loustau. Il a dû quitter le rassemblement escorté par les forces de l’ordre, qui l’ont aidé à dissimuler la plaque d’immatriculation de son véhicule. « C’est pas bon ! », a alors lancé l’ancien élu RN, prétextant ensuite qu’il parlait « de la pluie ».

Le défilé avait pour point d’arrivée la rue des Chartreux, où une gerbe a été déposée. Depuis près de trente ans, le comité du 9-Mai (C9M) commémore en effet la mort en 1994 d’un des leurs, Sébastien Deyzieu, un militant de l’Œuvre française de 22 ans tombé d’un immeuble alors qu’il tentait de fuir la police en marge d’une manifestation d’extrême droite interdite.

Ce n’est pas la première fois qu’Axel Loustau tente d’intimider des journalistes. En 2010, en marge du même défilé, il avait suivi, pris en photo puis menacé nos confrères du Monde, avant de leur cracher dessus. En 2015, un petit groupe mené par Axel Loustau et Olivier Duguet nous avait pris à partie sur la voie publique. « Je vais te tuer !… Je vais te retrouver !… Je vais t’attendre en bas de chez toi ! », avait lancé ce dernier en nous menaçant physiquement.

Axel Loustau a été vu à d’autres rassemblements radicaux, comme à « Jour de colère », mobilisation ponctuée de slogans antisémites où Mediapart l’avait aperçu en 2014 aux côtés d’un organisateur. En 2013, il avait été interpellé lors d’affrontements contre le mariage pour tous, aux Invalides, à Paris.

Loustau et Duguet n’ont jamais renié leurs engagements de jeunesse, que le premier ravive en permanence sur Facebook. Ces dernières années, sous différents comptes anonymes (une demi-douzaine de profils sur Facebook, un peu moins sur Twitter), il a déversé ses idées radicales, jusqu’à des allusions implicites au IIIe Reich ou à la Shoah, comme Mediapart l’avait documenté.

En 2011, à son quarantième anniversaire, auquel étaient notamment présents d’anciens du GUD et un ex-militant de la FANE (un groupuscule violent et ouvertement néonazi dissous dans les années 1980), Axel Loustau avait été photographié bras tendu devant son gâteau. Il avait assuré qu’il ne faisait que « saluer l’amitié et la présence » de ses « 150 amis ».

Ce dimanche, comme l’année précédente, il a apporté son soutien à cette manifestation sur Facebook.

En 2012 déjà, il avait été photographié devant le cortège et ses croix celtiques, donnant l’accolade à Édouard Klein, qui avait relancé le GUD à l’époque :

Sollicité par Mediapart, l’ancien élu RN n’a pas répondu à nos questions précises, ironisant par SMS : « À la lecture de vos questions je réalise à quel point je fais fausse route avec ces idées mortifères qui consistent à aimer les miens, mon peuple, ma nation, ma culture et mon identité. » De son côté, Olivier Duguet n’a pour l’instant pas donné suite.

Leur présence dans ce défilé radical tranche en tout cas avec la volonté de Marine Le Pen d’afficher, depuis 2011, un parti « dédiabolisé ». Depuis qu’elle a repris le flambeau de son père pour diriger le Front national – devenu, en 2018, le Rassemblement national (RN) –, Marine Le Pen réfute le qualificatif même d’« extrême droite » et répète que son parti n’a « aucun rapport » avec les groupuscules d’extrême droite qui commettent des violences.

Ces groupes « expriment d’ailleurs régulièrement leur désapprobation à notre égard », assurait-elle en 2013, après la mort du militant antifasciste Clément Méric, tué par deux skinheads.

En décembre dernier, comme pour marquer une distance supplémentaire, alors que les violences de groupes d’ultradroite se multipliaient, la députée du Pas-de-Calais avait demandé à Élisabeth Borne de « dissoudre » les « groupuscules extrémistes », « quel que soit leur profil politique ».

Sollicitée, Marine Le Pen ne nous a pour l’instant pas répondu. Questionné en novembre par Mediapart sur la présence de ces gudards dans les coulisses des campagnes du RN, Jordan Bardella avait botté en touche :

Marine Le Pen n’ignore pas l’histoire de la création de ce comité du 9-Mai qui a suivi la mort de Sébastien Deyzieu. À l’époque, des militants du FNJ (Front national de la jeunesse) et du GUD avaient fait front commun dans le lancement d’« un comité du 9-Mai » visant à dénoncer « la police de Pasqua ».

Ils avaient tenté d’envahir l’appartement du ministre de l’intérieur, puis avaient fait irruption dans les locaux de Fun Radio avec des armes de poing, prenant le micro pour réclamer la démission de Charles Pasqua.

La radio avait porté plainte, sept militants avaient été condamnés à des peines d’interdiction des droits civiques allant de deux à trois ans. Lors du procès en appel, Marine Le Pen – alors avocate, et déjà engagée au Front national – avait assuré leur défense, avec un certain Philippe Péninque, un ancien chef du GUD ami du tandem Chatillon-Loustau, qui deviendra plus tard son éminence grise.

Dans sa plaidoirie, elle avait dénoncé une « injustice » et estimé que les militants avaient écopé d’une peine plus lourde « parce que l’on s’est aperçu, horreur ! qu’ils font partie de cette frange minime de jeunes citoyens qui veulent intervenir dans l’avenir de la nation ».

Marine Turchi


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