«  L’ubérisation organise un suicide social collectif  »

vendredi 9 juin 2023.
 

La commission d’enquête sur les Uber Files – des milliers de documents exclusifs dévoilés par un lanceur d’alerte – interroge ce 25 mai Dara Khosrowshahi, le PDG d’Uber. Danielle Simonnet, rapporteuse de cette commission, et la sociologue Sophie Bernard décryptent l’implantation de l’écrasante machine américaine en France.

Les 29 députés de la commission d’enquête relative aux révélations des Uber Files, créée le 2 février, ont convoqué Dara Khosrowshahi, le PDG d’Uber. Il doit répondre, ce jeudi 25 mai, aux nombreuses questions que posent les milliers de documents exclusifs dévoilés par un lanceur d’alerte, son ancien responsable du lobbying pour l’entreprise. Entretien croisé entre Danielle Simonnet, rapporteuse de cette commission, et la sociologue Sophie Bernard, autrice de UberUsés, Le capitalisme racial de plateforme, sur l’écrasante machine américaine.

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Par les sciences sociales d’un côté et le politique de l’autre, vous participez à décrire, chacune dans votre champ, le «  modèle Uber  ». Aujourd’hui, l’entreprise est présente dans 24 villes en France et 10 000 villes à travers la planète. A-t-elle réussi à imposer sa vision du monde  ?

Danielle Simonnet : On se trouve dans un moment de retournement de l’histoire. Entre 2012, année de son implantation en France, et 2018, l’écosystème ultralibéral se fait le plus grand défenseur du modèle Uber. Il vante la «  disruption  » de l’entreprise américaine, sa capacité à «  offrir un emploi  » à des jeunes qui n’en ont pas dans les quartiers populaires. Les consommateurs, eux, jouiraient d’une magnifique liberté supplémentaire en termes de mobilité. À ce moment-là, les opposants à Uber sont réduits à des postures archaïques, poussiéreux défenseurs des professions réglementées des taxis.

À l’arrivée d’Uber en France, on a cette présentation d’un innovateur ’héroïque’.

Mais, petit à petit, la bataille des chauffeurs Uber a permis de casser ce mythe. Ils sont les premières victimes, en ayant été précarisés au fil des mois après leur inscription sur la plateforme. Aujourd’hui, tout le modèle Uber est en train de s’effondrer culturellement au sein de l’opinion, au point que le Parlement européen a voté une préconisation pour une directive sur la présomption de salariat. Un combat politique qui n’est pas gagné, puisque le Conseil de l’Union européenne doit statuer prochainement. Et la France, jusqu’au sommet de l’État, essaie coûte que coûte de torpiller cette initiative.

Sophie Bernard : Je partage cette idée de basculement en cours. À l’arrivée d’Uber en France, on a cette présentation d’un innovateur «  héroïque  », vecteur de progrès face à ce qui est qualifié alors de «  cartel des taxis  ». Les mobilisations des chauffeurs, peu médiatisées dans la durée, ont permis une prise de conscience. Cela n’empêche que la plateforme est encore beaucoup utilisée, notamment grâce à sa stratégie anticoncurrentielle qui lui permet de maintenir des bas prix. Une logique dont le seul objectif est la croissance à tout prix. Pour cela, Uber applique une tactique imparable  : s’implanter dans un marché en ne respectant rien, évincer les acteurs existants, arracher un monopole. Puis augmenter sa commission.

Cette prédation du marché est facilitée par ces investisseurs mais aussi par des agents facilitateurs. En l’occurrence, des politiques de premier plan comme Emmanuel Macron lorsqu’il était ministre de l’Économie. L’implantation d’Uber est-elle dépendante de cette complicité avec le politique  ?

Danielle Simonnet : Il y a une stratégie assumée d’Uber  : imposer un état de fait à l’État de droit. C’est ce qu’on retrouve dans les Uber Files, révélés par Mark MacGann. Les dirigeants de la firme savent très bien que leurs pratiques sont hors la loi. Mais ils assument ce chaos. Et l’organisent avec l’aide de cabinets de conseil, qui ciblent les politiques conciliants, avec des économistes qu’ils paient très cher pour obtenir des conclusions bidon. Certaines d’entre elles figurent même déjà en amont dans le contrat qu’ils passent. Si Emmanuel


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