Oui, le RN est « l’héritier de Pétain », le FN a été fondé par des anciens nazis

lundi 12 juin 2023.
 

Et si, pour une fois, la Première ministre Elisabeth Borne avait raison ? Ce 28 mai, elle affirmait sur Radio J que le RN est un “héritier de Pétain”, un parti à “l’idéologie dangereuse”. Après plus d’un an d’entraide et de collaboration entre le Rassemblement National et les macronistes à l’Assemblée Nationale (rappelons par exemple leur vote commun, avec Les Républicains, contre l’augmentation du SMIC, ou bien l’aide apportée par Renaissance et ses alliés pour céder deux vices-présidences de l’Assemblée à l’extrême droite), ce rappel historique interroge. D’autant que, dans la même interview, Elisabeth Borne retombe vite dans ses travers en renvoyant dos-à-dos RN et LFI, dont elle juge le comportement dangereux…tout en précisant ne pas mettre de trait d’égalité entre les deux. Trop aimable, mais on aurait apprécié cette lucidité avant qu’elle ne martèle dans chaque intervention son opposition aux “extrêmes” qui “se rejoignent”.

Ainsi pour une fois la Première ministre évite le zéro pointé en Histoire…mais pas le Président de la République. Ce dernier s’est empressé de “recadrer” sa Première ministre, avant de lui réaffirmer son soutien, non sans que Bruno Lemaire, ministre de l’Economie, n’ait salué les propos de Mme Borne. Ces passes d’armes entre membres de l’exécutif nous font oublier le point essentiel de cette entretien : oui le Rassemblement National descend en droite ligne de Philippe Pétain et de son régime. Le FN a été fondé par d’anciens nazis. Rappels historiques.

Philippe Pétain, le parcours d’un dictateur antisémite

Nous avons déjà rappelé en détail dans nos colonnes le parcours de Pétain, mais un bref récapitulatif s’impose. Philippe Pétain est fait Maréchal de France en 1918. La presse fait alors de lui, depuis deux ans, le “sauveur de Verdun”. Son rôle dans cette bataille est aujourd’hui contesté : il y a certes joué un rôle actif, mais il éclipse le général Nivelle, dont l’action a été plus décisive, et les 163 000 soldats tombés dans les tranchées de la Meuse. Quand Nivelle s’est rendu, avec sa stratégie offensive, responsable de la désastreuse bataille du Chemin des Dames en 1917, la propagande de guerre a dû “trouver” en Pétain, plus porté sur une optique défensive, un meilleur héros.

Entre 1925 et 26, Pétain est envoyé aider le général Franco, futur dictateur espagnol, au Maroc face aux rebelles locaux lors de la guerre du Rif : Pétain y emploie des méthodes barbares contre les civils. Dans l’entre-deux-guerres, le vieux Maréchal se fait ainsi une image de militaire de droite, mais républicain : il dénonce même le racisme des nazis et des fascistes. Sa popularité le fait entrer au gouvernement, comme ministre de la Guerre en 1934, et devient, en 1939, ambassadeur auprès de Franco en Espagne (sans trop de succès)

Les masques tombent en mai-juin 1940 : la France est défaite, envahie par les nazis, le gouvernement fuit à Bordeaux et Pétain sent que son heure est venue : il devient Président du Conseil (équivalent de Premier ministre, qui détient véritablement le pouvoir) le 16 juin. Le lendemain, l’armistice est signée avec le IIIème Reich, la France est démembrée et le gouvernement de Pétain n’exerce son autorité que sur la zone Sud, à Vichy. Dans cette ville, le 10 juillet, les députés et sénateurs votent à Pétain les pleins pouvoirs : c’est la fin de la IIIème République, Pétain et ses gouvernements successifs (Laval, puis Flandin, Darlan et de nouveau Laval) mettent en place un régime autoritaire et nationaliste.

Dès octobre 1940, une loi recensant et excluant les juifs de nombreux lieux publics et métiers est promulguée. Pétain lui-même durcit la loi : de sa main il renvoie les juifs de l’enseignement et de la magistrature. De même le 30 octobre 1940, Pétain décide, librement, d’engager la France dans la voie de la collaboration avec les nazis. En dehors des salons d’hôtels de Vichy, la collaboration prend diverses formes et des organisations ultra-collaborationnistes (qui collaborent par approbation idéologique du projet nazi) voient le jour. Parmi elle, la plus connue est la Milice, fondée en 1943 par le secrétaire d’Etat Darnand.

Les fondateurs du FN (aujourd’hui devenu RN) : des anciens nazis et des collabos

Parmi les miliciens, on retrouve un certain François Brigneau. D’abord engagé dans le parti fasciste français de Marcel Déat, le Rassemblement National Populaire (on se demande où Marine le Pen a choisi le nouveau nom de son parti en 2018…), Brigneau s’enrôle dans la milice après le débarquement de Normandie en juin 1944. Après la guerre, il échappe au peloton d’exécution et devient journaliste pour des journaux d’extrême-droite (comme Minute et Rivarol), avant de rejoindre le groupuscule néofasciste Ordre Nouveau. En 1972, le Front National est créé, agrégat de groupuscules d’extrême-droite fascistes, royalistes, antisémites, dont Jean-Marie Le Pen devient la figure “respectable”. Brigneau est le premier vice-président de l’histoire du parti.

Pendant l’Occupation les collaborationnistes les plus fanatiques peuvent aussi directement servir sous les drapeaux allemands : c’est dans cette optique qu’est créée la division française de la Waffen-SS, sous le nom de Charlemagne, en 1944. Cette division, regroupant les volontaires français voulant se battre notamment sur le front de l’Est, compte dans ses rangs deux autres fondateurs du Front National. D’abord Léon Gaultier, qui n’a pas de responsabilité particulière au sein du parti, mais est membre du Conseil National fondateur du FN en 1972 après avoir été l’équivalent de sous-lieutenant dans la Waffen-SS en 1944. En son sein, la division Charlemagne compte également un homme dont le rôle dans la création du FN a été considérable : Pierre Bousquet. Celui-ci tient une place importante aux côtés de Jean Marie Le Pen : ce sont ces deux hommes qui ont déposé en préfecture les statuts du Front National, après quoi Bousquet devient trésorier du parti.

Un dernier cas particulier retient l’attention, celui de Roger Holleindre. Il devient le premier secrétaire général adjoint du FN en 1972 et, contrairement aux autres noms cités, il est issu de…la résistance. Holleindre faisait en effet partie de cette frange marginale de l’extrême-droite française qui a résisté. Faut-il alors croire l’Action Française lorsqu’elle proclame avoir été la première à avoir résisté en 1940 (même si leur maître à penser Maurras a été condamné en 1945 pour haute-trahison et intelligence avec l’ennemi) ? En réalité, cette extrême-droite résistante s’est engagée davantage par haine des allemands que par antinazisme ou par républicanisme. Il faut aussi rappeler que Roger Holleindre n’a jamais caché son admiration pour Pétain, ni son appartenance à l’Organisation Armée Secrète, organisation d’extrême-droite connue pour avoir tenté d’assassiner De Gaulle en 1962. Que Marine Le Pen ne l’oublie pas lorsqu’elle clame son amour pour De Gaulle…

Au-delà de ces parcours individuels, on voit bien les influences multiples qui ont conduit à la création du FN puis du RN. Si la vieille extrême-droite est en partie passée entre les mailles du filet de l’épuration de 1944-45, ses discours, ses idées ont été réduites au silence pour plusieurs années (sans pour autant disparaître). C’est la guerre d’Algérie (1954-62) qui donne une occasion à ces anciens collabos de ressortir du bois : l’OAS notamment est créée en 1961 pour défendre la présence française en Algérie, quitte à employer des moyens terroristes. Ordre Nouveau aussi a joué un rôle important dans la fondation du FN. Fondé en 1969, ce groupuscule néofasciste a pour objectif affiché la conquête du pouvoir en rassemblant toute l’extrême droite nationaliste en un seul parti pour, à terme, prendre le pouvoir par les urnes. Pour se faire, la vieille rhétorique antisémite ne fait plus recette électoralement : c’est un proche de Jean Marie Le Pen, François Duprat, qui met à jour le discours de l’extrême droite, qui change de bouc-émissaire. Désormais, pour les discours du FN, c’est l’immigré qui devient la source de tous les maux des français, surtout ceux qui travaillent.

Il y a donc une différence de nature entre l’extrême droite et les autres camps politiques. L’histoire récente a disqualifié pour un temps les discours nationalistes, xénophobes, antisémites, réactionnaires…car ceux qui les ont portés ont soit été des collaborateurs actifs, soit ont mené des actions violentes après la guerre, voire les deux. Mais ce souvenir s’atténue avec le temps : l’extrême droite est de moins en moins pestiférée pour le reste de la droite, y compris parmi le camp dit « libéral ». On retrouve cette porosité des les années 80 : d’anciens membres de groupuscules (comme le GUD), parfois passés par le FN (comme Alain Robert), font ensuite une carrière tout à fait respectable dans des partis de droite « classique » sans renier clairement leurs engagements passés (comme Alain Madelin). Aujourd’hui, les macronistes cèdent des places aux élus l’extrême droite et tentent de mettre la gauche au ban du jeu politique à mesure que cette dernière, notamment grâce à la NUPES, est redevenue dans son ensemble un symbole d’espoir, porteur de progrès social, capable de prendre le pouvoir.

À mesure que la crise sociale et politique dure, les macronistes préparent le terrain à l’extrême droite, dans l’hypothèse où celle-ci arrive un jour au pouvoir : leurs coups tordus en commission des affaires sociales pour empêcher la proposition de LIOT visant à abroger la réforme des retraites le montre. Renaissance et ses alliés n’ont jamais hésité à piétiner le Parlement pour faire passer leurs réformes anti-sociales.

Alors oui, l’espace d’un instant, Mme Borne a eu raison : le RN est bien héritier de Pétain et de sa politique mortifère. Mais quand on administre de tels rappels, la moindre des choses est de ne pas essayer de tenir en laisse la bête immonde, au risque de la voir se déchaîner.

Par Alexis Poyard.


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