Des réformes, oui mais lesquelles ?

mardi 27 juin 2023.
 

La France n’est pas irréformable, elle refuse simplement les réformes qui accentuent les inégalités. Mais c’est pour l’instant un refus incapable d’impulser une société meilleure.

Il y a deux manières d’analyser la situation actuelle engendrée par Macron avec opiniâtreté, sourd à toutes les protestations, qu’elles viennent des opposants à sa réforme injuste et inutile, ou de ceux qui la soutenaient, mais voulaient éviter le recours au 49-3, meilleur moyen de risquer un dur conflit social.

https://blogs.mediapart.fr/gilles-r...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20230622-175400&M_BT=1489664863989

L’avenir sombre des réformes futures ?

La première c’est de déplorer que la France soit ingouvernable ou non réformable. Car même si la quasi-totalité de la presse, qu’elle soit nationale ou internationale (à quelques exceptions près comme le Washington Post, sans surprise favorable à la réforme), critique l’impasse politique et l’isolement où s’est enferré Macron, c’est souvent pour s’inquiéter de sa capacité à faire de nouvelles réformes. Ceux qui penchent dans cette direction devraient plutôt s’inquiéter qu’il puisse encore avoir la possibilité d’en faire d’autres. Car il ne suffit pas d’affirmer une volonté de réformer le pays, les institutions, la manière de faire de la politique pour que le contenu de ces réformes, le fonctionnement de ces institutions ou cette nouvelle manière de faire de la politique soient dans l’intérêt de la majorité.

Il y a en fait toutes les raisons de penser, après la réforme des allocations chômage, celle du code du travail et maintenant celle des retraites que les prochaines (en particulier celle annoncée sur l’immigration), iront dans le même sens d’un accroissement des inégalités, d’une aide sans contreparties aux (grandes) entreprises, d’un détricotage de l’hôpital, de l’école publique et de l’ensemble de la protection sociale, bref, de tout ce qui a déjà marqué les six ans de règne de Macron et qu’avait parfaitement annoncé Denis Kessler dans la revue Challenge en 2007 quand il était PDG de Scor : défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance.[1]

Dans cette ligne, on peut aussi noter l’éditorial du Monde du 18 mars qui écrivait que s’il avait subi un double échec « une partie seulement lui est clairement imputable », car « la réforme, difficile par nature a été mal défendue par les ministres, qui se sont, à plusieurs reprises contredits, au risque d’alimenter le procès en improvisation et en insincérité ». Comme si la réforme des retraites était défendable (comme d’ailleurs les précédentes sur le chômage et le code du travail), et qu’une bonne dose d’explications aurait convaincu les Français de l’applaudir ! En réalité, l’improvisation et l’insincérité étaient une conséquence nécessaire de cet entêtement, clairement imputable à Macron seul, d’imposer une réforme que 90 % des actifs refusaient parce qu’ils en comprenaient parfaitement les effets. S’imaginer, comme semble le dire l’éditorialiste, qu’il y avait une bonne explication possible, c’est prendre une posture se voulant « objective » quand elle est manifestement partisane. Et la tentative dérisoire de plaindre la cheffe du gouvernement qui « n’a eu de cesse, durant deux mois, de faire des concessions, dans l’espoir de rallier au projet les députés de droite » vient renforcer ce jugement quand on examine le contenu des « concessions » qu’elle aurait faite.

Quelles réformes futures ?

La seconde analyse possible c’est d’expliquer que nous sommes en train de vivre la fin d’un cycle et qu’il faut s’en saisir pour que la suite ne soit pas pire avec l’arrivée du RN au pouvoir.[2]

Cela fait plus de trente ans que le néolibéralisme oriente les politiques publiques et tente de limiter au maximum l’action sociale de l’État. La réforme des retraites en France est l’aboutissement de cette orientation dans notre pays. D’une part parce que les pensions restent le dernier gros poste budgétaire où des coupes importantes peuvent avoir lieu et réduire significativement la part du PIB consacrée aux dépenses dites sociales, permettant ainsi d’espérer accentuer la compétitivité des entreprises tout en continuant à baisser leurs impôts. C’est d’ailleurs le dernier argument avancé par Macron pour justifier le 49-3, celui d’un trop grand risque économique qu’aurait pris la France en ne réduisant pas ses dépenses publiques comme elle l’avait promis à Bruxelles, obérant alors sa capacité d’emprunt sur les marchés financiers. Les agences de notation contre le peuple en quelque sorte, les premières étant évidemment beaucoup plus utiles que ce dernier. Pourtant, il n’est pas sûr que les « marchés financiers » ces arbitres tout-puissants de nos vies, affichent une préférence marquée pour un pays en ébullition face à la réduction d’une dette de 12 milliards d’euros. Emmanuel Faber a perdu le soutien de ses actionnaires quand ils l’ont trouvé trop écolo, Macron pourrait bien connaître le même sort quand les « marchés financiers » le trouveront trop borderline et il a déjà reçu un avertissement en ce sens avec la note dégradée de Fitch à AA- et l’inquiétude manifestée par S&P Global lors de son dernier rapport qui maintient sa note de AA mais considère que la perspective pour la France reste négative.

Mais d’autre part, cette réforme vient de front à contre-courant de la baisse de la durée du travail qui a marqué les 150 dernières années au travers de luttes sociales intenses. Les gains de productivité croissants, obtenus jusque-là par l’intensification du travail, après sa « rationalisation » taylorienne qui avait contribué à la baisse du temps contraint, deviennent de plus en plus difficiles à obtenir en l’intensifiant davantage (voir mon billet de blog pour des développements). Les burn-out, le lean management engendrant la souffrance au travail, … en donnent la preuve chaque jour. Et expliquent justement cette résistance à une réforme qui ne peut qu’allonger la durée du travail pour compenser cette impossibilité de l’intensifier encore. Il est symptomatique que les éboueurs soient ceux qui ont été les plus remontés et ont continué un mouvement de grève qui est resté largement compris par l’opinion. Indispensables au fonctionnement d’une société de consommation sans limite ils sont pourtant invisibles ordinairement et ne font pas partie des professions dont les parents rêvent pour leurs enfants. On devrait instaurer un stage d’une semaine obligatoire pour Macron et ses ministres pour qu’ils puissent se rendre compte de ce qu’est la pénibilité au travail.

Alors oui il y a des réformes à faire, celles qui vont réduire les inégalités en taxant fortement les dividendes, en établissant l’égalité salariale homme/femme, en augmentant les bas salaires, en sauvant l’hôpital et l’éducation nationale, … La moindre Convention citoyenne serait rapidement capable d’obtenir un large consensus sur des réformes réellement indispensables.

Comment faire ?

Il est en effet facile de définir des objectifs qui amélioreraient la situation du plus grand nombre, mais le problème c’est d’avoir une stratégie pour les atteindre. Elle ne peut évidemment pas être dictée par un seul (même si beaucoup se rêvent capables de le faire), et elle doit tenir compte des forces sociales existantes, dont certaines feront tout pour s’opposer.

En France, il est devenu courant de parler de tripartisme pour caractériser notre système politique depuis que les dernières législatives n’ont pas institué une majorité absolue au Parlement. Pourtant, il semblerait plus juste de distinguer une droite certes divisée, du Modem au RN en passant par Renaissance et LR, mais poursuivant le même souci de défendre les intérêts du capital et « l’ordre républicain », c’est-à-dire le business as usual et une gauche tout aussi divisée, même si la création de la Nupes et la politique de Macron avaient commencé à la réunir un peu.

Il faut donc bien faire le constat qu’il n’y a pas actuellement en France de force sociale capable d’impulser les réformes nécessaires, que ce soit par la voie électorale ou par « la rue ». La réponse au « comment faire ? » est pour l’instant largement sans réponse. Pour l’instant, la gauche vise une prise du pouvoir par les élections[3] qu’elle torpille immédiatement par ses divisions.

Il est sans doute louable de proposer des programmes ambitieux et d’affirmer sans cesse la nécessité d’un changement, mais si on fait tout ce qu’il faut pour ne pas gagner les élections, il y a peu de chances pour que ces programmes soient appliqués. Quant à « la rue », les Gilets jaunes ou les grandes manifestations contre la réforme des retraites ont montré ses limites actuelles, face à la « violence légitime » du pouvoir, de plus en plus violent et de moins en moins légitime.

NOTES

[1] D’où l’indécence et la provocation que constituent la création par Macron du CNR, ce Conseil National de la Refondation dont l’acronyme est le même que celui de la résistance quand son objectif lui est complètement opposé.

[2] Et la politique menée par Macron risque fort de faire advenir ce pire en incitant les électeurs qui avaient voté, pour lui par refus de Le Pen et pas par accord avec son programme (comme il a fait semblant de le croire pour justifier son entêtement à réformer les retraites), de faire monter l’abstention aux prochaines élections.

[3] A l’exception du NPA et de LO qui à chaque campagne proclament qu’ils n’y participent pas pour être élus (c’est le minimum syndical de réalisme, on n’imagine pas qu’ils puissent dire le contraire) mais pour dénoncer les méfaits du capitalisme. Si on peut être d’accord sur ce point, il est cependant évident que cette stratégie affirmée à chaque élection reste désespérément stérile. Ce qui devrait amener ces deux micro-partis à la remettre en cause. Fabien Roussel semble aussi suivre le même chemin en laissant entendre qu’il pourrait être de nouveau candidat en 2027. Il devrait pourtant comprendre qu’aller aux élections en créant les conditions d’un échec n’est sans doute pas le meilleur moyen de changer de République.

Gilles Rotillon

Economiste, professeur émérite à Paris-Nanterre


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