« Les riches nous imposent une société de pornopulence »

lundi 28 août 2023.
 

Entretien avec la sociologue Dahlia Namian, autrice d’un essai sur « la société de provocation », un terme emprunté à Romain Gary pour désigner « cet ordre social où l’exhibitionnisme de la richesse érige en vertu la démesure ».

Mégayachts, îles artificielles, bitcoin, fusées, soirées arrosées… Les mille visages de la richesse s’étalent chaque jour en Une de l’actualité, sur les réseaux sociaux et, surtout, dans notre inconscient collectif. Résultat  ? Pour la sociologue et professeure à l’université d’Ottawa, « bernés par les prestidigitations des ultra-riches, nous les regardons, stupéfaits, dilapider les ressources de la planète » tandis que les inégalités demeurent.

D’où le titre de son nouvel essai en forme de pamphlet sans concession, à paraître ce 22 août aux éditions Lux : La société de provocation – Essai sur l’obscénité des riches. Une référence explicite au roman Chien blanc de Romain Gary, dans lequel l’ancien résistant fustige « cet ordre social où l’exhibitionnisme de la richesse érige en vertu la démesure et le luxe ostentatoire tout en privant une part de plus en plus large de la population des moyens de satisfaire ses besoins réels ». De passage à Paris, Dahlia Namian a répondu à nos questions.

Usbek & Rica : En 2018, le milliardaire Elon Musk avait expédié une voiture électrique dans l’espace depuis la base de lancement de Cap Canaveral, en Floride, celle-ci étant censée « voguer en boucle dans l’espace, durant des milliers, voire des millions d’années ». En quoi cette anecdote est-elle révélatrice de ce que vous appelez « l’obscénité des riches »  ?

DAHLIA NAMIAN Elon Musk fait partie d’une mouvance d’ultra-riches qui cherchent à accumuler du capital. Bien sûr, pour les capitalistes, l’objectif a toujours été de conquérir l’espace au sens large, de façon à faire fructifier leur capital. Les processus de colonisation et l’impérialisme l’ont bien montré. L’idée de conquête de l’espace s’inscrit dans cette continuité, avec une dimension carnavalesque renforcée : on peut en rire – d’ailleurs on ne sait même pas si les entrepreneurs qui se lancent là-dedans se prennent eux-mêmes au sérieux – mais ce n’est pas que de la poudre aux yeux. Ce lancement fait partie d’une véritable stratégie, qui participe à faire fructifier et à maintenir ce système qui leur profite.

> Selon vous, nous vivons dans une « société de provocation ». De quoi s’agit-il  ?

DAHLIA NAMIAN L’expression vient du roman Chien blanc de Romain Gary, écrit à la fin des années 1960, dans un tout autre contexte. Pour résumer, la société de provocation est un ordre social qui érige en vertu la surconsommation, le luxe ostentatoire, et qui permet à une minorité de personnes de s’acheter des îles privées, des superyachts et des SUV, tout en empêchant une partie de plus en plus importante de la société de répondre à ses besoins élémentaires. Nous sommes, me semble-t-il, dans cette situation. Plus besoin de caricature, la minorité d’ultra-riches qui domine l’ordre économique se livre bien, aujourd’hui, à une forme d’exhibitionnisme  !

Les Américains parlent d’ailleurs de wealthporn à ce propos, terme qu’un journaliste du Devoir a très justement traduit par « pornopulence ». Les riches nous imposent effectivement une société de pornopulence, où le luxe s’étale partout, sans aucune limite, de la pub à la télé en passant par les réseaux sociaux. Dans le même temps, de plus en plus de personnes, notamment parmi les classes moyennes, peinent à payer leurs factures quotidiennes, à se loger et à se nourrir dignement. La société de provocation est notre réalité quotidienne : celle d’un capitalisme débridé, sauvage. La seule différence avec la société que décrivait Romain Gary dans les années 1960, c’est qu’on perçoit désormais très bien les conséquences désastreuses de cette richesse sur le climat…

DAHLIA NAMIAN Par ailleurs, il est intéressant de noter que l’idée de provocation est habituellement associée à celle de duel, de combat. Or, aujourd’hui, les ultra-riches semblent intouchables. La résistance et la contestation ne semblent pas suffisantes pour freiner ce phénomène, quand bien même il s’agit d’une toute petite minorité d’individus. Comment l’expliquer  ? Je ne réponds pas à cette question dans le livre, mais je dois dire qu’elle m’interpelle…

> Vous parlez de « minorité », mais le problème, est-ce les 0,1 %, les 1 % ou les 10 % des plus riches  ?

DAHLIA NAMIAN

À ma connaissance, il n’existe pas de seuil de richesse dans la plupart des pays riches (en France, l’Observatoire des Inégalités avait défini en 2020 un « seuil de richesse » symbolique, fixé à 3 470 euros par mois après impôts pour l’équivalent d’une personne seule, ndlr), du moins sous une forme officielle comme pour le seuil de pauvreté. L’instauration d’un tel indicateur permettrait d’y voir un peu plus clair sur le sujet.

Au-delà des chiffres, il faut prendre conscience que les inégalités sont multiples. Si on s’en tient uniquement aux salaires, on n’a qu’une vision très partielle du problème. Les premières inégalités sont celles du patrimoine aujourd’hui. De ce point de vue, les indicateurs d’Oxfam me semblent être les plus pertinents. Surtout, plus il y a de concentration de ces richesses dans les mains de quelques-uns, plus il y a concentration du pouvoir politique. Certes, la richesse permet d’acheter toutes sortes de biens nuisibles et engendre des catastrophes climatiques. Mais c’est surtout le fait qu’elle permet d’avoir une influence sur les décisions publiques qui pose problème.

Pour accéder à l’intégralité de cet entretien, cliquer sur l’adresse URL portée en source (haut de page, couleur rouge).


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