Le blocage des prix ne crée pas de pénurie contrairement à ce qu’affirme Bruno Le Maire

mardi 12 septembre 2023.
 

Face à l’inflation, faut-il instaurer le blocage prix des biens de première nécessité ? C’est ce que propose Jean-Luc Mélenchon dans son programme l’Avenir en Commun pour l’élection présidentielle 2022. C’est également une des propositions d’urgences défendues par les dirigeants insoumis et de la Nupes lors des discussions avec Emmanuel Macron, mercredi 30 août. Le lendemain, sur France 2, en guise de réponse, le ministre de l’économie a déclaré que le blocage des prix « conduit à des pénuries ». Une nouvelle fois, Bruno Le Maire répète en boucle et tête baissée les chimères des économistes orthodoxes, dont l’unique souci est la protection des profits des ultra-riches.

Le comble, c’est que cette « pénurie », catastrophe promise si une politique économique alternative était appliquée, pour nombre de ménages, c’est déjà une réalité. Avec une hausse de 21% des prix de l’alimentation en deux ans, de 10% sur les fournitures scolaires sur 12 mois, les classes populaires connaissent déjà les privations quand ils doivent choisir entre remplir le frigo jusqu’à la fin du mois et acheter des cahiers et des stylos pour la rentrée des classes.

Nouvel épisode de la série : « Désintox économique ». L’objectif : apporter des outils à nos lecteurs pour participer à la bataille culturelle contre la propagande économique véhiculée tous les jours par les médias traditionnels. Notre but : vulgariser les débats économiques pour les rendre accessibles au plus grand nombre. L’adversaire : les milliardaires qui détruisent la planète et les humains, et qui possèdent les médias dominants. Nos alliés dans la bataille : les économistes de notre camp et vous, nos lectrices et lecteurs.

Première étape de ce désintox, se plonger dans l’Histoire pour en tirer des enseignements. Le blocage, ou contrôle des prix, a été expérimenté plusieurs fois dans le passé. En France, c’est le cas de la Libération jusqu’en 1987. Mais ce n’est pas la première fois. L’origine de cette politique économique, c’est la loi du maximum défendue notamment par Robespierre lors de la Révolution Française.

Le 11 septembre 1793, dans une situation de crises multiples, de guerre civile, d’invasion des monarchies européennes, la France révolutionnaire adopte la loi dite du « maximum » sur le blé d’abord et jusqu’à 39 biens de consommation. D’après Romaric Godin « Cette loi a aussi permis d’assurer l’approvisionnement des grandes villes et de briser l’envolée des prix, qui a repris une fois le maximum abrogé par les Thermidoriens le 24 décembre 1794. »

C’est la fin du blocage des prix qui a provoqué famine et révolte Les difficultés de mise en place sont pourtant gigantesques. Imaginez, la tâche des fonctionnaires chargés d’aller de ville en ville, à cheval, de boulangerie en boulangerie pour vérifier le prix de vente du pain. C’est la fin du blocage des prix qui a provoqué famine et révolte. Par exemple, le 12 germinal an III (1er avril 1795), le peuple envahit la Convention thermidorienne pour réclamer du « du pain et la Constitution de 1793 ! ».

Autre instruction de l’Histoire : que se passe-t-il sans régulation des prix ? Après la Première guerre mondiale, l’appareil productif est détruit, l’offre ne suit pas la demande. La France et l’Allemagne laissent l’inflation s’envoler. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni appliquent une politique monétaire restrictive pour juguler l’inflation sans toucher directement au prix. Résultat : une violente récession en 1920 chez les seconds, à partir de 1923 une hyper-inflation en Allemagne et une crise des changes en France. Ce n’est que lorsque la Seconde guerre mondiale ravage le monde que ces quatre pays décident de mettre en place un contrôle des prix.

La fin de la Seconde Guerre mondiale est extrêmement instructive quant aux effets du blocage des prix En juillet 1946, Harry Truman, président des Etats-Unis, abandonne le contrôle des prix. Résultat, les prix s’envolent, un transfert s’opère des ménages vers les profits des entreprises. L’inflation ronge l’épargne populaire jusqu’à ce que la demande s’effondre, ce qui conduit à la récession en 1948.

« Les ménages ajustent donc doublement : par la perte de pouvoir d’achat et par l’emploi durant la crise. »

Romaric Godin

Au contraire, au Royaume-Uni, le gouvernement de Clement Attlee maintient le contrôle stratégique sur les prix et même le rationnement. La politique économique est plus douce, plus centrée sur les besoins de la population. Résultat, une inflation « modérée », des « inégalités plus maîtrisés » et une société « plus apaisé qu’aux Etats-Unis »

« le cas du Royaume-Uni illustre qu’une politique de transition plus graduelle conduit à de meilleurs résultats en termes de prix et de stabilité sociale »

Isabella Weber

La comparaison entre les trajectoires économiques russes et chinoise depuis la libéralisation démontre les mêmes effets néfastes d’une dérégulation violente. Le « big bang » néolibérale finit de détruire l’économie russe. À l’opposé, la politique de transition tout en contrôle de la Chine propulse 40 ans plus tard le pays à la deuxième place des États les plus riches de la planète.

Pour réaliser combien est faible l’argumentation contre le blocage des prix, il est utile de se pencher sur les travaux de Noah Smith, économiste de la « bonne société » bourgeoise libérale qui se penche sur le cas de l’Argentine. « Nous montrons tout d’abord que les contrôles des prix ont seulement un effet faible et temporaire sur l’inflation qui s’inverse dès lors que les contrôles sont retirés. » Ah oui, donc pour montrer que cela ne marche pas, il s’appuie sur l’observation que lorsque l’on arrête de réguler les prix, l’inflation reprend ?

« Deuxièmement, contrairement aux croyances communes, nous trouvons que les biens dont les prix sont administrés sont régulièrement disponibles à la vente. » Donc même les économistes défenseurs du système libéral détruisent l’argument de Bruno Le Maire. Non, le contrôle des prix ne conduit pas à la pénurie.

« Troisièmement, les entreprises compensent les contrôles des prix en introduisant de nouvelles variétés de produits à des prix plus élevés, ce qui accroît la dispersion des prix dans des catégories étroites de produits. » La belle affaire, les multinationales peuvent bien proposer des stylos plaqués or aux parents qui jugent l’investissement utile pour leurs enfants tant que des stylos qui écrivent sont accessibles à prix réduit afin que la masse de la jeunesse populaire puisse apprendre, s’éduquer, se cultiver dans des conditions satisfaisantes.

La situation économique est aujourd’hui proche par certains aspects de la fin de la Seconde Guerre mondiale Les chaînes de productions sont désorganisées et l’offre n’arrive donc pas à répondre à la demande. Dans un contexte de très forte demande et de difficultés de production après les destructions des usines ou leur conversion presque totale en usines d’armements, le blocage des prix appliqué en Europe permet à la population d’accéder aux biens nécessaires en puisant dans les profits des grandes entreprises. Aujourd’hui, c’est la pandémie mondiale, la pénurie de semi-conducteurs et la guerre en Ukraine qui ont impacté très négativement les appareils de production.

« À l’époque, comme aujourd’hui, de grandes sociétés avec un pouvoir de marché important ont utilisé les problèmes d’offre comme une opportunité pour augmenter les prix et réaliser des profits exceptionnels » explique Isabella Weber au Guardian. Dans le même temps, l’Institut La Boétie s’est appuyé sur les données récoltées par l’Insee pour démontrer que la première cause de l’inflation est bel et bien l’augmentation des marges des entreprises.

Entre le quatrième trimestre 2021 et le troisième trimestre 2022, le taux de marge de l’industrie agroalimentaire a augmenté de plus de 50%

Dans le secteur de l’énergie, les réserves sont encore plus grandes. Pour rappel, TotalEnergies a réalisé 20,5 milliards de bénéfices en 2022. Il y a donc un peu de « marge » avant que la multinationale diminue sa production car ce ne serait plus rentable.

Ainsi, le blocage des prix peut être utile à court terme. Dans un moment de crise aigüe, il permet de faire peser le poids en premier lieu sur les grandes entreprises, celles qui auraient autrement, par leur force de production, la capacité d’influencer à leur avantage les prix de marché. Après la seconde guerre mondiale, période de forts gains de productivité et de taux de croissance élevés, cela peut suffire à faire passer l’orage le temps que le système économique se remette à tourner de façon plus équilibrée.

« Le contrôle des prix ne doit pas seulement apaiser le mécontentement social, il doit aussi permettre de le traduire politiquement. »

Romaric Godin Cependant, « Le contexte actuel est différent » selon Romaric Godin dans Mediapart. Les gains de productivité sont faibles. L’économie des pays occidentaux s’est financiarisé. Si le prix sont bloqués, les entreprises pourraient décider de diminuer leur coût pour conserver leur marge. Et donc supprimer des emplois. Le blocage des prix est-il pour autant caduque ? Du tout répond Romaric Godin. Au contraire. D’un outil pour sauver le système capitaliste, il doit devenir une des pièces de la politique de socialisation de l’économie. Combiné à la démarchandisation des biens communs, d’une garantie d’emploi et du contrôle des capitaux permettrait de « modifier profondément le mode de production. »

Contre cette mesure du blocage des prix, se liguent non seulement Emmanuel Macron et Bernard Arnault, les représentants politiques et économiques de la bourgeoisie ultra-libérale mais également Marine Le Pen. Pourtant, 82% des sympathisants du RN sont favorables au blocage des prix de l’énergie. Comme toujours, lorsqu’il s’agit de piocher dans les poches des ultra-riches, même pour desserrer l’étau sur les ménages populaires, la cheffe du parti d’extrême-droite est contre.

Pour aller plus loin : Blocage des prix : Le Pen est contre, Mélenchon est pour

Le bloc bourgeois et le bloc d’extrême droite finissent toujours par converger sur la question sociale. Seul l’union populaire défend réellement le pouvoir au peuple contre les intérêts des puissances de l’argent. Seul le programme partagé de la Nupes propose, prévoit et organise un blocage des prix, un contrôle stratégique, afin de faire payer, par les multinationales qui se gavent de profit, l’inflation qui jettent aujourd’hui des millions de Français dans la pauvreté ou la misère.

La pénurie, c’est le gouvernement de Bruno Le Maire qui l’organise Ce sont les ménages les plus pauvres qui servent aujourd’hui de variable d’ajustement au choc économique. Une pandémie désordonne les chaînes de production que les multinationales ont décidé d’étirer sur des milliers de kilomètres pour faire toujours plus de bénéfices ? La production n’arrive pas à suivre la demande ? La solution de Bruno Le Maire, appuyée par une horde d’économistes et d’éditorialistes biberonnés au néolibéralisme le plus sauvage : ne rien faire. Laisser les prix augmenter. Ainsi, ceux qui n’ont pas les moyens ne pourront plus prétendre en acheter.

Plonger des pans entiers de la population dans les privations pour préserver à tout prix les marges exorbitantes des multinationales : voilà, dans le gouvernement Macron, ce qu’on appelle résoudre un problème social. La pénurie, c’est aujourd’hui. La pénurie, c’est le résultat d’un État qui ne prend aucune mesure pour réglementer les prix en période de crise. La pénurie, c’est le quotidien pour des millions de Français. Plus de la moitié déclare que « les fins de mois sont compliquées. » Un chiffre en hausse de 45% depuis janvier 2022. Date à laquelle Jean-Luc Mélenchon avait pour la première fois proposé le blocage des prix à l’Assemblée nationale.

Par Ulysse


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