Préfet Au nom de la république ?

dimanche 30 avril 2023.
 

Le hasard d’une recherche sur le web m’a fait découvrir ce matin trois textes d’un certain Paul Bernard, ancien Préfet de région, Président d’honneur de l’Association du corps préfectoral, vice-président de l’Institut français de Sciences Administratives, expert européen, accessoirement ancien préfet de l’Aveyron lors du mouvement contre l’extension du camp du Larzac...

Ses écrits présentent l’intérêt de bien représenter l’idéologie dominante du corps préfectoral mais aussi du républicanisme bourgeois. Aussi, je me lance dans un court résumé de ses rengaines puis une aussi courte réfutation.

1) De l’Intendant au Préfet : une continuité au service de l’Etat, qu’il soit tribal, absolutiste, bonapartiste, fasciste ou républicain bourgeois

En novembre 2000, ce Paul Bernard, champion en sciences préfectorales, a publié un ouvrage aux Editions Odile Jacob dont le titre résume l’objet AU NOM DE LA REPUBLIQUE. Il aurait dû écrire AU NOM DE L’ETAT DES PRIVILEGIES, QUEL QU’EN SOIT LA FORME.

Monsieur le Président d’honneur de l’Association du corps préfectoral vante la France d’avant la république, celle des XVIIème et XVIIIème siècles, du Code noir, des dragonnades, des repas pantagruéliques de la Cour, des centaines de milliers de pauvres éliminés par la faim et le froid lors de chaque hiver difficile.

Comme Maurras, Monsieur le préfet non républicain est un nostalgique de l’Etat absolutiste d’Ancien régime :« Souvenons-nous, aux XVIIe et XVIIIe siècles, le monde parlait français. Le monde lisait français. Le monde était français. Le monde nous enviait. On n’avait rien connu d’aussi grand depuis Athènes et Rome. Depuis, une lente et continuelle régression nous a abaissés parmi les nations de deuxième ordre. » (Tribune dans Libération le 16 septembre 2012). « La situation politique et morale de ce début de siècle conduit la France à sa perte. »

Les définitions du rôle des préfets en référence au service des anciens souverains sont fréquentes dans AU NOM DE LA REPUBLIQUE « A l’instar des missi dominici de Charlemagne, les maîtres des requêtes de la cour du roi, envoyés en chevauchée pour exécuter les ordres du roi et rendre compte de l’état du royaume, les intendants de police, de justice, des finances de Louis XIV, les représentants en mission de la Convention, ont annoncé les préfets de l’Empire et ceux de la République. Ces personnages ont en commun de veiller à l’exécution des ordres du pouvoir central légitime. » Quel drôle de républicain faites-vous Monsieur le vice-président de l’Institut français de Sciences Administratives en affirmant que le pouvoir central des Francs puis de la royauté absolutiste était légitime !

Monsieur le préfet philosophiquement royaliste ne trompe pas son lecteur. Les premiers mots de la première page de l’avant-propos proviennent d’une citation de Tocqueville, un aristocrate, champion du colonialisme meurtrier et du royalisme orléaniste qui choisit pour chef de cabinet Arthur de Gobineau futur inspirateur d’Hitler. Un peu plus loin, il se réfère au mauvais Péguy « La République, notre royaume de France »

Après deux pages de lecture, tout homme sensé se pose naturellement la question du lien entre le titre AU NOM DE LA REPUBLIQUE et le contenu. Quel lien ? la réponse coule de source. Pour lui, la république c’est le rôle supérieur de l’Etat. En effet, son républicanisme n’est pas fondé sur la souveraineté populaire mais sur un équilibre entre aristocratie et démocratie. Sur une telle orientation, je comprends qu’il fasse partie des "experts européens" au service de la baronne Ashton et autres.

En fait, vous n’êtes pas républicain, par exemple en prétendant que les lois fondamentales de la royauté capétienne étaient "égalitaires" « La France est un Etat unitaire, c’est à dire que, sous tous les régimes successifs, les pouvoirs publics ne connaissent que des Français, individus ou citoyens, sous la protection égalitaire des mêmes lois fondamentales du royaume, puis des constitutions de la république. Il faut souligner que l’Etat a créé la Nation. » Non, Monsieur le Préfet de région ! La nation française n’a pas été construite au fil des siècles par l’ETAT royal ; elle est née de la Révolution française dans le cadre politique construit par la royauté.

Vous me donnez l’impression de considérer la fonction de préfet comme succédant aux titres de noblesse des intendants « J’ai apprécié à sa juste valeur le privilège d’être nommé à la préfecture de région à Châlons sur Marne et d’habiter dans la résidence de l’ancien intendant de Champagne. J’ai pu estimer l’intelligence politique des rois... »

Vous me faites peur, Monsieur le théoricien du rôle des préfets, avec votre vision nationaliste de la France excluant quiconque ne peut prouver un arbre généalogique de Parisiens au service des rois puis d’une république autoritaire. De ce point de vue, que vous valorisiez l’ordonnance de Villers Cotterêts (François 1er) ne me surprend pas. « L’originalité de la France découle d’une équation exceptionnelle d’identification : une Etat, une nation, un seul peuple, un seul territoire, une seule langue (depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 5 août 1539). »

2) L’Etat et les collectivités locales

Après lecture d’une dizaine de pages, je me pose sérieusement une nouvelle question : Connaissez-vous ce dont vous parlez ou prenez-vous en charge de la publicité pour "l’Etat" comme d’autres vantent des lessives ?

En effet, vous passez d’une affirmation péremptoire à une autre de façon intolérable pour une personne réfléchie.

Concernant, par exemple, le rapport entre l’Etat central et les collectivités locales, vous affirmez « En France, les collectivités locales n’ont pas arraché leurs libertés à l’Etat puisque l’Etat a toujours eu pour objectif de promouvoir les "franchises" et la prise de responsabilité par les élus territoriaux, une fois la cohésion nationale assurée. »

IL est vrai que l’Etat royal a soutenu le mouvement communal dans certains secteurs géographiques, en particulier jusqu’au 15ème siècle, pour affaiblir les féodaux locaux. Cependant, globalement, la royauté française a tout fait pour casser les traditions démocratiques des communes.

Si je prends le cas de mon bourg d’Entraygues sur Truyère du 15ème au 18ème siècle, toutes les interventions politiques de l’Etat vont dans ce sens antidémocratique. Prenons le cas du 17ème siècle. Après l’assassinat de Henri IV, l’Etat fait revenir des galères et nomme comme Comte d’Entraygues un assassin de la Sainte Ligue catholique qui avait déjà fait des ravages localement durant les Guerres de religion. Par quel acte inaugure-t-il ses fonctions ? Il brûle toutes les archives locales depuis l’Antiquité afin de prétendre à la possession féodale de tout et à l’absence de droits collectifs. Le lieutenant comme le juge représentant la royauté l’appuient évidemment dans ces vols et crimes. En fait, l’Etat central n’admet pas les expériences démocratiques locales. Ainsi, les assemblées générales locales comme le rôle des consuls tendent à perdre leur importance. De même l’Etat ferme l’hôpital public, appuie l’Eglise pour créer une école privée sur l’emplacement de cet hôpital en faisant fi de la loi locale pluriséculaire de monopole de l’Ecole publique communale, finalement ferme cette dernière école... etc

3) Un Etat républicain niant les classes sociales et conflits d’intérêt

Monsieur Paul Bernard valorise la définition du rôle des préfets par Napoléon. Grand bien lui fasse mais Napoléon ne constitue pas un bon exemple républicain. Ainsi, vous affirmez que la circulaire de Lucien Bonaparte est empreinte d’une "volonté de conciliation" « Le gouvernement ne veut plus, ne connaît plus de parties et ne voit en France que des Français. Il doit honneur et protection à tous... »

Ce n’est pas mon avis. L’interdiction des syndicats, l’instauration des livrets ouvriers, l’écrasement militaire des grèves ... sont inscrits dans cette vision totalisante de la Nation. "Le gouvernement ne connaît plus de parties et ne voit en France que des Français"... Tel est bien le point de vue de Thiers et des massacreurs de la Commune de Paris. Tel est bien le point de vue de Clémenceau face aux grèves ouvrières. Tel est bien le point de vue de Pétain, traquant les Juifs et les Résistants.

Concernant le rôle des préfets durant la Seconde guerre mondiale, la figure de Jean Moulin vous sert à balayer toute autre question « Le général de Gaulle a fait appel au préfet Jean Moulin pour unir les mouvements de Résistance parce qu’il savait, que, quelles que soient ses opinions, le seul engagement qui compte pour un préfet, c’est le rassemblement républicain. » Bigre ! Et les autres préfets... Est-ce au nom du rassemblement républicain que toutes les préfectures ont poursuivi une répression systématique des Résistants ?

Le mot le plus employé dans l’ouvrage Préfet au nom de la république, c’est l’Etat. En fait, dans la république de Monsieur Bernard, les élus jouent généralement un rôle négatif et les citoyens apparaissent très peu. Qui assure la direction politique de l’Etat territorialisé ? « le préfet de la république, homme de la nation, avec le devoir de prendre les initiatives attendues par la population ».

Quel est l’objectif majeur de cet "homme de la nation" ? "Le préfet est essentiellement un artisan de paix civile." « Les Français ont besoin d’un Etat proche de leurs préoccupations, d’un représentant vivant au milieu de la population, partageant les bons et les mauvais moments et donnant un visage humain à l’Etat. » Nous retrouvons dans cet artisan de la paix civile une vision totalisante paternaliste de la nation qui relève plus d’un royalisme sans roi que d’un républicanisme progressiste.

4) Préfet, une fonction d’autorité

Une fois décantée sa définition de l’institution préfectorale, Paul Bernard entre dans le vif du sujet avec son chapitre 2 « Une fonction d’autorité ». Il rejoint là le coeur de l’idéologie libérale repeinte à la française faisant du respect de l’Etat et de ses représentants le critère essentiel sinon unique du républicanisme.

Le cours de son raisonnement et logique.

Qu’est-ce qui légitime l’autorité du préfet dans ses "trois mille" fonctions des années 1950 et bien plus aujourd’hui ? l’utopie démocratique et la souveraineté populaire.

Ceci dit, l’auteur limite la démocratie à de la psychologie paternaliste. Quant à la souveraineté populaire, l’expérience de la Révolution française a "tourné court". Aussi, ses phrases dérapent sans cesse hors de l’utopie démocratique et de la souveraineté populaire.

En voici deux exemples :

« La recherche de l’harmonie de la société s’obtient par le traitement des problèmes par le haut »

« J’ai acquis la conviction que la démocratie n’est viable qu’avec une bonne dose d’aristocratie »

Patatras ! Le lecteur constate que le préfet n’agit pas au nom d’un Etat, fruit d’une réelle utopie démocratique de la souveraineté populaire mais comme représentant de l’Etat, point !

Et Paul Bernard développe à nouveau ici une légitimité de l’Etat provenant de son rôle décisif dans la construction de l’Etat national ... Une argumentation qui se mord la queue.

« La monarchie d’Ancien Régime a rassemblé les provinces autour du roi de France, en vue de faire admettre le bien commun du royaume... Il revient à Bonaparte Premier consul d’instituer les préfets, puis à Napoléon empereur de fixer les bases de l’Etat à la française afin de conclure l’oeuvre de la monarchie et celle de la révolution dans une synthèse durable... On trouve une troisième étape dans l’esprit même des dispositions de la Cinquième république... Notre Etat n’est plus jacobin puisqu’il est devenu un Etat territorial... Cette décentralisation ne correspond pas à une rupture de nature idéologique et politique, mais plutôt à l’aboutissement d’une longue et laborieuse gestation, inscrite au coeur des forces à l’oeuvre dans la nation française depuis des siècles. »

Quel est l’objectif principal de cette décentralisation ? « Ce doit être le moteur de la réforme de l’Etat car la déconcentration préfectorale agit comme un coin enfoncé dans l’appareil massif et compact de notre vieille administration. »

5) La condition préfectorale

La plume de Paul Bernard est alerte, agréable pour le lecteur même si les comparaisons ne changent guère de thème. Même à propos de la carrière professionnelle des préfets, notre auteur fait référence aux privilégiés du Moyen Age « Le cursus s’apparente à celui d’un ordre de chevalerie républicaine avec ses rites, ses usages, ses règles non écrites. »

Notre expérimenté Président d’honneur de l’Association du corps préfectoral compare surtout la trajectoire professionnelle des préfets à celle des Compagnons du tour de France et surtout longuement au pèlerinage de Compostelle au Moyen Age !

« L’autre image qui vient à l’esprit de ceux qui ont accompli leur longue marche, sur une quarantaine d’années, c’est le pèlerinage de Compostelle, qui entraînait jadis sur les chemins de l’Europe... ceux qui avaient envie d’éprouver leur foi et leur endurance. Ces pèlerins cheminaient avec, au coeur, l’espoir d’atteindre la statue de saint Jacques, mais ils ignoraient le temps qu’il leur faudrait pour y parvenir, s’ils arriveraient effectivement au but fixé et surtout l’état dans lequel ils seraient si, par chance, ils revenaient au foyer. »

Cette comparaison entre la foi religieuse de l’époque féodale et la condition préfectorale présente beaucoup de validité. L’idéologie dominante du Moyen Age était un christianisme peuplé de saints et de miracles dépouillé de ses origines égalitaires et démocratiques, celle des temps modernes repose en France sur un républicanisme idéalisé dépouillé de ses origines égalitaires et démocratiques peuplé de serviteurs d’un prétendu intérêt général. Les anciens religieux jouaient un rôle rassembleur en faisant valoir l’intérêt commun des seigneurs et des serfs dans la perspective de la vie éternelle. Les préfets d’aujourd’hui jouent un rôle oecuménique en faisant valoir "l’Etat de tous les citoyens par delà les clivages partisans".

Citons à nouveau cet irremplaçable Paul Bernard « Le corps préfectoral a évolué du plan politique au plan oecuménique... Tout en se faisant le porte-parole et le faire-valoir de la politique gouvernementale, le préfet doit démontrer que l’Etat est tout à tous, au service des citoyens à part entière, car le pluralisme républicain exclut l’esprit partisan. »

Comment cet oecuménisme s’est-il concrétisé dans la carrière de Paul Bernard ? Il a pu « commémorer à Perpignan le millénaire de la trêve de Dieu au concile de Toulouges (1966), à Orléans le millénaire capétien à l’origine de notre Etat à la française (1987), à Châlons-sur-Marne valmy et les combats de 1914-1918... à Reims le sacre des rois de France, à Lorient la compagnie des Indes, en Corse les plages du débarquement de la Libération. De même la plupart des préfectures sont des édifices habitées par les traces de l’histoire : à Châlons-sur-Marne, le souvenir de la dernière nuit de liberté de Louis XVI... »

CONCLUSION

Intéressé par cet ouvrage, je suis allé le consulter en médiathèque. J’ai découvert la suite que j’aurais pu prévoir. Si le préfet est au service des profiteurs du moment au travers de l’Etat qu’ils maîtrisent d’Hugues Capet à De Gaulle, il est logique qu’un préfet soit actuellement profondément libéral à l’anglo-saxonne, argumentant au long de nombreuses pages la nécessité d’adapter la France au capitalisme mondialisé et à une Europe atlantiste en réduisant drastiquement les services publics et le rôle de l’Etat social.

Jacques Serieys


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