Alexandre Ricard, ce grand patron discret qui brasse plus de 7 milliards d’euros

vendredi 29 novembre 2024.
 

Alexandre Ricard et sa famille sont à la 19ᵉ place du classement Challenges 2023 des fortunes françaises, forts de 7 350 millions d’euros, pour 2 000 millions d’euros en 2007. Le groupe Pernod Ricard est né en 1975 des suites de la fusion de deux sociétés françaises spécialisées dans la production de boissons pour l’apéritif : Pernod, créée en 1805, et Ricard, en 1932. Le groupe s’est développé par de nombreuses acquisitions. En 2021-2022, son chiffre d’affaires a dépassé les 10 milliards d’euros.

Alexandre Ricard, n’est ni le plus riche, ni le plus connu, ni le plus « blig-bling » des millionnaires français. Son entreprise n’est – à notre connaissance – impliquée dans aucune affaire connue de corruption, de fraude fiscale. Elle n’est pas la pire en termes d’écart salarial ou de distribution de dividendes. Pour autant, le groupe et son patron cochent toutes les cases qui font que l’argent s’accumule sans ruisseler : hériter, faire croire à son unique mérite, monter une fondation, se développer sans prendre en compte la santé publique… Il était temps de dresser son portrait à l’Insoumission.

Ces assistés d’en haut, ils ont des noms, ils ont des adresses, ils ont des visages. L’insoumission va s’atteler à les démasquer. 18ᵉ épisode de notre série sur les assistés d’en haut : Alexandre Ricard. Portrait.

Hériter, quel mérite pour Alexandre Ricard ! Alexandre Ricard est à la tête du groupe Pernod Ricard depuis 2015. Il a succédé à son oncle, Patrick Ricard, et il est le petit-fils du fondateur de la société Paul Ricard.

« Soucieux d’être reconnu pour son talent et non par ses origines, le prince de l’anisette a cherché partout à taire son ­patronyme », écrit Capital. Si Alexandre Ricard est aujourd’hui dirigeant du groupe numéro deux mondial des vins et spiritueux, c’est, bien sûr, uniquement grâce à son mérite. C’est bien connu. Prépa Intégrale (établissement privé du 8ᵉ arrondissement de Paris, 13 500 euros par an), ESCP (entre 40 et 50 000 euros les 3 ans), MBA à la Wharton School (université privée membre de la Ivy League, spécialisation en finance, autour de 80 000 dollars l’année).

Comme le souligne David Guilbaud dans L’illusion méritocratique (Odile Jacob, 2018), le mérite est surtout un discours de légitimation des inégalités sociales plus fort que celui de l’héritage, peu acceptable dans notre République dont le fronton écrit en grosses lettres « égalité ». Une autre fonction de la méritocratie est de dévaloriser les « non méritants ». Les catégories sociales dominées doivent y croire et les dominés sont écrasées par ce discours qui renvoie chacun à sa responsabilité individuelle. Dans les faits, Alexandre Ricard a surtout le mérite… d’être héritier.

Un capitalisme exemplaire ? Le rapport Oxfam France de 2020 « CAC 40 : des profits sans lendemain ? », indique que parmi les entreprises du CAC 40 étudiées, seules cinq d’entre elles n’ont jamais distribué plus que ce qu’elles avaient gagné dans l’année, dont Pernod Ricard. Dans le groupe, le taux de redistribution des bénéfices aux actionnaires est passé de 12% en 2009 à « seulement » 44% en 2019, quand certaines entreprises dépassent les 110%. Pernod Ricard avait jusqu’en 2018 pour objectif de ne pas reverser plus de 30 % de son bénéfice en dividendes à ses actionnaires. L’entreprise a annoncé relever ce plafond à 50 % en 2019. Il faut bien s’aligner !

L’écart de salaire entre le PDG et la rémunération moyenne au sein de l’entreprise est passé de 71 en 2009 à 89 en 2018. Si ce n’est pas le plus gros écart des entreprises du CAC 40, il reste disproportionné. Les insoumis, eux, plaident pour un écart maximal de 1 à 20 pour toutes les entreprises, rappelant que la rémunération des dirigeants est largement surévaluée, reposant sur la soi-disant rareté de leurs compétences et des qualifications, critères tout aussi subjectifs que ceux du mérite.

« La philanthropie est devenue aujourd’hui un pouvoir. Le pouvoir de l’argent. » La fondation Pernod Ricard est ouverte à Paris depuis 1998 « fidèle à l’engagement de Paul Ricard aux côtés des artistes et aux valeurs de convivialité et de générosité ». Comme toutes les fondations, c’est une façon d’échapper à l’impôt et une manière de choisir là où va son argent.

Mais comme l’exprime Julia Cagé dans The Conversation, « si la philanthropie revient à donner plus de voix à quelques individus au prétexte que leur porte-monnaie est plus épais, alors l’idée de philanthropie est en contradiction avec la définition de la démocratie : « une personne, une voix ». (…). La philanthropie est devenue aujourd’hui un pouvoir. Le pouvoir de l’argent. Un pouvoir qui voudrait se présenter comme bienfaisant, mais qui dans les faits est arrogant. Et, pour la majorité, menaçant ».

Pour aller plus loin : Débattre de Cagé et Piketty en se respectant

2 millions d’euros d’argent public européen pour des filiales du groupe Pernod Ricard L’activité luxe est développée par le groupe. Elle pèse pour 14% des ventes et connaît une forte croissance. Dans les produits de luxe, on trouve un cognac à 200 euros, un rhum autour de 1800 euros, jusqu’à un whisky pouvant atteindre 250 000 euros, en carafe rehaussée de diamants, s’il vous plait !

Le collectif Pour une autre PAC identifiait en 2021 que les sociétés productrices de champagne Perrier-Jouët et Mumm & Cie, filiales du groupe Pernod Ricard, étaient largement bénéficiaires de la politique agricole commune. La première a touché plus de 2 millions d’euros d’argent public européen en 2019 ; la seconde près de 3 millions d’euros, via le programme d’aide au secteur vitivinicole, argent versé sans aucune conditionnalité environnementale. Des opérations ont ainsi été menées dans des salons en 2019 en Asie à destination d’une clientèle de luxe.

L’Afrique, nouvel eldorado de l’alcool ou de l’alcoolisme ? Le développement sur le continent africain est dans la stratégie du groupe. L’entreprise mène une politique d’investissements à travers la création de filiales, la prise de participation dans des marques locales, la commercialisation de marques d’entrée de gamme et des partenariats avec des plateformes digitales.

« En 2011, nous avions identifié les pays d’Afrique subsaharienne comme étant de vastes marchés à très fort potentiels. Depuis cette date, nous avons investi tous les ans de façon très poussée sur le continent. (…) L’Afrique du Sud est historiquement notre plus grand marché, et le Nigeria celui qui présente sans doute le plus fort potentiel. (…) », détaille Alexandre Ricard dans Jeune Afrique.

Un développement qui joue de la plus faible législation en matière de publicité sur les alcools qu’en France, et fait fi de la santé publique. Entre 2017, les habitants du continent africain ont consommé en moyenne 5 litres par personne et par an, soit deux tiers de plus qu’en 2010. L’augmentation de la consommation d’alcool sur le continent est la plus importante au monde. En particulier en Afrique du Sud, premier marché africain de Pernod Ricard, l’OMS considère que l’alcoolisme y est un problème de santé publique.

La consommation annuelle moyenne est évaluée à 20 litres d’alcool pur par personne et par an. Les autorités sud-africaines estiment que l’alcool est la troisième cause de décès dans le pays. « Plus d’un tiers des Sud-Africains consomment de l’alcool du vendredi au lundi matin et sont donc saouls tout le week-end », reconnaît l’autorité sud-africaine des drogues.

Par Sandrine Cheikh


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