Palestine : un « génocide planifié » en cours (Podemos, Espagne)

lundi 30 octobre 2023.
 

L’heure de vérité approche pour Pedro Sánchez, le chef du gouvernement sortant, qui espère rempiler pour quatre ans après la bonne performance des gauches aux législatives de juillet en Espagne. Le socialiste a présenté mardi 24 octobre, aux côtés de son alliée Yolanda Díaz, ministre du travail sortante et cheffe de file de Sumar, la coalition des gauches critiques, un programme de gouvernement validé par leurs deux formations.

Il reste à convaincre d’autres partis, et en particulier les indépendantistes catalans, pour que Sánchez décroche une majorité au Congrès des député·es. Le vote doit avoir lieu d’ici à la fin novembre. Mais dans le contexte de la guerre entre Israël et le Hamas depuis le 7 octobre, un point, en toute fin de document, semble avoir été ajouté in extremis : il porte sur la position de la future coalition vis-à-vis du conflit.

Le futur exécutif travaillera à « avancer vers la paix », dans le cadre des résolutions des Nations unies et du droit international. « Nous défendons la reconnaissance de l’État palestinien », est-il encore écrit. Les signataires reprennent à leur compte la résolution adoptée au Congrès des député·es en 2014, c’est-à-dire sous l’exécutif du conservateur Mariano Rajoy, qui plaidait pour reconnaître la Palestine comme un État indépendant (319 pour, deux contre, une abstention).

Alors que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est attiré de vives critiques pour avoir exprimé un soutien inconditionnel à Israël lors d’un déplacement précipité à Jérusalem, et que des pays, dont la France et l’Allemagne, ont interdit des manifestations en soutien à la Palestine, la position du gouvernement espagnol, qui occupe la présidence tournante de l’UE jusqu’à décembre, fait quasiment figure d’exception sur le continent. Des ministres et député·es Izquierda Unida (écolo-communistes), Sumar et Podemos ont participé aux premières manifestations en soutien à la Palestine, notamment à Madrid le 15 octobre.

Et lorsqu’un commissaire européen, aux premiers jours du conflit, a spéculé depuis Bruxelles sur la fin du versement des aides de l’UE aux Palestinien·nes, tout l’exécutif madrilène est monté au créneau. Le ministre des affaires étrangères, le socialiste José Manuel Albares, a exprimé son « désaccord » tandis qu’Ernest Urtasun, porte-parole de Sumar, a parlé d’une « décision honteuse et contraire au droit international, lequel interdit les punitions collectives ».

Quant à Podemos, le parti en théorie intégré à Sumar fait de plus en plus entendre sa propre musique. Ione Bellora, ministre des affaires sociales du gouvernement sortant, a ainsi exhorté la Commission européenne à « ne pas se plier aux diktats d’Israël, qui soumet le peuple palestinien à l’apartheid depuis des décennies ».

Podemos parle de « génocide planifié »

Si le sujet ne semble pas de nature à compliquer l’investiture de Pedro Sánchez en novembre (bien moins en tout cas que l’épineuse question de l’amnistie pour les dirigeant·es catalan·es), tout le monde, à gauche, ne s’exprime pas avec la même intensité. Ione Bellora est celle qui a été la plus critique envers Israël, avec le souci, très opportuniste pour certain·es, de se démarquer de ses allié·es du gouvernement en pleine négociation.

Elle a qualifié de « crimes de guerre » et de « génocide planifié » la réponse d’Israël au Hamas. Ces appellations ont fait réagir jusqu’à l’ambassade d’Israël en Espagne, qui a publié le 16 octobre un communiqué exhortant Pedro Sánchez à « condamner vivement des déclarations de certains membres du gouvernement espagnol », accusant ces derniers de « s’aligner sur le terrorisme de type État islamique ».

Le ministre Albares (socialiste) s’est fendu à son tour d’un communiqué, défendant la liberté de chaque responsable politique à « s’exprimer librement ». Il a répété les fondamentaux de la position espagnole : condamnation de l’attaque du Hamas, appel à la libération des otages, reconnaissance du droit d’Israël à se défendre dans les limites du droit international et refus des amalgames entre Hamas et population palestinienne.

Mais l’incident n’a pas été clos pour autant : Bellora a exhorté Sánchez à faire preuve de « davantage de courage », au moment où l’Espagne préside l’UE. Son parti plaide pour une rupture des relations diplomatiques entre l’Espagne et Israël, l’ouverture d’un débat à Bruxelles sur des sanctions économiques « exemplaires » qui viseraient Benyamin Nétanyahou, son ministre de la défense et d’autres, la convocation du même Nétanyahou devant la Cour pénale internationale pour « crimes de guerre », ou encore un embargo sur les ventes d’armes de l’UE vers Israël. C’est aussi, sur ce dernier point, la position de Yolanda Díaz avec Sumar, qui a déposé une résolution au Congrès en ce sens.

Ione Bellara, dont le parti est sorti très affaibli des élections législatives de juillet, éclipsé par le dynamique Sumar, n’est pas la seule, parmi les responsables politiques de premier plan, à dénoncer un « génocide » en cours : comme le relève le journal InfoLibre (partenaire de Mediapart en Espagne), le terme est aussi repris par Gabriel Rufián, le porte-parole de l’ERC (gauche indépendantiste catalane) au Congrès, ou encore par Ana Pontón, la cheffe du BNG (indépendantistes de Galice).

La droite critique « l’antisémitisme au gouvernement »

À droite, le Parti populaire (PP), qui a échoué fin septembre à investir son candidat à la présidence du gouvernement, est sans surprise monté au créneau pour tenter de déstabiliser l’union à gauche. À ce jeu, la plus bruyante est toujours Isabel Díaz Ayuso, la présidente ultra-droitière de la région de Madrid, qui a qualifié de « profondément antisémite » l’une des responsables du parti de gauche Más Madrid, membre de la coalition Sumar.

Le conservateur Esteban González Pons, membre de la direction du PP, a quant à lui déploré, en allusion à Bellar : « L’antisémitisme ne devrait pas avoir sa place au sein du gouvernement espagnol. Pedro Sánchez, qui se dit démocrate, devrait éradiquer l’antisémitisme afin qu’il ne s’enracine pas au sein du gouvernement. »

Il a encore critiqué un gouvernement qui « ne parle pas d’une seule voix » au sujet de la guerre en cours, et reproché à Pedro Sánchez de ne pas se présenter devant les député·es au Congrès pour débattre de la position espagnole. Le Parti populaire, en tout cas, a achevé sa mue : l’époque où le parti votait à l’unanimité la reconnaissance de l’État palestinien, en 2014, n’est plus.

Les responsables du PP ne parlent plus d’une solution à deux États et se contentent de mettre en avant leur soutien inconditionnel à Israël. Borja Sémper, le porte-parole du candidat Feijóo, a ainsi déclaré le 17 octobre que Gaza n’était pas un « territoire occupé », mais un « territoire autonome ».

Ludovic Lamant


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