On en apprend de belles ces jours-ci ! Ainsi donc, la France serait le pays le plus attractif d¹Europe pour des investisseurs désireux d¹implanter leur entreprise en terres étrangères ! Et, à l¹échelle planétaire, ellene serait guère devancée que par Singapour et le Canada. Ce n¹est pas Attac qui le dit, ni le parti communiste, mais un cabinet d¹audit américain dont le nom ressemble à un message codé du général Rondot : « KPMG ». Selon cette étude, forcément très sérieuse, menée dans 128 villes et 9 pays d¹Amérique duNord, d¹Europe et de la région Asie-Pacifique, la France devance les Pays-Bas et l¹Italie. Elle est loin devant le Royaume-Uni et les États-Unis, tandis que le Japon et l¹Allemagne ferment la marche. Que le lecteur se rassure : je ne suis pas saisi d¹une fièvre cocardière qui nous envahirait à la veille de la Coupe du monde de football. Pour dire la vérité, cette compétition aux investissements étrangers ne provoque pas chez moi d¹émotion particulière. Tout au plus un certain étonnement, car cette étude contredit un discours ressassé par les journalistes et les économistes libéraux. En effet, qu¹apprend-on en entrant dans le détail du document de KPMG ? Que les atouts de la France sont « des coûts plus faibles dans le domaine de l¹énergie, des transports, des prix de revient du foncier », etmême - tenez-vous bien ! - « des coûts salariaux réels, charges sociales comprises ». C¹est à n¹en plus croire son Jean-Marc Sylvestre !
Tout au long de l¹année, un cortège de commentateurs et d¹experts se multiplient dans les médias pour nous mettre en garde contre un coût du travail trop élevé qui plomberait l¹économie française, une insuffisante flexibilité qui serait le cauchemar des investisseurs, et un temps de travail hebdomadaire qui ferait du salarié français le plus irrécupérable des flemmards. À les entendre, il serait urgent de précariser letravail, de supprimer les minima sociaux, de réduire les charges patronales et d¹augmenter les horaires. Les mêmes, généralement, se verraient bien aussi en fossoyeurs des services publics : trop chers et pas assez rentables, nous dit-on. Or, on découvre ici que les infrastructures, les moyens de transport, qui répondent encore chez nous à des critères de services publics, comptent au contraire parmi les meilleurs arguments de la France. Lasurprise est d¹autant plus grande que les exemples que l¹on nous cite ordinairement pour faire rougir le smicard français de jouir de ses privilèges viennent des pays anglo-saxons. Combien de reportages n¹a-t-on pas vu sur la « fuite des cerveaux français » vers l¹Angleterre. Or, nous apprenons aujourd¹hui qu¹un nombre àpeu près équivalent de jeunes Britanniques traversent le Channel en sens inverse pour venir travailler en France.
Cette étude, peu suspecte apriori de vouloir chanter les louanges du système social français, a au moins une vertu : elle nous invite à résister à une propagande qui, à force de répétitions, vise à convaincre l¹opinion que l¹économie française n¹est pas compétitive, que le coût du travail est trop élevé, que les salariés et les jeunes sont trop frondeurs, et les grèves trop nombreuses. Un an après le référendum du 29 mai 2005, ce hit-parade de l¹attractivité vient aussi confirmer que défendre une certaine conception des services publics et une économie qui ne sacrifie pas tout à la concurrence « libre et non faussée » n¹a pas été contre-productif. Certes, les financiers, pour qui le monde n¹est plus qu¹un espace virtuel, pensent différemment. Mais les entrepreneurs, eux, doivent songer aux infrastructures, aux avantages pratiques d¹une ville ou d¹une région. Les facteurs humains ne leur sont pas totalement étrangers. Ceux-là n¹ont pas été découragés par le « non » français, ni même par la philosophie qui le sous-tend. Voilà encore qui contredit une autre propagande. Celle qui voudrait culpabiliser les électeurs français. Cette propagande est mensongère économiquement ; et elle l¹est aussi politiquement. Contrairement à ce qui est dit, le « blocage » européen n¹est pas le fait des électeurs du « non », dont aucun ne gouverne. Ilest la conséquence des gouvernements et des institutions européennes qui, plutôt que d¹abjurer un peu de leur libéralisme et de proposer un « plan B » ramené à une simple réforme institutionnelle, préfèrent la politique du pire.
Apparemment, les électeurs du « non » ne sont pas dupes. Ils viennent de célébrer à leur façon l¹anniversaire de la victoire. Il y a quelques jours, un institut de sondage leur a demandé cequ¹ils voteraient aujourd¹hui si c¹était à refaire. Parmi eux, 98 % ont dit ne pas regretter leur vote. Un pour cent a exprimé des regrets. Mieux : du côté des électeurs qui ont voté « oui » le 29 mai 2005, 10 % avouent avoir changé d¹avis (1). Décidément, la culpabilisation ne marche pas. Au contraire, elle aurait plutôt tendance à énerver.
Denis Sieffert
(1) Sondage LH2 pour Libération réalisé les 12 et 13 mai auprès d¹un échantillon de 1 004 personnes.
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