Crise du logement en France : 3,5% de propriétaires détiennent 50% des logements loués

mardi 19 décembre 2023.
 

15 millions de personnes sont touchées par la crise du logement en France d’après le dernier rapport d’Oxfam. Les prix de l’immobilier ont augmenté quatre fois plus vite que les revenus des ménages. L’État construit de moins en moins de logements sociaux : « un bilan global décevant » note la Fondation Abbé Pierre qui sonne l’alerte sur les 64% de communes « hors la loi », ne respectant pas la loi sur les logements sociaux.

En parallèle, les grands groupes privés tels que Bouygues, Nexity ou Vinci profitent de la libéralisation du secteur et des niches fiscales en vigueur, lesquelles représentent 11 milliards d’euros de manque à gagner pour l’Etat ces 12 dernières années. Particuliers ultra riches ou multinationales du bâtiments, tous investissent la construction de résidences étudiantes ou pour personnes âgées, détruisent, réhabilitent, s’accaparent le moindre fragment de terre et la font payer le prix fort au reste de la population. Résultat, la moitié des logements loués en France enrichissent les 3,5 % de privilégiés qui sont propriétaires de 5 logements ou plus.

En toile de fond, 300 000 personnes vivent à la rue pendant que 3,1 millions de logements sont vacants. L’exécutif a t-il annoncé un plan d’urgence ? Non, il refuse toutes les mesures d’urgence, tels que le gel des loyers proposé par les insoumis et ce, main dans la main avec les députés du Rassemblement national. A la place, la priorité est donnée à la criminalisation des locataires et des sans abris par des lois dites « anti-squat ». L’Insoumission.fr décortique dans ce nouvel épisode de désintox économique le mythe, déjà bien abîmée, d’un pays de petits propriétaires. Notre article.

Petits propriétaires, un mythe pour soutenir l’idéologie de la propriété privée Pour analyser cette intoxication économique du mythe de la France pays de petits propriétaires, commençons analyser la thèse avancée par Sonia Baudry en 2011 : Le mythe d’une société de propriétaires en France et aux États-unis

Pour placer le contexte de cet argumentaire, après la parution de cet article, Sonia Baudry est devenue en 2014, conseillère simplification du Secrétaire d’État à la Réforme de l’État et Simplification à Matignon. Elle coordonne la politique de simplification de François Hollande et suit les travaux du Conseil de la simplification pour les entreprises. Une guirlande lexicale qui fleure bon la gauche d’avant, la gauche qui a trahi le peuple.

C’est donc la mythologie de la gauche d’avant, bourgeoise, accommodante des puissants, du capitalisme qu’elle exprime ainsi.

« L’attention soutenue portée tout au long de la IIIe République à l’accession de tous les citoyens à la propriété n’est dans cette perspective jamais entièrement exempte des craintes attachées au retour de nouvelles féodalités (…) La volonté largement relayée par les radicaux d’une France de petits propriétaires agit dans ce cadre comme un idéal défensif : l’accession à la propriété est initialement conçue comme un rempart à l’exploitation par les « puissances » de la finance. »

Pour comprendre, il faut déjà se reposer le contexte. Les radicaux, tirent leur nom de leur conviction « radicalement républicaine ». Ils font donc partie d’une gauche à vocation révolutionnaire (au sens d’un changement institutionnel complet) sous le Second Empire. Dans la IIIème République, ces mêmes radicaux deviennent les gérants d’une République bourgeoise. À partir de ce moment, plus aucune velléité révolutionnaire ne les anime. Que ce soit parce qu’ils n’ont jamais élevé comme idéal l’égalité et la justice sociale. Ou parce que le tranchant de leurs convictions s’est émoussé à la chaleur des hautes sphères. Icare moderne.

L’accession à la propriété est donc présentée comme un idéal progressiste, un rempart contre le retour de grands propriétaires terriens. C’est sans doute pour partie vrai, au moins sur un plan rhétorique. Mais un spectre hante cette mythologie. Car si l’accession à la propriété privée est un système défensif, c’est aussi, et même surtout, dans une France de la fin du 19ème siècle qui se construit sur les cadavres fumants de la Commune de Paris, contre la propriété collective, contre la mise en commun des terres et des outils de production.

Qu’importe que la France ne soit jamais devenue un pays de petits propriétaires : seulement 57,7% des Français sont propriétaires aujourd’hui, soit moins que la moyenne européenne. Le Royaume-Uni compte lui 70% de ménages propriétaires, l’Italie 73% et l’Espagne 78%. La réalité économique n’est pas réellement le sujet. Ce mythe sert un projet politique. Car si la France n’est pas un pays de propriétaires, elle est aujourd’hui un paradis des ultra riches. Médaille d’Or du nombre de millionnaires en Europe grâce à une fiscalité anti redistributive. Un pays où les 10% les plus riches en patrimoine concentre 44% du patrimoine immobilier.

Mettre en avant les maigres intérêts des petits pour protéger ceux, bien plus nets, des puissants est donc une tradition de la gauche de la réformette, de cette bourgeoisie qui se prétend au service de l’intérêt du plus grand nombre, pour éviter que ne soit trop visible combien ce système lui profite.

Rien d’étonnant donc à ce que cet idéal prétendument progressiste du pays de petits propriétaires soit devenu le fer de lance politique de R. Reagan, M. Thatcher puis N. Sarkozy. Finalement, cette politique n’a mené qu’à la catastrophe pour les classes moyennes et populaires. D’une manière spectaculaire dans les pays anglo-saxons avec la crise des subprimes. Au plus fort de la dépression économique, en 2009, 1,6 millions d’Américains n’ont plus de logement. Une personne sur 200.

Une crise du logement plus insidieuse en France Pas de brusque chute. Mais une lente évolution.

D’abord, par l’abandon de la propriété collective, via des offices para-publiques. La production de logements sociaux s’est effondrée, passant de 126 000 logements financés en 2016 à 96 000 en 2022. Pour les étudiants, le nombre de logements CROUS (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires) est dramatiquement bas, avec 233 000 pour 700 000 boursiers en 2022 (et 3 millions d’étudiants). Avec un taux de croissance inférieur à 2%, donc inférieur à celui du nombre d’étudiants.

La fin du volontarisme étatique pour construire du logement, est remplacée par la rhétorique des petits propriétaires. L’accent est porté sur les aides aux logements individuels.

De bâtisseur, l’Etat et ses institutions sont devenues progressivement des porte-monnaies des plus puissants. D’une main, l’Etat libéralisé verse de l’argent à celles et ceux qui en ont besoin. Pour que ceux-ci puissent enrichir des entreprises ou des particuliers multipropriétaires.

De l’autre, il met en place des niches fiscales qui bénéficient aux grands acteurs privées. Selon le rapport d’Oxfam France, trois niches fiscales ont coûté près de 11 milliards aux finances publiques en 12 ans alors même que cela aurait pu financer la construction de plus de 70 000 logements sociaux.

Tirons le fil logique du manque criant de logement étudiant. Qui va se jeter sur ce marché grassement subventionné ? Les gérants de résidence étudiante privée. Selon une étude publiée en février 2022 par l’institut Xerfi, 61 nouvelles résidences ont été mises en service à la rentrée 2021 (contre 45 par an depuis 2010). Plus de 152.500 logements sont actuellement disponibles dans ce type de structures. Les bourses vont donc servir à payer des actionnaires immobiliers.

Enfin, la dérégulation et la financiarisation à tout prix du secteur du logement couplées à l’abandon par l’État de sa mission de constructeur ont conduit à une explosion des prix. Le logement est devenu un marché sauvage, où tout ce qui est rare est cher et donc ceux qui possède n’ont aucun intérêt économique à pallier cette pénurie. Résultat : Les prix de l’immobilier ont donc augmenté quatre fois plus vite que les revenus bruts des ménages (+ 125,6 % entre 2001 et 2020 contre 29 % pour le revenu disponible des Français).

Ainsi des millions de ménages populaires se retrouvent en situation de précarité pendant qu’une poignée se gave comme jamais.

La réalité de l’immobilier en France : 15 millions de mal logés, 3,5% de privilégiés

Non, la France n’est pas un pays de petits propriétaires. Ni par le nombre. Si la proportion de 57,7% place cette situation comme majoritaire, celle-ci reste inférieure à la moyenne européenne. De plus, cette proportion stagne puisque les classes populaires sont petit à petit évincées de l’accès à la propriété.

En 2017, l’Insee notait que les ménages appartenant au 25% de ménages les plus modestes avaient un taux d’accès à la propriété en 2013 de 3,7% contre 7,8% au milieu des années 80. Deux fois moins en 30 ans. Confronté à la pénurie de logements sociaux, ces classes populaires viennent garnir les rangs de ces locataires qui enrichissent les 3,5% de privilégiés, propriétaires de 5 logements ou plus, qui possèdent 50% du parc locatif du pays.

La France n’est pas un pays de petits propriétaires surtout, par le pouvoir, par la structure du secteur du logement. De plus en plus longtemps et lourdement endettés (En 2000, les ménages s’endettaient en moyenne pour 15,5 années pour acquérir leur résidence principale. En 2020, cette durée moyenne s’établissait à 22 ans.) de nombreux propriétaires se retrouvent aujourd’hui incapable de payer les traites de leur maison. Sans moyen pour rénover, ils se ruinent en chauffage. Être propriétaire ne protège pas du mal logement.

Non, la France n’est pas un pays de petits propriétaires, mais un pays coupé en deux.

Entre les héritiers, qui ont réussi l’exploit de naître. Et les autres. « Le patrimoine hérité représente 60 % du patrimoine des Français·es aujourd’hui contre 35 % au début des années 1970 » rappelle Médiapart.

Coupés en deux entre ces commerces de proximité qui doivent mettre les clefs sous la porte pris à la gorge par des loyers commerciaux qui ont augmenté de près de 30% en 15 ans. Et des multinationales comme Amazon dont le nombre d’entrepôts a été multiplié par 11 depuis 2017 grâce au soutien indéfectible d’Emmanuel Macron. Entre des PME qui paient 25% d’impôt et un CAC 40 qui touchent 157 milliards de subvention.

Coupé en deux entre toutes celles et ceux qui dépendent des réseaux collectifs pour subvenir à leurs besoins. Et cette infime fraction qui a véritablement la main sur ces réseaux, en tire d’immense bénéfice politique et financier et n’entend pas laisser tarir cette manne.

Non, la France n’est pas un pays de petits propriétaires, mais un pays dont l’essentiel des richesses est captée par une petite caste de parasites ultra riches qui pèsent de tout leur poids sur le système politique pour qu’il continue à tourner de plus en plus en sa faveur.

Par Ulysse


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