1789 1790 Création des départements, districts et cantons

mardi 26 novembre 2024.
 

Durant l’été 1789, la société d’Ancien régime s’effondre par tous ses pores. Dès l’automne, l’Assemblée constituante entreprend la reconstruction sur de nouvelles bases.

L’efficacité des assemblées de la Révolution française est extraordinaire. Une semaine après avoir créé les communes, deux semaines après avoir créée l’armée populaire des gardes nationales, simultanément avec l’instauration du système universel de poids et mesures, l’Assemblée se lance dans la mise en place des départements, districts et cantons mais aussi dans la définition des instances élues chargées de l’administration de ces circonscriptions territoriales, leur mode d’élection, leurs fonctions...

Pourquoi cette précipitation ? parce que le réseau administratif d’Ancien régime était devenu une pétaudière avec certaines circonscriptions territoriales immenses, d’autres minuscules, des droits différents selon les cas...

La surface moyenne d’un département est calculée par l’Assemblée constituante d’après un trajet à cheval : le chef-lieu doit pouvoir être atteint en une journée à cheval maximum.

1) Le travail parlementaire concernant la création des départements

Le procédure législative concernant la création des départements apparaît comme un modèle.

- Le 9 juillet 1789, l’organisation et les fonctions des assemblées territoriales sont classées parmi les plus urgentes et plus importantes délibérations à prendre par l’Assemblée nationale constituante.

- Le 7 septembre 1789, la Constituante nomme un comité restreint chargé de préparer un « plan de municipalités et de provinces », tel que « la France puisse former un seul tout, soumis uniformément, dans toutes ses parties, à une législation et à une administration commune » (Sieyès). Ce comité démissionne le 12 septembre.

- Le 13 septembre 1789, un second Comité de constitution est mis en place comprenant des députés expérimentés et influents de l’Assemblée : Thouret (rapporteur et président), Démeunier, Lally-Tollendal, Le Chapelier, Rabaut Saint-Etienne, Sièyes, Talleyrand-Périgord, Target.

- Dès le 29 septembre 1789, un rapport est présenté devant la Constituante prévoyant la création de départements, chaque département étant divisé en districts, eux-mêmes divisés en cantons, eux-mêmes divisés en communes.

- Le décret du 22 décembre organise la nouvelle organisation du royaume en départements, chacun divisé en trois à neuf districts ; et celle de chaque district en cantons d’environ quatre lieues carrées de superficie.

- Le 8 janvier 1790, le décret du 22 est complété par une "Instruction sur la formation des assemblées représentatives et des corps administratifs" dont nous pouvons extraire ces observations "Tous les Français sont frères et ne composent qu’une famille ; ils vont concourir de toutes les parties du royaume à la formation de leurs lois ; les règles et les effets de leur gouvernement vont être les mêmes dans tous les lieux. La nouvelle division du territoire commun détruit toute disproportion sensible dans la représentation, et toute inégalité d’avantages et de désavantages politiques. Cette division était désirable sous plusieurs rapports civils et moraux, mais surtout elle est nécessaire pour fonder solidement la constitution et pour en garantir la stabilité. Que de motifs pour tous les bons citoyens d’en accélérer l’exécution ! Les élections à faire, pour composer la prochaine législature qui remplacera l’Assemblée nationale actuelle, et celles qui sont nécessaires, en ce moment même, pour la formation des corps administratifs, qui feront disparaître les derniers vestiges du régime ancien, dépendent absolument de la prompte organisation des départements en districts, et des districts en cantons."

- Le 9 janvier 1790, la Constituante demande aux députés de chaque département de produire au comité de constitution, d’ici le 13 janvier, les limites respectives des départements.

- Le 15 janvier 1790, la Constituante répartit les départements par ancienne province. Notons qu’une douzaine de départements hérite des anciennes frontières de province mais leur nom change (sauf pour la Corse). Tel est le cas pour la Nièvre (ex Nivernais), l’Allier (essentiellement formé du Bourbonnais), la Charente (ex Angoumois), la Charente inférieure (ex Aunis Saintonge), la Dordogne (ex Périgord), le Lot (ex Quercy), l’Aveyron (ex Rouergue), les Basses Pyrénées (Pays basque et Béarn), les Hautes Pyrénées (Bigorre), l’Ariège (Couserans et Foix), les Pyrénées Orientales (ex Roussillon), la Corse.

- Du 12 janvier au 17 février des "décrets particuliers" sont pris par l’Assemblée nationale constituante pour clarifier peu à peu les limites territoriales (12 janvier 1790, 13, 14, 15, 16, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 27, 28 et 29 janvier, 1er février, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 13, 15 et 17 février 1790).

- Le 26 février 1790, les limites exactes des 83 départements sont fixées

- 4 mars 1790 : Toutes les décisions concernant l’organisation territoriale prennent effet immédiat.

2) Le décret du 22 décembre 1789

Il suffit de rappeler ici quelques articles de cette loi pour en saisir toute l’importance.

- > Art. 1er. Il sera fait une nouvelle division du royaume en départements, tant pour la représentation que pour l’administration. Ces départements seront au nombre de soixante - quinze à quatre vingt-cinq.

- > 2. Chaque département sera divisé en districts, dont le nombre, qui ne pourra être ni au-dessous de trois, ni au-dessus de neuf, sera réglé par l’Assemblée nationale, suivant le besoin et la convenance du département, après avoir entendu les députés des provinces.

- > 3. Chaque district sera partagé en divisions appelées cantons, d’environ quatre lieues carrées (lieues communes de France.)

- > 4. La nomination des représentants à l’Assemblée nationale sera faite par départements.

- > 5. II sera établi, au chef-lieu de chaque département, une assemblée administrative supérieure, sous le titre d’Administration de département.

- > 6. Il sera également établi, au chef-lieu de chaque district, une assemblée administrative inférieure, sous le titre d’Administration de district.

- > 7. Il y aura une municipalité en chaque ville, bourg, paroisse ou communauté de campagne.

- > 8. Les représentants nommés à l’Assemblée nationale par les départements ne pourront être regardés comme les représentants d’un département particulier, mais comme les représentants de la totalité des départements, c’est-à-dire, de la nation entière.

- > 9. Les membres nommés à l’administration du département ne pourront être regardés que comme les représentants du département entier, et non d’aucun district en particulier.

- > 10. Les membres nommés à l’administration de district ne pourront être regardés que comme les représentants de la totalité du district, et non d’aucun canton en particulier.

- > 12. Les assemblées primaires des électeurs des administrations de département, des administrations de district et des municipalités, seront juges de la validité des titres de ceux qui prétendront y être admis.

Section 2

- > 9. Nul citoyen ne pourra exercer son droit de citoyen actif dans plus d’un endroit ; et dans aucune assemblée, personne ne pourra se faire représenter par un autre.

- > 10. Il n’y a plus en France de distinction d’ordre ; en conséquence, pour la formation des assemblées primaires, les citoyens actifs se réuniront sans aucune distinction, de quelque état et condition qu’ils soient.

- > 13. Chaque assemblée primaire tendra toujours à se former, autant qu’il sera possible, au nombre de six cents, de telle sorte néanmoins que, s’il y a plusieurs assemblées dans ce canton, la moins nombreuse soit au moins de quatre cent cinquante. Ainsi, au-delà de neuf cents, mais avant mille cinquante, il ne pourra y avoir une assemblée complète de six cents, puisque la seconde aurait moins de quatre cent cinquante. Dès le nombre de mille cinquante et au-delà, la première assemblée sera de six cents, et la deuxième de quatre cent cinquante ou plus. Si le nombre s’élève à quatorze cents, il n’y en aura que deux, une de six cents et l’autre de huit cents ; mais à quinze cents, il s’en formera trois, une de six cents et deux de quatre cent cinquante ; ainsi de suite, suivant le nombre de citoyens actifs de chaque canton.

- > 26. Le nombre des représentants qui composeront l’Assemblée nationale sera égal au nombre des départements du royaume, multiplié par neuf.

- > 27. Le nombre des représentants à nommer à l’Assemblée nationale sera distribué entre tous les départements du royaume, selon les trois proportions du territoire, de la population et de la contribution directe.

Section 2

- > 2. Après avoir nommé les représentants à l’Assemblée nationale, les mêmes électeurs éliront en chaque département les membres qui, au nombre de trente-six, composeront l’Administration de département.

- > 3. Les électeurs de chaque district se réuniront ensuite au chef-lieu de leur district, et y nommeront les membres qui, au nombre de douze, composeront l’Administration de district.

- > 12. Chaque administration, soit de département, soit de district, sera permanente, et les membres en seront renouvelés par moitié tous les deux ans

- > 23. Les membres de chaque administration de département éliront, à la fin de leur première session, huit d’entre eux pour composer le directoire ; ils les renouvelleront tous les deux ans par moitié. Le président de l’administration de département pourra assister et aura droit de présider à toutes les séances du directoire, qui pourra néanmoins se choisir un vice-président.

Section 3 Des fonctions des assemblées administratives

- > Art. 1er. Les administrations de département sont chargées, sous l’inspection du Corps Législatif, et en vertu de ses décrets,

- 1° de répartir toutes les contributions directes imposées à chaque département. Cette répartition sera faite par les administrations de département entre les districts de leur ressort, et par les administrations de district entre les municipalités ;

- 2° d’ordonner et de faire faire, suivant les formes qui seront établies, les rôles d’assiette et de cotisation entre les contribuables de chaque municipalité ;

- 3° de régler et de surveiller tout ce qui concerne, tant la perception et le versement du produit de ces contributions, que le service et les fonctions des agents qui en seront chargés ;

- 4° d’ordonner et de faire exécuter le paiement des dépenses qui seront assignées en chaque département sur le produit des mêmes contributions.

- > 2. Les administrations de département seront encore chargées... notamment de celles qui sont relatives,

- 1° au soulagement des pauvres et à la police des mendiants et vagabonds ;

- 2° à l’inspection et à l’amélioration du régime des hôpitaux, hôtels-dieu, établissements et ateliers de charité, prisons, maisons d’arrêt et de correction ;

- 3° à la surveillance de l’éducation publique et de l’enseignement politique et moral ;

- 4° à la manutention et à l’emploi des fonds destinés, en chaque département, à l’encouragement de l’agriculture, de l’industrie, et à toute espèce de bienfaisance publique ;

- 5° à la conservation des propriétés publiques ;

- 6° à celle des forêts, rivières, chemins et autres choses communes ;

- 7° à la direction et confection des travaux pour la confection des routes, canaux et autres ouvrages publics autorisés dans le département ;

- 8° à l’entretien, réparation et reconstruction des églises, presbytères et autres objets nécessaires au service du culte religieux ;

- 9° au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques ;

- 10° enfin, au service et à l’emploi des milices ou gardes nationales, ainsi qu’il sera réglé par des décrets particuliers

3) Quel bilan de ce décret créant les départements, districts et cantons

Les adversaires de la Révolution française se moquent de cette loi d’organisation des collectivités territoriales bâtie selon des critères mathématiques. Ils ont tort. Le débat a déjà eu lieu en 1789 puis la pratique a tranché positivement au moins pour deux siècles.

Le discussion a commencé dès le 9 novembre 1789 lorsque l’avocat Thouret (président et rapporteur de la commission) propose une division effectivement mathématique de la France : 80 carrés de 18 lieues de côté, divisés en 9 cantons de 6 lieues de côté.

Parmi les interventions prenant plus en compte les réalités historiques, signalons la puissante intervention de Mirabeau « Je voudrais une décision... propre aux localités, aux circonscriptions et non point une division mathématique presque idéale et dont l’exécution me paraît impraticable. Je voudrais une division dont dont l’objet ne fût pas seulement d’établir une représentation proportionnelle mais de rapprocher l’administration des hommes et des choses et d’y admettre un plus grand concours des citoyens. Enfin, je demande une division qui ne soit pas une trop grande nouveauté ; qui, si j’ose dire, permette de composer... »

De fait, l’aboutissement des trois mois de travail parlementaire sur le sujet, a complètement modifié le pré-projet introductif de Thouret. De plus, celui-ci ne peut en rien être considéré comme représentatif d’une vision montagnarde éthérée de la raison et des sciences puisqu’il fut un adversaire des Montagnards.

Il est vrai que ce découpage territorial et la répartition des attributions administratives entre villes ont généré des tiraillements. C’était inévitable. L’Assemblée constituante a écouté, pris en compte des pétitions locales et des débats sur des questions très fines de délimitation géographique et d’organisation. C’est tout à son honneur.

Jean-Clément Martin ("Nouvelle histoire de la Révolution française") affirme à juste titre « Les identités locales et régionales ont résisté et ont souvent prévalu dans les décisions prises au terme des rapports de force. L’unité française est affermie puisque l’espace national est régi uniformément... Le succès réel et durable de cette départementalisation est lié à son enracinement local. Commune, canton et département n’ont pas été des circonscriptions plaquées sur le tissu existant, elles en ont épousé les héritages. Elles sont devenues des lieux de pouvoir équilibrant la centralité parisienne, traduisant localement les enjeux nationaux... La réussite du projet révolutionnaire s’est jouée avec l’adaptation locale des idées et des principes proposés par l’Assemblée et traduits par les notables locaux en fonction des équilibres spécifiques... En règle générale, les bordures des départements... se coulent à peu près dans les limites antérieures, qu’elles soient naturelles ou culturelles. La Bretagne, la Provence, le Dauphiné demeurent ainsi aisément identifiables sur la carte du pays. Il est ainsi nettement exagéré et tout à fait polémique de considérer les départements comme des lieux d’anti-mémoire. »

Ce sujet de la départementalisation est souvent utilisé par les opposants à la Révolution comme exemple de discours utopique ignorant les réalités. Or, la réalité du travail parlementaire de l’Assemblée constituante a, au contraire, avec les moyens de l’époque, pris en compte les réalités et même les avis locaux de citoyens bien mieux que la Commission européenne aujourd’hui par exemple alors que celle-ci dispose de moyens de communication et de liaison bien plus importants.

Oui, ce débat de la fin 1789 début 1790 fait table rase des divisions territoriales de l’Ancien régime mais en gardant ce qui était rationnel dans les limites de circonscriptions.

Oui, ce débat de la fin 1789 début 1790 a créé de nouvelles divisions territoriales sorties de l’imagination des Constituants. Depuis, le département et le canton ont fait leurs preuves durant deux siècles

Jacques Serieys


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