« Nos ovaires ne sont pas des armes de guerre » : le vibrant discours de Mathilde Panot pour l’inscription de l’IVG dans la Constitution

mercredi 7 février 2024.
 

Un jour historique. L’Assemblée nationale débat aujourd’hui de l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Ce mercredi 24 janvier marque ainsi l’aboutissement d’années de travail et de mobilisations acharnées de militantes et associations féministes ainsi que du groupe LFI, portant cette proposition depuis sa création. Une avancée historique qui fait suite à la victoire arrachée par les insoumis en novembre 2022, par l’adoption de la proposition de loi portée par Mathilde Panot à l’Assemblée nationale comme au Sénat l’an passé.

« Aujourd’hui, la France parle au monde. 49 ans après la loi Veil, le combat des femmes pour le droit à disposer de leur corps est plus que jamais d’actualité », a déclaré dans un vibrant plaidoyer la présidente du groupe parlementaire LFI, en démontant brique par brique l’obsession nataliste d’Emmanuel Macron, et son « réarmement démographique », tout en fustigeant le Rassemblement National, opposé à la proposition et constant en cela dans sa position de « pire ennemi du droit des femmes ». L’Insoumission.fr relaye dans ses colonnes le discours de Mathilde Panot.

« Aujourd’hui, la France parle au monde ! » Présidente, Ministre, Collègues,

Aujourd’hui, la France parle au monde.

Aujourd’hui, l’histoire longue vient à notre rencontre, et elle nous appelle à prendre une décision qui soit à la hauteur de ce que nous sommes collectivement.

Collègues, c’est aujourd’hui que nous devons consacrer le droit à l’avortement dans la Constitution.

D’aucuns nous disent pourtant que nous serions réunis dans un but nul et non avenu.

Que constitutionnaliser l’avortement ne serait ni urgent, ni majeur, ni vital.

C’est nier qu’en 2024 en France, 49 ans après la loi Veil, le droit à l’IVG n’est toujours pas pleinement effectif.

C’est nier qu’en 2024, en France, il est toujours difficile pour des femmes d’accéder à un avortement dans des délais convenables. Sans faire des centaines de kilomètres. Avec la méthode de son choix.

C’est nier qu’en 2024, en France, 130 centres IVG ont fermé en 15 ans. Et que l’accès à l’avortement est toujours conditionné à une double clause de conscience des médecins.

Et ce, pourquoi ? Parce que 49 ans après la loi Veil, le combat des femmes pour le droit à disposer de leur corps est plus que jamais d’actualité.

Collègues, c’est aujourd’hui que nous devons consacrer le droit à l’avortement dans la Constitution.

Parce que 49 ans après la loi Veil, nous restons dans un “en même temps” insupportable de la part de ce gouvernement. A commencer par Emmanuel Macron lui-même.

Emmanuel Macron, qui, il y a une semaine, n’a pas eu un mot en 2h20 de conférence de presse pour la constitutionnalisation de l’avortement.

A l’inverse, il aura préféré en reprenant les mots de Viktor Orban, premier ministre hongrois d’extrême droite, se faire le chantre du “réarmement démographique”.

Viktor Orban, qui je le rappelle, impose aux femmes hongroises d’écouter le cœur du fœtus lorsqu’elles souhaitent mettre fin à une grossesse. Ce même Viktor Orban, qui a l’image de tous les réactionnaires et fascistes à travers l’histoire, s’est saisi de la question de la démographie pour instrumentaliser le corps des femmes.

Collègues, nos ovaires ne sont pas des armes de guerre.

Le corps des femmes n’appartient ni à l’État, ni à la famille, ni aux juges, mais aux femmes et à elles seules !

Cette obsession nataliste est liée depuis le début à la criminalisation de l’avortement.

Le régime de Vichy avait fait de l’avortement un crime contre la sûreté de l’État, passible de peine capitale comme corollaire de sa politique nataliste.

Dans tous les régimes fascistes du siècle passé, le contrôle de la reproduction et la domination du corps des femmes sont les premiers leviers vers un Etat totalitaire.

Aujourd’hui, partout dans le monde, les rétrogrades redoublent encore de stratégies pour restreindre et bafouer les droits sexuels et reproductifs.

Les mouvements anti-choix sont toujours une menace féroce et organisée. Collègues, c’est aujourd’hui que nous devons consacrer le droit à l’avortement dans la Constitution.

Car les mouvements anti-choix sont toujours une menace féroce et organisée.

Et il n’y a pas d’exception française ! Ils manifestent, ils désinforment massivement sur les réseaux sociaux. Leurs militants attaquent de plus en plus régulièrement les permanences du Planning familial. Ils font campagne pour le déremboursement de l’avortement. Ils combattent également l’éducation à la vie affective et sexuelle à l’école, s’attaquant ainsi, par là, à la bonne information sur la contraception, à l’éducation au consentement ou encore à la lutte contre les inégalités.

Ces anti-droits siègent y compris à l’extrême droite de cet hémicycle. Au Rassemblement National dont le fondateur Jean-Marie Le Pen déclarait en 1996 : “L’affirmation que votre corps vous appartient est tout à fait dérisoire. Il appartient à la vie et aussi, en partie, à la Nation.”

Le Rassemblement National qui en 2012, souhaitait par la voix de Marine le Pen dérembourser les avortements dits « de conforts”. Marine Le Pen toujours qui en 2022 s’opposait à l’allongement du délai légal pour avorter.

Bancs d’extrême droite sur lequel on retrouve pêle-mêle, Laure Lavalette qui a écrit vouloir « abroger, à terme, le droit à l’avortement », Hervé de Lépinau qui compare l’avortement « aux génocides arméniens et rwandais, à la Shoah, aux crimes de Daesh », Caroline Parmentier qui regrette qu’« après avoir « génocidé » les enfants français à raison de 200 000 par an (le nombre d’avortement en France), on doit maintenant les remplacer à tour de bras par les migrants ».

Collègues, voilà pourquoi aujourd’hui nous devons consacrer le droit à l’avortement.

Nous avons une responsabilité immense.

L’avortement n’est peut-être pas en danger imminent. Peut-être. Inscrivons-le dans la constitution et il ne le sera jamais à l’avenir. Car c’est justement quand il n’est pas encore en danger imminent, qu’il faut le protéger.

Introduire le droit à l’avortement dans la Constitution sécurise la portée de ce droit fondamental humain, aujourd’hui incertaine.

C’est affirmer ici à nos enfants, petits-enfants, arrière-petites-enfants qu’elles n’auront pas moins de droits que nous. C’est conjurer l’idée que les générations futures n’auront jamais à ingurgiter de l’eau oxygénée, du détergent, ni à s’introduire dans l’utérus une aiguille à tricoter, une brosse à dent, de l’eau savonneuse ou un épi de blé.

C’est parer la réalité des sévices que des femmes pouvaient s’infliger avant 1975, entraînant parfois leur mort. Car oui : la seule conséquence de la privation des femmes du droit à avorter, c’est l’avortement clandestin, et le plus souvent, la mort.

Collègues, voilà pourquoi c’est aujourd’hui que nous devons consacrer le droit à l’avortement.

Etre le premier Etat au monde à graver dans sa Constitution le droit à l’avortement, honore la France comme une nation pionnière des droits des femmes.

Cette consécration que nous appelons de nos vœux aujourd’hui, nous la voulons comme un encouragement à la lutte et un hommage aux femmes états-uniennes traquées jusque dans leurs conversations Facebook et condamnées pour des pilules abortives. Un hommage aux femmes argentines en grève générale aujourd’hui, notamment pour le droit à l’avortement.

Cette consécration que nous appelons de nos voeux aujourd’hui, nous la voulons comme hommage à Vanessa Mendoza Cortes, trainée en justice pour avoir juste dénoncé devant l’ONU la quasi interdiction de l’avortement en Andorre.

Comme hommage à Justyna Wydrzyńska, militante polonaise condamnée pour avoir aidé une femme à avorter.

Cette consécration que nous appelons de nos voeux aujourd’hui, nous la voulons comme hommage à Izabela, à qui on a refusé l’avortement, et dont le dernier SMS avant sa mort déclarait “C’est la loi, le supplice de l’être humain. Les femmes sont devenues des couveuses.”

Cette consécration que nous appelons de nos voeux aujourd’hui, nous la voulons comme hommage aux personnes qui meurent toutes les 9 minutes dans le monde du fait d’un avortement non-securisé.

Collègues, voilà pourquoi c’est aujourd’hui que nous devons consacrer le droit à l’avortement.

Insoumises, nous nous réclamons héritières d’un humanisme dont le principe directeur est l’autonomie.

C’est l’autonomie individuelle consacrée par les droits humains qui est à la base des libertés de conscience, d’expression, de mouvement.

C’est se commander à soi-même. Être maître de soi. Être libre de choisir.

Il n’y a pas d’aspiration plus haute, pour tout être humain.

C’est pour cela que le droit à l’avortement est le préalable à tout féminisme. Constitutionnaliser ce droit aujourd’hui, ce n’est pas juste défendre la justice reproductive dans le monde, c’est défendre la démocratie. Celle d’être sujet de sa vie.

Car quel est le sujet du féminisme ? Non pas exclusivement les femmes.

Quel est le sujet du féminisme ? Une histoire multimillénaire de l’émancipation.

La constitutionnalisation de l’IVG parachève une longue histoire de privation des femmes à disposer de leur corps. Collègues, voilà pourquoi aujourd’hui nous devons consacrer le droit à l’avortement.

La constitutionnalisation de l’IVG parachève une longue histoire de privation des femmes à disposer de leur corps. Elle s’inscrit dans la continuité de toutes les mobilisations féministes.

Cette victoire aujourd’hui, est d’abord celle de toutes les militantes, des associations et des collectifs.

Je veux saluer leur présence en tribune et leur dire notre reconnaissance pour leur engagement à faire vivre les droits des femmes au quotidien.

Militantes féministes de tout temps, si ce débat existe, si cette victoire est proche c’est avant tout grâce à vos combats.

Car derrière une loi, il y a toujours une foule.

C’est cette longue foule de militantes qui a arraché le droit à l’IVG en 1975.

C’est le combat de ces femmes qui permet le remboursement de l’IVG par la Sécurité Sociale en 1981, à 100% en 2013.

Qui remporte l’allongement des délais de 10 à 12 semaines en 2001, puis de 12 à 14 semaines en 2022.

C’est toujours cette foule qui arrache victoires après victoires : le droit des mineures à avorter sans accord parental, la suppression du délai de réflexion, la création du délit d’entrave, l’autorisation des sages-femmes à pratiquer des IVG

C’est aussi une victoire insoumise et parlementaire puisque c’est la proposition de loi que j’avais eu l’honneur de porter pour mon groupe, adoptée le 24 novembre 2022 à l’Assemblée puis le 1er février 2023 au Sénat qui vous a forcé, Mesdames et Messieurs les Ministres, à inscrire ce projet de loi constitutionnel à l’ordre du jour.

Le droit à l’IVG est un champ de bataille permanent. Des années 60, jusqu’au troisième millénaire, le droit à l’IVG est un champ de bataille permanent.

Nous sommes conscientes qu’il n’y aura jamais de marbre assez puissant pour graver définitivement ce droit.

Nous sommes conscientes que la formulation retenue n’est pas celle que nous aurions souhaité.

Le temps venu dans la Constituante, le peuple pourra l’améliorer et y ajouter le droit à la contraception, corollaire du droit à l’avortement.

Nous sommes conscientes de tout cela, mais cette inscription dans la Constitution marque une victoire historique. Cette victoire est la vôtre, la nôtre et la défaite des anti-choix.

Aujourd’hui, la France parle au monde.

Pour terminer, je souhaite vous citer les mots de Gisèle Halimi, lors de sa plaidoirie au procès de Bobigny en 1972 :

“Personne, comprenez-moi, Messieurs, personne n’a jamais pu obliger une femme à donner la vie quand elle a décidé de ne pas le faire”.

Et comme un symbole magnifique au moment où nous discutons cette loi, nous apprenons que les militantes polonaises vont reconquérir l’accès libre à la pilule du lendemain. Leur combat est le nôtre, notre victoire est la leur !

52 ans après, Collègues, voilà pourquoi c’est aujourd’hui que nous devons consacrer le droit à l’avortement.


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