Tout ce que nous pouvons faire maintenant, c’est demander, supplier, crier : N’entrez pas dans Rafah. Une incursion israélienne à Rafah serait une attaque contre le plus grand camp de personnes déplacées au monde. Elle entraînera l’armée israélienne dans des crimes de guerre d’une gravité que, même elle, n’a pas encore commise. Il est impossible d’envahir Rafah aujourd’hui sans commettre de crimes de guerre. Si les forces de défense israéliennes envahissent Rafah, la ville deviendra un charnier.
Des garçons sont assis à l’extérieur alors que des Palestiniens déplacés, qui ont fui leurs maisons à cause des frappes israéliennes, s’abritent dans un camp de tentes à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, jeudi.Credit : Ibraheem Abu Mustafa / Reuters
Environ 1,4 million de personnes déplacées se trouvent actuellement à Rafah, s’abritant parfois sous des sacs en plastique transformés en tentes. L’administration américaine, gardienne supposée de la loi et de la conscience israéliennes, a conditionné l’invasion de Rafah à un plan israélien d’évacuation de la ville. Un tel plan n’existe pas et ne peut pas exister, même si Israël réussit à inventer [une explication] quelconque.
Il est impossible de transporter un million de personnes totalement démunies, dont beaucoup ont déjà été déplacées deux ou trois fois, d’un endroit « sûr » à un autre, qui se transforment toujours en champs de bataille. Il est impossible de transporter des millions de personnes comme s’il s’agissait de veaux destinés à être transférés. Même les veaux ne peuvent être transportés avec une telle cruauté.
Il n’y a pas non plus d’endroit où évacuer ces millions de personnes. Dans la bande de Gaza dévastée, il n’y a plus d’endroit où aller. Si les réfugiés de Rafah sont déplacés à Al-Mawasi, comme le proposera Tsahal [l’armée israélienne] dans son plan humanitaire, Al-Mawasi deviendra le site d’une catastrophe humanitaire comme nous n’en avons jamais vu dans la bande de Gaza.
Yarden Michaeli et Avi Scharf ont rapporté que l’ensemble de la population de la bande de Gaza, soit 2,3 millions de personnes, est censée être évacuée dans une zone de 16 kilomètres carrés, soit environ la taille de l’aéroport international Ben-Gourion. Toute la bande de Gaza dans la zone de l’aéroport, imaginez !
Amira Hass a calculé que si un million de personnes seulement se rendent à Al-Mawasi, la densité de population sera de 62 500 personnes par kilomètre carré. Il n’y a rien à Al-Mawasi : pas d’infrastructure, pas d’eau, pas d’électricité, pas de maisons. Seulement du sable et encore du sable, pour absorber le sang, les eaux usées et les épidémies. Nous seulement cette idée glace le sang, mais elle montre aussi le niveau de déshumanisation qu’Israël a atteint dans ses projets.
Le sang sera versé à Al-Mawasi, comme il l’a été récemment à Rafah, l’avant-dernier refuge offert par Israël. Le service de sécurité Shin Bet trouvera un officier affilié au Hamas qu’il faudra éliminer en larguant une bombe d’une tonne sur le nouveau camp de tentes. Vingt passants, dont la plupart sont des enfants, seront tués. Les correspondants militaires nous raconteront, les yeux brillants, le merveilleux travail accompli par Tsahal pour liquider le haut commandement du Hamas. La victoire totale est proche, les Israéliens seront gavés une fois de plus.
Mais même à travers ce gavage, le public israélien doit se réveiller, et avec elle l’administration Biden. Il s’agit d’une situation d’urgence plus grave que n’importe quelle autre pendant cette guerre. Les Américains doivent bloquer l’invasion de Rafah par des actions, pas par des mots. Ils sont les seuls à pouvoir arrêter Israël.
Le secteur conscient du public israélien doit chercher des sources d’information autres que les stations de « gâteaux pour les soldats » qui s’autoproclament chaînes d’information. Regardez les images de Rafah sur n’importe quelle chaîne étrangère - vous ne verrez rien en Israël - et vous comprendrez pourquoi on ne peut pas l’évacuer. Imaginez Al-Mawasi avec les deux millions de personnes déplacées, et vous comprendrez les crimes de guerre qui sévissent ici.
Samedi, le corps de Hind Hamada - ou Rajab, selon certains médias - âgée de six ans, a été retrouvé. La fillette était devenue célèbre dans le monde entier après les moments de terreur qu’elle et sa famille ont vécus le 29 janvier face à un char israélien - des moments qui ont été enregistrés lors d’un appel téléphonique avec le Croissant-Rouge palestinien, jusqu’à ce que les cris de terreur de sa tante cessent. Sept membres de la famille ont été tués ; seule la petite Hind a été sauvée, et son sort est resté mystérieux depuis lors.
Hind a été retrouvée morte dans la voiture brûlée de sa tante, dans une station-service de Khan Yunis. Blessée, recouverte par les sept corps de ses proches, elle s’est vidée de son sang avant d’avoir pu s’extraire du véhicule. Hind et sa famille avaient répondu à l’appel « humanitaire » d’Israël à évacuer. Quiconque souhaite des milliers d’autres Hind devrait envahir Rafah, dont la population sera évacuée vers Al-Mawasi.
Gideon Levy
• Traduction pour ESSF de E. (de la version en hébreu) et Pierre Rousset (de la version en anglais) avec l’aide de DeepL pro.
Source : Version en anglais - Haaretz. 11 février 2024 3:23 am IST :
https://www.haaretz.com/opinion/202...
Version en hébreu :
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