Enquête sur la campagne d’Israël pour tuer l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les Palestiniens

lundi 18 mars 2024.
 

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L’État hébreu accuse l’agence onusienne chargée de l’aide aux réfugiés palestiniens de complicité avec le Hamas. Mais à ce stade, les preuves manquent. En plein chaos à Gaza, l’agence a perdu de nombreux financements.

Articles de presse par centaines, déclarations d’élu·es du monde entier, réseaux sociaux en toupie, un tourbillon d’accusations… Depuis un mois, la polémique autour de l’UNRWA, l’agence des Nations unies qui fournit de l’aide humanitaire et des services publics aux 6 millions de réfugié·es palestinien·nes, ne s’arrête pas.

Tandis que la guerre israélienne à Gaza, qui a entraîné la mort de 30 000 Gazaoui·es, provoque une désolation sans précédent, l’agence onusienne qui, depuis 75 ans, fournit aide et protection à la population palestinienne est la cible d’une offensive majeure menée par Israël et ses relais.

Pour les plus sensibles au destin des Palestinien·nes, le sort que subit l’agence, traînée dans la boue par Israël et lâchée sans crier gare par ses plus gros donateurs, fait en effet écho à la souffrance continue des réfugié·es palestinien·nes d’hier et d’aujourd’hui, désormais privé·es de tout et menacé·es de famine à Gaza. Signe du chaos en cours, une centaine de Palestinien·nes sont mort·es jeudi 29 février lors d’une distribution de nourriture dans le nord de Gaza, et l’Élysée accuse l’armée israélienne d’avoir tiré sur des civil·es palestinien·nes.

Pour les défenseurs de l’État d’Israël, en revanche, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, son nom français, est une organisation honnie, accusée de complicités coupables avec le terrorisme. L’État hébreu milite comme jamais pour son démantèlement. Ses dirigeants et soutiens entretiennent chaque jour le feu politique et médiatique contre l’agence, confrontée sur le terrain à la pire des catastrophes humanitaires de son histoire.

Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien, l’estime « totalement infiltrée par le Hamas ». « Le terrorisme sous prétexte de travail humanitaire est une disgrâce pour l’ONU et les valeurs qu’elle prétend représenter », accuse son ministre de la défense, Yoav Gallant. « L’UNRWA n’a pas sa place à Gaza, affirme le ministre des affaires étrangères, Israël Katz. Elle est le problème, pas la solution. »

L’UNRWA « joue un rôle clé dans la perpétuation et le renforcement de la question des réfugiés […] et empêche l’instauration de la paix, explique l’ambassade d’Israël à Paris. Des mesures concrètes doivent être prises pour la remplacer par d’autres entités, internationales ou autres, qui ne sont pas entachées par le soutien au terrorisme ».

Des accusations périodiques

Ces dernières années, Israël a souvent porté le fer contre l’UNRWA, qu’il accuse de longue date de « perpétuer le conflit au Proche-Orient » en entretenant l’idée d’un droit au retour pour les 6 millions de réfugié·es palestinien·nes dont elle s’occupe dans les Territoires occupés, en Jordanie, en Syrie et au Liban – un droit au retour « inaliénable », affirmé en 1974 par l’Assemblée générale de l’ONU, dont l’agence tire son mandat.

« Israël a périodiquement accusé le personnel de l’UNRWA de ne pas respecter la neutralité, de laisser le Hamas utiliser les installations de l’ONU, témoigne Lex Takkenberg, qui y a passé trente ans et a dirigé son département éthique. Mais presque tout le temps, Israël n’a pas fourni de preuves. »

En 2017, comme le rappelle France 24, le gouvernement israélien évoquait déjà sa dissolution et le transfert de ses responsabilités au Haut-commissariat des nations unies pour les réfugiés (HCR). Un an plus tard, alors président des États-Unis, Donald Trump avait déjà suspendu les crédits à l’agence onusienne. Le département d’État accusait alors l’agence d’être « irrémédiablement biaisée » contre Israël. Des organisations conservatrices comme UN Watch mènent depuis des années une guérilla contre l’agence.

« L’UNRWA est devenue le symbole de l’implication des Nations unies dans la recherche d’une solution durable au problème palestinien, par le retour ou la compensation, analyse Jalal Hussein, chercheur rattaché à l’Institut français du Proche-Orient d’Amman (Jordanie) et consultant pour l’agence. « Israël a commencé par la voir d’un très mauvais œil, parce qu’elle permet d’entretenir cette question des réfugiés qu’il veut éliminer. »

La menace du « démantèlement »

Fin décembre 2023, un rapport classifié du ministère des affaires étrangères israélien présentait d’ailleurs « un plan de démantèlement de l’UNRWA à Gaza en trois étapes. Avec, comme première étape, le fait de révéler la coopération entre l’UNRWA et le Hamas », rappelle France 24.

L’État hébreu a mis ses menaces à exécution. Désormais, la guerre est totale. Si bien que le commissaire général de l’agence, le diplomate suisse Philippe Lazzarini, se démène pour rappeler combien son agence est centrale dans le quotidien des Gazaoui·es. Lundi 4 mars, il devrait à nouveau plaider devant l’Assemblée générale des Nations unies combien l’existence même de l’UNRWA garantit les droits des Palestinien·nes. « Les appels au démantèlement de l’UNRWA, dit-il à Mediapart, ont pour objectif d’éliminer le statut des réfugiés palestiniens et leur droit au retour. »

Le déclenchement de la tornade remonte au 26 janvier dernier. À La Haye (Pays-Bas), la Cour internationale de justice enjoint l’État Israël à agir pour prévenir le risque, « plausible » selon elle, de génocide à Gaza. Le même jour, Philippe Lazzarini publie un communiqué déflagrateur.

« Les autorités israéliennes, écrit-il, ont fourni à l’UNRWA des informations sur l’implication possible de plusieurs employés de l’UNRWA dans les attaques horribles du 7 octobre en Israël. Pour protéger la capacité de l’agence à délivrer l’aide humanitaire, j’ai pris la décision de mettre un terme à leur contrat et de lancer une enquête afin de rétablir la vérité sans délai. » Les salariés sont licenciés immédiatement, sans preuve. À l’encontre des procédures habituelles.

450 millions de dollars manquants

L’émoi est mondial. Immédiatement, les États-Unis, le plus gros contributeur de l’UNRWA (343 millions de dollars en 2022, plus d’un quart du budget de l’agence), annoncent la suspension de leur aide.

En cascade, dix-huit pays, les plus gros financeurs, la plupart occidentaux, gèlent ou reportent leurs contributions. C’est le cas de l’Allemagne, deuxième donateur de l’agence (202 millions de dollars par an), du Canada, du Japon, des Pays-Bas, de l’Italie. Mais aussi de la France, qui annonce ne pas faire de versement supplémentaire au premier trimestre 2024. Le langage est plus sibyllin, mais l’impact est le même.

Au total, selon l’UNRWA, 450 millions de dollars de contributions ont été depuis un mois suspendus ou mis sur pause. Ce quasi demi-milliard de dollars en moins, c’est plus du tiers du budget annuel de l’agence, financée à 90 % par les dons volontaires des États, et seulement à 10 % par l’ONU.

Concrètement, pour l’agence, c’est une catastrophe. « Jusqu’à présent, nous avons maintenu nos activités, les écoles, les centres de santé, la distribution de l’aide humanitaire, et payé les salaires de nos 30 000 employés, explique à Mediapart Tamara Alrifai, la porte-parole de l’UNRWA. Mais financièrement, nous ne sommes désormais pas en mesure de tenir plus qu’un mois… si toutefois les gouvernements qui ont gelé leurs contributions ne reviennent pas sur leur décision. » Vendredi 1er mars, l’Union européenne a annoncé le versement de 50 millions d’euros. Un montant moindre qu’attendu. De quoi, toutefois, tenir quelques semaines de plus.

Pour les Gazaoui·es surtout, ces désertions financières sont une tragédie. À Gaza, pilonnée par Israël depuis plus de quatre mois, l’UNWRA est partout, et depuis longtemps. L’agence a été créée en 1949 pour venir en aide aux 700 000 réfugié·es palestinien·nes expulsé·es lors de la création de l’État d’Israël, « en attendant une solution juste et durable à leur sort ».

Désormais, ils sont 6 millions, dans les Territoires occupés, en Jordanie, au Liban et en Syrie, répartis dans 58 camps de réfugié·es que gère l’agence. La solution politique, elle, n’est toujours pas là. Alors l’agence continue sa mission. « Nous sommes une agence temporaire de l’ONU qui ne demande qu’à fermer », répètent les responsables de l’UNRWA.

Là où elle intervient, l’agence gère 700 écoles et les soins médicaux. À Gaza, où elle compte près de la moitié de son effectif (13 000 de ses 30 000 employé·es), l’URNWA assure même des missions de service public comme l’assainissement ou l’entretien des rues.

Depuis le début des frappes israéliennes, elle estime avoir fourni à Gaza une assistance de base pour l’eau et l’alimentation à plus de 370 000 familles, des dizaines de milliers de matelas, de couvertures et de kits d’hygiène, plus de 3 millions de couches pour les bébés. Elle dit aussi avoir assuré 2,4 millions de consultations médicales. De nombreux déplacé·es (1,7 million de Gazaoui·es, 75 % de la population selon l’ONU) ont trouvé refuge dans ses bâtiments, dont 155 ont été ciblés, endommagés ou détruits. En quatre mois, 158 de ses employé·es gazaoui·es ont été tué·es.

L’agence entravée

Désormais, sur place, l’urgence est totale. Deux millions de Palestinien·nes se massent dans le sud de l’enclave, vers Rafah, où Israël a annoncé une possible attaque militaire imminente. D’après l’UNRWA, l’aide a diminué de moitié au mois de février par rapport à janvier. « Avec 60-70 camions d’aide tout compris pour l’aide alimentaire, médicale, etc., on est très loin des besoins, surtout en vue de la famine que nous avons commencé à détecter dans certaines poches à Gaza », déplore Tamara Alrifai, la porte-parole de l’UNRWA.

En pratique, l’agence se dit entravée. « Nous ne sommes plus à même d’acheminer l’aide humanitaire dans la zone nord de Gaza, dit-elle. La plupart de nos demandes de permissions d’accès sont refusées par les autorités israéliennes. Et dans le sud, l’aide arrive au compte-gouttes. Des procédures administratives, logistiques et des vérifications israéliennes très lourdes ralentissent l’accès. Le manque de sécurité, la détérioration de la situation sur le terrain, mais aussi une montée du désespoir et de la faim parmi les Gazaoui·es les poussent de plus en plus à attaquer les convois qui entrent pour se servir directement, sans devoir attendre une distribution organisée. »

« Les derniers hôpitaux s’effondrent, les docteurs amputent les enfants sans anesthésie, […] la famine est imminente. […] Nous sommes au bord d’un désastre monumental », a averti le commissaire général de l’UNRWA le 24 février. C’est évidemment le pire contexte, insiste-t-il, pour s’en prendre à son agence. Surtout si les « preuves » de la collusion de certain·es employé·es de l’UNRWA avec le Hamas n’ont toujours pas été avancées.

Israël n’apporte pas de preuves pour soutenir son affirmation explosive.

Reportage sur la chaîne britannique Channel 4, le 5 février

En plus d’un mois, Israël a en effet beaucoup accusé, mais à ce stade peu prouvé. Le 18 janvier, Philippe Lazzarini est à Jérusalem. Il rencontre un responsable du ministère des affaires étrangères israélien. Celui-ci lui donne « oralement » les noms de douze salariés de l’UNRWA qui auraient participé aux attaques du 7 octobre 2023. Lazzarini se rend en urgence à New York, au siège des Nations unies, pour consulter le secrétaire général, António Guterres. Huit jours plus tard, il publie le communiqué qui rend l’information publique et déclenche l’onde de choc.

Fin janvier, alors que les annonces de désengagement financier se multiplient, plusieurs médias reçoivent un résumé des accusations, un rapport de six pages, en hébreu, que Mediapart s’est aussi procuré. Le dossier contient des noms, des fonctions, le rôle supposé des douze salariés de l’UNRWA, dont deux sont morts depuis, lors des attaques du Hamas. « Environ 190 employés » de l’UNRWA seraient des « combattants endurcis » du Hamas et du Djihad islamique, affirme le texte. Et 10 % du personnel de l’UNRWA serait affilié aux deux organisations.

Différents médias anglo-saxons évoquent ce document, mais insistent aussi sur le manque de preuves. « CNN n’a pas vu les informations issues des renseignements qui étayent le résumé de ces allégations, et ne peut corroborer les déclarations israéliennes », affirme la chaîne d’information états-unienne dès le 29 janvier.

« Les documents du renseignement israélien avancent plusieurs affirmations dont Sky News n’a pas vu la preuve, renchérit la télévision britannique le 30 janvier. Et nombre de ces affirmations, même si elles sont vraies, n’impliquent pas l’UNRWA directement. » « Israël n’apporte pas de preuve pour soutenir son affirmation explosive », explique une autre chaîne britannique, Channel 4, le 5 février.

Le petit « dossier » du ministre israélien

Dans un podcast, un journaliste du Wall Street Journal, David Luhnow, affirme s’être vu remettre des preuves « dans une enveloppe en papier kraft » par un officier du renseignement israélien, dans un café de Tel-Aviv. Le Wall Street Journal affirme que ces renseignements ont été collectés par du « tracking de téléphones portables, des écoutes, des preuves physiques et des interrogatoires ». Quotidien conservateur, propriété du groupe Murdoch, le Wall Street Journal multiplie depuis les éditoriaux hostiles à l’UNRWA.

Le 16 février, le ministre des affaires étrangères de l’État hébreu, Israël Katz, prend la parole à la conférence annuelle de Munich sur la sécurité. Ce jour-là, l’actualité est accaparée par la mort de l’opposant russe Alexeï Navalny, dont la veuve est présente dans la capitale bavaroise. Lors de sa conférence de presse, Katz fait tout de même son petit effet en brandissant un petit document en couleurs, « le dossier UNRWA ».

Ce document de 23 pages, que Mediapart a consulté, résume les accusations israéliennes : « Au moins 13 employés », dont les noms, photos, dates de naissance et numéros de carte d’identité sont publiés, auraient participé « activement » aux attaques du 7 octobre « et aux prises d’otages » – le ministre de la défense, Yoav Gallant, a même parlé de « 30 travailleurs de l’UNRWA impliqués » ; « 1 468 employés de l’UNRWA » seraient « des membres actifs du Hamas et du Jihad islamique palestinien », toujours selon la même source. Selon Israël, un des travailleurs de l’UNWRA a été identifié dans des vidéos des attaques du 7 octobre.

Autres accusations : un tunnel d’un kilomètre découvert le 9 février sous le siège de l’UNRWA à Gaza City disposerait d’une « connexion câblée directe » avec le bâtiment des Nations unies, et les installations de l’UNRWA auraient été utilisées, récemment et dans le passé, par le Hamas pour lancer ou cacher des armes.

À chaque fois que nous avons découvert des abus, nous avons alerté les autorités israéliennes et le Hamas.

Matthias Schmale, ancien de l’UNRWA à Gaza

Depuis un mois, l’UNRWA multiplie les contre-feux. L’agence a même créé une page spéciale sur son site pour répondre à la « désinformation ». Les salariés qui auraient participé ? « Horrifiant » si cela est avéré, selon Philippe Lazzarini. Qui rappelle que chaque année, les listes des effectifs de l’agence sont envoyées aux autorités israéliennes, qui n’ont jamais rien trouvé à redire.

Le nombre de militants ou sympathisants supposés du Hamas en son sein ? « Des chiffres communiqués à travers des médias ou les réseaux sociaux et qui n’ont jamais été communiqués à l’UNRWA ni aux Nations unies, dit Philippe Lazzarini à Mediapart. Je n’ai absolument aucune idée d’où ils viennent, sur quoi ils sont basés, sur quelles informations, sur quels renseignements, ni qui sont ces individus. » Les tunnels ? L’UNRWA n’est pas géologue, mais quand elle a trouvé des tunnels (« à une ou deux reprises, pas plus que cela », selon Lazzarini), l’agence a informé Israël et protesté auprès du Hamas.

« À chaque fois que nous avons découvert des abus, nous avons alerté les autorités israéliennes et le Hamas, confirme à Mediapart Matthias Schmale, ancien directeur des opérations de l’UNRWA à Gaza entre 2017 et 2021. Nous avons découvert deux tunnels sous des écoles lorsque j’étais en poste. Nous avions aussi découvert des armes dans une école inutilisée pendant la guerre de 2014. Nous avons aussi rectifié les choses le plus vite possible : nous avons fermé les tunnels avec du ciment liquide et nous avons fait dégager les armes de l’école. »

Israël refuse de donner des « détails »

Schmale insiste aussi sur la « neutralité » politique au sein de l’agence. « Quand je suis arrivé à Gaza, nous avions des tandems d’inspecteurs – un Palestinien, un international – qui inspectaient régulièrement les installations, notamment les écoles, faisaient état des abus et des violations qu’ils découvraient, et agissaient, par exemple en enlevant des affiches problématiques. »

L’UNRWA se voit souvent reprocher par Israël de proposer dans ses écoles des manuels scolaires « délégitimant Israël ». « Nous utilisons les livres scolaires des autorités des pays où nous exerçons », insiste un responsable de l’agence. « À Gaza, ce sont ceux de l’Autorité palestinienne : le Hamas ne les a pas changés depuis qu’il a le contrôle de l’enclave. »

Israël détient-il des preuves tangibles, et communicables, de ce qu’il avance ? À ce stade, elles n’ont en tout cas pas été partagées. D’après le Guardian, les enquêteurs de l’ONU n’en ont pas vu la couleur. « Je ne pense pas que nous ayons besoin de donner de détails sur nos sources de renseignement. Cela reviendrait à révéler nos sources et nos opérations », déclarait récemment à France 24 Lior Haiat, le porte-parole du ministère israélien des affaires étrangères.

Pour l’instant, je n’ai reçu aucune preuve. Peut-être [ces allégations] sont-elles vraies, peut-être pas.

Josep Borrell, haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères

Alors que le secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, assurait fin janvier que les affirmations d’Israël étaient « hautement crédibles », le Conseil national du renseignement américain, qui conseille le gouvernement, a assuré le 21 février les juger « crédibles ». Tout en indiquant ne pas avoir été destinataire des informations du renseignement israélien qui les sous-tendent. Ni pouvoir vérifier les affirmations selon lesquelles « un grand nombre de travailleurs des Nations unies ont des liens avec des groupes militants ». Un doute renforcé, précise le Guardian, par les « préjugés » d’Israël envers l’UNWRA.

Penny Wong, la ministre australienne des affaires étrangères, dont le pays a suspendu ses paiements, a convenu elle aussi ne pas être « en possession complète des faits ». « Des allégations sont des allégations, a indiqué le 12 février le haut-représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, Josep Borrell, aux côtés de Phillippe Lazzarini. En première année de droit, on vous apprend que celui qui fait des accusations doit les prouver. Ce n’est pas à l’accusé de le faire. Et pour l’instant, je n’ai reçu aucune preuve. Peut-être sont-elles vraies, peut-être pas. »

Contournée et entravée par Israël

Pour l’UNRWA en tout cas, le mal est fait. Israël la considère comme une agence paria à contourner absolument. Dans sa plus récente lettre à l’ONU, Philippe Lazzarini recense de multiples représailles récentes contre l’agence, délogée de bâtiments à Jérusalem, privée d’un de ses comptes bancaires par une banque israélienne, visée par deux lois hostiles à la Knesset, et contre ses collaborateurs, interdits d’accès à Jérusalem.

L’agence doit maintenant retrouver, et vite, la confiance de ses donateurs. C’est loin d’être gagné. En pleine année électorale, les États-Unis ne devraient pas reprendre de sitôt leurs versements. L’administration américaine compte plutôt désormais sur le Programme alimentaire mondial, une autre agence onusienne, pour distribuer son aide.

« Il y a en ce moment des discussions en cours entre certains bailleurs de fonds sur la possibilité de remplacer l’UNRWA par d’autres agences onusiennes et humanitaires, s’inquiète Tamara Alrifai, la porte-parole de l’UNRWA. Mais celles-ci n’ont pas la même force de frappe que nous, ni la même infrastructure logistique, ni le même accès aux communautés palestiniennes dans la région. Et l’UNRWA, ce n’est pas juste l’aide humanitaire d’urgence à Gaza, ce sont des écoles, des dispensaires, des services de type public. Si demain elle disparaît, le risque d’un chaos sur place, y compris sécuritaire, est réel. »

L’UNRWA joue un rôle irremplaçable.

Catherine Colonna, ancienne ministre des affaires étrangères française Ce diagnostic, une des personnalités qui tient l’avenir de l’UNRWA entre ses mains n’est pas loin de le partager. Ancienne ministre des affaires étrangères d’Emmanuel Macron, Catherine Colonna a été chargée début février par le secrétaire général de l’ONU d’une mission pour évaluer sa « neutralité ». Son rapport, qui sera réalisé avec trois instituts de recherche européens, n’est pas attendu avant avril. Un autre, réalisé par le bureau d’audit de l’ONU, doit enquêter sur le fond des allégations israéliennes.

Sollicitée par Mediapart, l’ancienne ministre ne dit rien du travail qu’elle mène actuellement. Mais elle tient à rappeler l’importance de l’agence onusienne sur place, alors que ses futures conclusions sont déjà mises en doute par certaines voix très hostiles à l’UNWRA — par exemple cet édito du Wall Street Journal.

« L’UNRWA, créée en 1949 dans les circonstances que l’on sait, ne serait plus au travail s’il y avait eu une solution politique, insiste-t-elle. Tous les États membres de la communauté internationale, y compris depuis qu’il y a une offensive médiatique contre l’UNRWA, estiment qu’elle joue un rôle irremplaçable. C’est une vérité première, partagée par tout le monde. »

Sauf par les dirigeants israéliens, bien décidés à rayer l’UNRWA de l’équation palestinienne.

Mathieu Magnaudeix

Gwenaëlle Lenoir a collaboré à cet article.


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