Extrême droite, fascisme : No deben pasar !

dimanche 24 mars 2024.
 

Dans le contexte géopolitique tendu d’aujourd’hui, on ne peut s’empêcher de penser à la phrase de Marx : « l’histoire se répète toujours, d’abord comme tragédie, puis comme farce ». Les Danois eux, ont un proverbe plus grinçant : « l’erreur est humaine, mais quand elle se répète, c’est de la bêtise ».

Revoir nos douloureuses crises mondiales ne peut manquer d’inquiéter et empêcher de penser à un tragique jeu des 7 ressemblances.

Pour décrypter ce jeu funeste nous utiliserons des cartes maîtresses : les archives allemandes de la Wilhelm Strasse, une interview inédite de Ramon Serrano Suner chef de la phalange, ministre des affaires étrangères (entre autres) et beau-frère de Franco, les mémoires et archives d’un banquier juif suédois Olof Aschberg célèbre en son temps, décrié et malmené dans la France des années 40, et pourtant encensé en Suède.

Il côtoya nombre de personnages clefs de la 2ème guerre mondiale (le commissaire du peuple aux affaires étrangères russes Litvinov, Jean Moulin, les ministres français Pierre Cot ou Mandel). Mieux, dès les années 30, il alerta les opinions contre cette montée des dangers. Comprendre nos erreurs du passé est vital pour éviter leur répétition.

1931 : 1er coup de semonce avec l’agression de la Chine par le Japon pourtant membre de la Société des Nations. La SDN est incapable de réagir correctement. Sa faiblesse encourage d’autres états aux dents longues à tenter leur chance.

1935 : l’Italie agresse un autre membre de la SDN, l’Ethiopie. Aucune réaction des puissances occidentales. Tout comme aujourd’hui à l’Est, des sanctions économiques sont prises, mais sans aucun effet, n’arrêtant nullement Mussolini...Arrêtent-elles Poutine ?

Les paroles d’un ministre d’Abyssinie au congrès du Rassemblement universel pour la paix à Bruxelles trouvent un étrange écho aujourd’hui : "je demande l’attention du congrès quant aux souffrances imposées à mon pays. Il a été sacrifié pour préserver la paix en Europe... J’affirme que si la violence vainc le droit, il n’y aura alors aucune paix dans le monde." Cela ne rappelle-t-il rien aujourd’hui ?

Aurait-on des doutes ? Cette cécité, cette passivité coupables ne sont pas passées inaperçues côté allemand. Les archives de la Wilhelm strasse datées du 28.12.38 ont de quoi se réjouir. Ribbentrop y confirme la passivité et responsabilité française : « Si l’Italie avait pu mener à bien l’entreprise abyssine, elle le devait au gouvernement français ... qui avait fait tout son possible pour émousser toute pointe dangereuse des sanctions. Du reste, la France avait dans l’intervalle... reconnu la souveraineté de l’Italie sur l’Ethiopie. »

Pourtant, des esprits lucides avaient dénoncé cette montée de tous les dangers. Quasiment inconnu, et pour le moins inattendu venant de l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, Roland Koester a un avertissement on ne peut plus clair dès 1933, cité dans les mémoires d’Olof Aschberg : « Personne ne voit quel malheur menace la France. Ici, les gens ne voient pas que l’Allemagne se prépare à la guerre et que la défaite française est évidente si aucune mesure n’est prise à temps. Les français croient dur comme fer en nos promesses de paix. Je suis totalement décontenancé devant cette ambiance qui règne dans ce pays, le manque de volonté et la déprime morale. On ne voit rien, on ne comprend rien, on ne fait rien... Si la guerre ne survient pas avant que nous ayons fini de nous équiper, la France perdra. »

Ce que le maréchal polonais Pilsusdki avait également demandé à la France en 1933, en vain. Aschberg souligne l’échec des forces démocratiques allemandes dans cette ascension nazie : « Ce qui avant tout joua en faveur d’Hitler [en 1935], c’est qu’en Allemagne, les forces démocratiques ne s’unirent jamais pour une résistance commune. »

Côté français, la situation n’est pas meilleure, en fait dès les années 30, le ver était déjà dans le fruit ; ce n’est pas sans rappeler d’étranges similitudes aujourd’hui. Les bonnes vieilles recettes marchent toujours.

En 1929 Gustave Hervé crée le parti national socialiste français et collabore avec les nazis. En 1933, il publie une constitution pour la France, copie conforme du modèle hitlérien et mussolinien, élaborée avec un proche de Pétain, Raphael Alibert, futur sous -secrétaire au conseil présidentiel, puis ministre de la justice. Détail non des moindres, Alibert était membre du comité France- Allemagne. Ce comité est créé en 1934 sur l’initiative d’Otto Abetz et de Friedrich Sieburg.

Pur hasard, ses membres dirigeants français réapparaîtront comme acteurs de 1er plan à Vichy. Tel Guignol, Abetz lui, ressurgira de sa boîte à malices avec bâton et uniforme comme ambassadeur du Reich, puis en officier de la SS. Cette infiltration s’étend profondément. Industries françaises et allemandes sont imbriquées, leurs intérêts convergent comme le souligne O. Aschberg : « plusieurs années avant le début de la guerre, la grande industrie française forme des cartels avec l’industrie allemande. L’industrie du fer et de l’acier sont particulièrement concernées. Le puissant comité des forges, le comité des houillères sont intimement associés à l’industrie chimique allemande. François de Wendel âme et président du comptoir de sidérurgie français avait de grands intérêts tant en France qu’en Allemagne. »

Les Allemands eux, concentraient leur action sur l’industrie française, la finance, les cercles militaires. La banque Worms fut bien représentée, ainsi avec Gabriel Leroy Ladurie trésorier du mouvement fasciste en France, ou encore Pierre Pucheu -aussi cagoulard-, organisateur de la gestapo française si zélé à remplir les camps qu’il fut surnommé « le boucher ».

Mais cette infiltration, cette gangrène s’insinuant dans tous les rouages du système français avaient d’autres répercussions comme le confirme Ramon Serrano Suner :

« -Question : en cas d’insurrection armée en France, l’Espagne aurait-elle aidé les groupes insurrectionnels contre le front populaire ?

- R.S.S : Oui, on les aurait aidés avec des armes... Après ce soulèvement la France aurait été la colonne vertébrale de cette nouvelle Europe..." Belle confirmation d’un des principaux acteurs : "la 5ème colonne, on y était tous. Tous ceux qui n’étaient pas communistes."

- Question : l’Espagne servait de refuge aux groupes d’extrême droite ?

- R.S.S. : oui

- Question : La phalange avait-elle des contacts avec des groupes français ?

- R.S.S. : Oui... La Phalange était en contact, en termes généraux, avec toute la droite française. »

1936 est une date charnière ; ce laboratoire en grandeur nature de l’axe totalitaire fut la confirmation que tout était permis. Les bonnes âmes n’y verront aucune ressemblance avec des situations existantes ou ayant existées...

Là encore, les démocraties firent preuve d’une cécité doublée d’une obstination aveugle en refusant leur aide aux républicains. Dans le meilleur des cas, elles chipotaient leur aide, ce qui rappelle le mégotage actuel en Ukraine, pourtant rempart des démocraties ; que de troublantes ressemblances : « en n’envoyant pas d’armes, nous courons le danger de compromettre la république espagnole, la sécurité de la France, et la démocratie européenne » (Pierre Cot 1944).

Aurions-nous oublié quel fut le prix à payer par la suite ?

Aschberg n’en doute pas : « Si les puissances occidentales avaient accepté à temps les perpétuelles demandes de Litvinov... contre l’agression fasciste, la situation aurait été toute autre. Si l’Espagne tout comme la Tchécoslovaquie à Munich n’avaient pas été sacrifiées, Hitler et Mussolini auraient pu très tôt être forcés à battre en retraite. »

Manipulation, entrisme, phénomènes modernes maîtrisés par la Russie ? Que nenni ! L’Allemagne nazie d’avant-guerre consacrait 200 millions de dollars mensuels pour sa propagande à l’étranger pour influencer tous ceux travaillant pour ses intérêts, n’hésitant pas à trahir leur propre pays (O. Aschberg 1947).

Une technique bien rôdée confirmée par les archives allemandes ; ainsi le 24.08.1938, l’ambassadeur allemand Welczeck parle d’un agent bien introduit dans les milieux du quai d’Orsay. Les Allemands pouvaient plastronner, un télégramme de Welczeck du 02.09.38, souligne la fascination qu’exerce le Führer sur les dirigeants français : « Bonnet a fait remarquer que lui-même, Daladier et d’autres membres du cabinet... comptaient parmi les admirateurs sincères du Führer...Bonnet n’avait pas de plus cher désir que de voir le Führer à Paris comme hôte du gouvernement. »

Ce qui arriva mais un peu différemment...

L’avenir de la démocratie était bien sombre tant la concordance de vues est forte. L’ambassadeur allemand Faupel cite : « une offre de Laval à Franco de collaborer contre le communisme... Laval déclare être en contact avec Doriot, chef du parti populaire français, le colonel de la Rocque des Croix de feu, et du maréchal Pétain. »

Comme l’explique en 1944 le ministre français de l’aviation Pierre Cot, la 2ème guerre aurait pu être évitée par une alliance franco-russe, ce qui manquait à la France en 1939 était le soutien de la Russie, cette aide était sine qua non pour la sécurité collective.

Nous avons là l’éternel dilemme d’une guerre sur 2 fronts qui avait joué en faveur de la France en 14, et que voulaient absolument éviter les Allemands.

La condamnation publique de l’alliance franco-russe par Pétain est un bon exemple de ces erreurs grossières commises pas si innocemment. Pourtant les avertissements ne manquèrent pas.

Déjà en 1937 O. Aschberg cite Litvinov : « Quand les Allemands seront prêts, ils s’engageront dans de nouvelles aventures et en viendront à se tourner vers nous, à Moscou, pour signer un pacte. » Ce que confirment les archives allemandes : « l’Allemagne était prête, le moment venu, à renouer avec la Russie soviétique ou non. » (secrétaire d’état Weizsacker, 28.02.1938)

P. Cot souligne pertinemment que le pacte franco-soviétique n’était plus viable, juste une feuille morte : « la Russie soviétique ne pouvait plus nourrir aucune illusion sur les véritables intentions de la politique française. Personne ne pouvait penser sérieusement que la France qui avait refusé d’aider la Tchécoslovaquie viendrait en aide à l’URSS si, de nouveau, l’Allemagne marchait sur l’Est. La politique de Bonnet [accord de Paris avec Ribbentrop d’une non intervention française à l’Est] avait clairement montré que la Russie ne pouvait plus compter sur la France. »

Une chose est sûre, comme le confirment les sources allemandes, à cette date, l’Allemagne n’était pas encore invincible, comme nous l’avons vu en 1933 avec l’ambassadeur Roland Koester, mais aussi chez les généraux allemands peu rassurés devant les plans d’agression d’Hitler révélés dans la 2ème moitié des années 30.

Ainsi Weizsacker : « même si nous avons le devoir de berner l’étranger, nous n’en avons pas moins celui de ne pas nous duper entre nous. Je ne croyais pas que nous gagnerions cette guerre ». Weizsacker 21.07.38.

Tout comme Poutine, Hitler annonce ses prochains passages à l’acte : réoccupation de la Rhénanie (36), Anschluss, invasion tchèque, etc. Le 5 Nov.1937... Hitler révèle à un Neurath inquiet (ministre des affaires étrangères), à Blomberg, et à Berck son intention de livrer à la France et à l’Angleterre une guerre d’extermination. Dans un procès-verbal du 10 Nov. 1937 à Berlin, Hitler dévoile ses plans de guerre de la Tchécoslovaquie, de l’Angleterre, de la France au Feldmarschall Von Blomberg, aux généraux Von Fritsch, Goering, au ministre des affaires étrangères Von Neurath. Chose confirmée le 26.11.1938 à Berlin par le général Keitel évoquant « une guerre Allemagne-Italie contre Angleterre-France, avec la défaite de la France comme objectif 1er ».

Tout était déjà concocté. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises, les archives allemandes nous révèle en date du 14.04.37 l’offre de Laval à Franco d’une collaboration contre le communisme. Mieux, preuve que le ver était déjà dans le fruit, l’infamie française se révèle déjà bien avant les rafles pétainistes : une note des affaires étrangères allemandes du 07.12.38 cite une conversation avec Bonnet sur la question juive : « Il [Bonnet] m’a dit tout l’intérêt qu’on avait en France à la solution du problème juif... On ne voulait plus accueillir les juifs qui venaient d’Allemagne... Il fallait se débarrasser en France de 10.000 juifs et les envoyer n’importe où. On songeait en fait à Madagascar."

Autre illustration de ce subtil diapason franco-allemand, le même ministre -Bonnet- ravit décidément la Wilhelm Strasse. Le porte-parole du Führer le Dr Paul Schmidt relate : « Mr Georges Bonnet s’est engagé en nov. 1938 au nom de son gouvernement... au moment de la signature du pacte de non-agression franco-allemand à laisser les mains libres à l’Allemagne à l’Est. »

Ribbentrop le cite encore favorablement : « Bonnet dit encore qu’il avait fait un geste important... en fermant les Pyrénées au passage du matériel de guerre. »

C’est de la collaboration avant l’heure ?

Jamais 2 sans 3, après l’abandon de l’Ethiopie, puis de l’Espagne, au tour de la Tchécoslovaquie. Les Allemands peuvent savourer la compréhension des démocraties. Un télégramme daté du 01.01.39 de l’ambassadeur allemand Welczeck est très instructif à ce sujet : « Dans la crise tchèque, il [Bonnet] avait soutenu dès le début que les prétentions allemandes sur les sudètes étaient justifiées, et qu’elles devaient être satisfaites. »

Les Allemands sont certains de bénéficier de la passivité occidentale, les démocraties fermeront les yeux : « La France ne ferait pas à l’Est de politique qui puisse gêner l’Allemagne. » L’opinion française n’est pas en reste : « Que nous importe la Tchécoslovaquie ?... Les Français doivent-ils se faire tuer pour le franc-maçon Benès ? » (Marseille matin).

Cette macabre montée des enchères n’est pas sans rappeler une autre proche de nous tout aussi insidieuse : cécité totale en Géorgie, Crimée, Donbass, et réveil brutal en 2022 avec « l’opération spéciale »...

Revenons en 40, avec le « bouquet » final, le 17.05.1940, Franco relate une conversation avec Pétain ambassadeur à Madrid : « ma patrie a été battue, on m’appelle pour faire la paix et signer l’armistice. » Il y pensait déjà avant même le retour aux affaires...Q u’on est loin de l’image du retour du sauveur nourrie par les Français !

Une autre perle de l’intoxication - ce que l’on appellerait aujourd’hui une fake-news- lors de la fuite du gouvernement français, le 13 juin à Tours le général Weygand crie au soulèvement communiste à Paris : « les chefs communistes ont pris l’Elysée ! » (In O. Aschberg 1947) Heureusement, le ministre de l’intérieur Mandel appelle Paris ; la ville est déserte, assoupie, la rumeur de soulèvement rouge est totalement fausse. Cette période voit éclore les pires abjections.

Le témoignage de Serrano Suner fait froid dans le dos.

« -Question : Franco a-t-il informé Pétain des intentions de l’Allemagne ? Les intentions militaires...

Ramon Serrano Suner : Oui

- Question : L’armistice de Pétain était-il une étape de la révolution nationale ?

- R.S. Suner : Oui ! »

Les ressemblances entre le conflit ukrainien et le 2ème conflit mondial ne se comptent plus : passivité, cécité, abandon des démocraties, leur infiltration et noyautage. Les abominations sont moins connues, mais combien réelles, on l’a vu, et récurrentes avec les projets de renversement d’alliances caressés par les conjurés allemands en 44.

Les USA étaient informés du projet d’attentat, et pas si réticents. Pétain n’était pas en reste : « Voyez... dans quelle mesure on pourrait tenter l’aventure d’une paix de compromis entre les allemands et anglo-américains de manière que l’ensemble du monde occidental se retourne contre les Soviets. »

Un projet de protocole avait même été élaboré et approuvé par Pétain. L’affaire était suivie depuis Bern par les USA en la personne d’Allan Dulles qui informa son gouvernement : « le groupe [de conjurés] n’agira que si les puissances de l’Ouest lui permettent sous une forme ou sous une autre, que dès les nazis liquidés, il pourra négocier directement avec les anglo- saxons ». Une conjuration vrai secret de Polichinelle, car l’Espagne aussi était au courant.

« -Question : les contacts extra officiels [en juillet 44] entre Laval et d’autres secteurs français ici à Madrid, était-ce une démarche de paix séparée ?

- R.S.Suner : mais bien sûr !

- Question : les industriels pensaient-ils que tout était perdu ?

- R.S.S : c’était la vérité. »

Remodeler les cartes n’est pas qu’un fantasme moscovite. A l’inverse des rêves d’expansion germanique, une autre vision est moins connue, celle de l’union latine.

Ramon Serrano Suner : « L’Espagne, la France, l’Italie, c’était notre illusion, notre idée, notre espoir. Cela aurait été une grande chose. Par une série de circonstances politiques, Pétain vint à incarner la grande espérance, la grande personnalité pour cette grande union [latine], cette union européenne où l’Espagne aurait occupé une grande place, comme la France. Il se serait entendu avec l’Allemagne nécessairement ; et alors, la France s’entendant avec l’Allemagne on aurait contrôlé le monde »

Aurait-on encore des doutes, toute ressemblance avec des faits existants, ne serait que pure coïncidence... Les démocraties l’ont oublié, la faiblesse, les reculades n’attirent aucunement le respect (Hitler fin août 39 : « nos ennemis sont de petits vermisseaux, je l’ai vu à Munich »).

Bien au contraire, elles aiguisent les appétits des prédateurs... Les années 30 clamèrent -un brin optimistes- « No Pasaran ». On avait sous estimé le danger, on s’était lourdement trompé au prix d’un conflit de 60 millions de morts : ils étaient passés. On ne peut nier ne pas savoir, le danger de mort pour les démocraties est connu : « ils ne doivent pas passer, No deben pasar ! »

Jacques Privat, ancien enseignant Paris 4


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