Bretagne : « Un climat de terreur jamais connu ici »… L’ultradroite sort du bois et montre les muscles

vendredi 22 mars 2024.
 

Depuis l’épisode de Callac, où un projet d’accueil de réfugiés a été abandonné début 2023 sous la pression de l’extrême droite, les actes violents et tentatives d’intimidations attribués à des groupuscules radicaux se multiplient dans la région

Eglise de Carnac

Le concert n’avait pas encore commencé quand ils avaient fait irruption, récitant des prières et proférant des « Arrière Satan ! » à qui s’approchait d’eux. Le 13 mai, une trentaine de membres du mouvement catholique intégriste Civitas avaient déboulé dans l’enceinte de l’église Saint-Cornély à Carnac (Morbihan), où devait se produire l’organiste américaine Kati Malone. Sous la pression de ces fanatiques « à la nuque bien dégagée », qui jugeaient le spectacle « profanatoire », le maire Olivier Lepick avait préféré l’annuler avant de déposer plainte, dénonçant des violences « de nature profondément totalitaire qui voudrait imposer à autrui des convictions radicales par la force. »

Dix mois plus tard, deux militants de Civitas, organisation officiellement dissoute cet automne, sont convoqués ce mercredi devant le tribunal judiciaire de Lorient pour entrave à la liberté d’expression et violence volontaire sur une élue, qui avait reçu une gifle dans les échauffourées. Loin d’être un acte isolé, cette opération coup de poing s’inscrit dans un contexte de montée globale des actions violentes et des tentatives d’intimidations attribuées à l’ultradroite ces derniers mois en Bretagne, une région jusque-là épargnée par ce phénomène. « C’est très grave de laisser s’installer ce climat de terreur que l’on n’a jamais connu par ici », alerte Sylvain du syndicat Solidaires 29.

Tentative d’incendie d’une mosquée, tracts néonazis…

Si grave que plusieurs organisations syndicales, politiques et associatives ont décidé de réagir en début d’année en créant « le collectif de riposte à l’extrême droite en Bretagne. » Il recense pour l’heure tous les actes racistes et xénophobes ainsi que les agressions et menaces imputables selon eux à l’ultradroite depuis un an et demi. Et la liste est longue : tentative d’incendie de la mosquée de Morlaix, perturbation d’un atelier de lecture pour enfants animé par des drag-queens, distribution de tracts néonazis dans les boîtes de lettres, attaque d’un festival antifasciste à Saint-Brieuc, menaces de mort visant des élus ou des journalistes…

Sans compter les innombrables tags régulièrement découverts sur les murs d’universités, de locaux syndicaux ou de bâtiments municipaux. « C’est devenu tristement banal et c’est dramatique », indique la députée insoumise des Côtes-d’Armor Murielle Lepvraud, pointant comme les autres membres du collectif « le rôle central » joué par des sites comme Riposte Laïque ou Breizh Info « dans la propagation de la haine en ligne. »

« La bataille de Callac » comme élément déclencheur

Le point de départ de cette vague de violence touchant la région où le vote d’extrême droite est le plus faible du pays, bien qu’il progresse à chaque élection, se situe dans le centre Bretagne. A Callac plus précisément, petite bourgade rurale des Côtes-d’Armor d’un peu plus de 2.000 âmes. Comme à Saint-Brévin-les-Pins, c’est l’annonce de l’ouverture d’un lieu d’accueil pour les réfugiés qui a mis le feu aux poudres. A l’automne 2022, le paisible bourg breton a ainsi été plongé dans une ambiance délétère avec deux manifestations orchestrées par l’extrême droite, notamment par le parti Reconquête d’Éric Zemmour.

Plusieurs élus locaux, à commencer par le maire, ont également été la cible de menaces ou d’intimidations. A tel point que Jean-Yves Rolland, maire divers gauche de Callac a préféré jeter l’éponge en janvier 2023. Initiateur du projet Horizon, le fonds de dotation Merci avait alors dénoncé « une campagne nauséabonde aux relents racistes et antisémites » de la part « de groupes et de médias d’extrême droite visant à diviser la population et à déstabiliser le conseil municipal. »

Pas bien nombreux mais actifs et bruyants

Erwan Chartier-Le Floch se souvient très bien de cette « bataille de Callac » qui a laissé des traces dans la commune. Rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Poher, le journaliste a d’ailleurs reçu des menaces de mort émanant de groupuscules d’extrême droite à cette période avant que les locaux du journal basé à Carhaix ne soient visés par une alerte à la bombe. « On n’a vraiment pris cet épisode en pleine figure ici car personne n’était préparé ni habitué à un tel déferlement de haine et d’injures », indique Erwan Chartier-Le Floch, qui a retranscrit ses événements dans un livre Callac de Bretagne ou les obsessions de l’extrême droite française publié l’an dernier.

Et selon lui, l’abandon du projet a sonné comme « une victoire symbolique » pour la mouvance d’extrême droite en Bretagne. Avec dans son sein des groupuscules comme An Tour-Tan à Vannes ou L’Oriflamme à Rennes dont les rangs ne sont certes pas bien fournis mais qui se montrent désormais actifs et bruyants sur cette terre qui leur a longtemps été hostile. Et inquiètent les autorités. « Longtemps préservée des idées nauséabondes véhiculées par les nostalgiques du IIIe Reich, les racistes et les antisémites, la Bretagne n’est malheureusement plus épargnée », déplorait ainsi cet été dans Ouest-France le préfet des Côtes-d’Armor Stéphane Rouvé lors d’un déplacement sur un haut lieu de la Résistance profané quelques jours plus tôt.

« Mais si l’extrême droite joue du coup de poing, nous n’avons pas l’intention de nous laisser faire et puisque nous sommes en démocratie, nous avons bien l’intention de la défendre », prévient Sylvain de Solidaires 29.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message