Financement public de l’enseignement privé : "le manque de contrôle autorise, rend possible des fraudes, des détournements de fonds"

dimanche 14 avril 2024.
 

Corapporteur d’un rapport sur le sujet, Paul Vannier (député LFI) dénonce une opacité et "une démission des pouvoirs publics" : "Personne n’est capable de nous dire quel est le montant total de la dépense publique qui est consacré à ces établissements privés sous contrat".

"Il y a une opacité, une forme d’omerta, presque un tabou en France", a dénoncé mardi 2 avril sur franceinfo Paul Vannier, député La France Insoumise du Val-d’Oise, corapporteur de la mission parlementaire sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat. En France, un enfant élève sur six est scolarisé dans le privé sous contrat. Le député LFI et son collègue Renaissance Christopher Weissberg rendent leur rapport mardi.

Paul Vannier a dénoncé des "dérives" et un manque de contrôle de ce financement. "C’est la faute du gouvernement, il y a une défaillance qui est majeure, qui est identifiée", a-t-il affirmé. Selon lui, les milliards de l’État "subventionnent des mécanismes de ségrégation scolaire". Le député LFI propose d’ailleurs de "pénaliser les établissements privés qui contribuent à la ségrégation en leur retirant certains moyens".

Franceinfo : Quelles sont ces dérives ?

Paul Vannier : Personne n’est capable de nous dire quel est le montant total de la dépense publique qui est consacré à ces établissements privés sous contrat. Il y a une opacité, il y a une forme d’omerta. Il y a presque un tabou en France sur ce sujet.

Pourtant, dans le rapport, l’Éducation nationale donne des chiffres : 13,8 milliards d’euros en 2022 dépensés pour l’enseignement privé, 10,4 milliards au total d’argent public. Ils ne sont pas assez précis ?

On a des chiffres qui s’approchent, mais il y a beaucoup de dépenses qui ne sont pas prises en compte, d’autres qui sont sous-estimées. Ce sont des centaines et des centaines de millions d’euros qui ne sont pas intégrés dans le calcul.

Le contrôle financier des établissements, qui est, en principe, prévu par le code de l’éducation, n’est pas assuré. Il faudrait aujourd’hui 1 500 ans pour que tous les établissements privés sous contrat soient audités et qu’on puisse tracer l’usage des fonds publics pour voir s’il correspond véritablement à ce qui est prévu par les textes.

D’où vient ce manque de contrôle ? Avez-vous constaté des fraudes ?

C’est la faute du gouvernement. Il y a une défaillance qui est majeure, qui est identifiée, qui est connue par manque de moyens, mais aussi par absence de volonté. Ce manque de contrôle autorise, rend possible des fraudes, des détournements de fonds.

Des heures d’enseignement qui sont déclarées, qui sont payées sur fonds publics, mais qui ne sont pas assurées. Le détournement du forfait communal, c’est une contribution qui est versée par les communes et qui peut servir à financer des dépenses qui sont interdites par la loi. On peut penser que ce forfait communal finance de l’investissement, ce que la loi précisément interdit. Beaucoup d’acteurs nous ont décrit ces phénomènes, mais, dans le cadre de notre mission, nous n’avons pas pu vérifier leur ampleur. Une seule chose est certaine : le système hors de contrôle, comme il l’est aujourd’hui, rend systématiquement possibles ces dérives.

Que demandez-vous au gouvernement ?

L’Enseignement privé est divers, très hétérogène, mais il faut aujourd’hui revoir profondément les modalités de son financement parce que ces milliards d’euros d’argent public, 10, 11, 12 milliards peut-être, subventionnent au fond, des mécanismes de ségrégation scolaire qui n’ont jamais été aussi prononcés dans notre pays.

À quoi est liée cette ségrégation ?

C’est lié à une dynamique qui conduit les établissements privés à accueillir les élèves issus des milieux les plus favorisés. La Cour des comptes dit qu’entre 2000 et aujourd’hui, la part des élèves issus des CSP les plus favorisées est passée de 20% à 40% et que la ségrégation s’est beaucoup aggravée. Aujourd’hui, elle est généralisée. Même des régions comme la Bretagne, par exemple, qui échappaient jusqu’ici à ce type de dynamique, sont concernées. Il faut agir. On est à une forme de croisée des chemins. Si rien n’est fait, on peut avoir un système à deux vitesses qui s’installe définitivement. Je propose, par exemple, d’introduire un système de malus pour pénaliser les établissements privés qui contribuent à la ségrégation en leur retirant certains moyens.

Vous proposez personnellement une pénalité financière pour l’établissement qui évince un élève en difficulté. Pourquoi ?

Je pense aussi aux élèves de ces établissements, aux familles qui scolarisent des enfants dans les établissements privés. Certains de ces établissements, pas tous, pratiquent l’éviction, l’élimination des élèves les plus en difficulté pour afficher notamment des taux de réussite au diplôme, au baccalauréat et au brevet. De ce point de vue là, il y a un mauvais usage de l’argent public. Ces établissements sont financés à plus de 75% sur fonds publics et lorsqu’ils se débarrassent d’élèves en difficulté, ils ne font pas leur travail. Ils doivent être pénalisés pour cela.

Avez-vous des exemples d’établissements scolaires qui ne respectent pas le contrat ?

Le collège Stanislas, c’est absolument édifiant, le célèbre établissement parisien qui scolarise des enfants de ministres. Littéralement, cet établissement piétine son contrat et piétine la loi Debré. Il y a un rapport de l’inspection générale qui nous dit qu’au collège Stanislas, la liberté de conscience des élèves n’est pas respectée. Ce qu’on constate, c’est que le préfet ne s’est pas saisi de cette situation alors que l’Inspection générale dit que le contrat n’est pas respecté. Pourtant, il est maintenu et les financements publics continuent à être versés. On peut vraiment s’interroger aujourd’hui sur la valeur de ces contrats. La Cour des comptes, d’ailleurs, nous dit que dans 21% des cas, les établissements ne disposent plus du tout du contrat. Il a littéralement disparu. Personne ne l’a, parce qu’ils sont anciens. Ils ont été passés dans les années 1950. Ni l’établissement, ni l’Éducation nationale n’en disposent. Et pourtant, les fonds publics continuent de tomber chaque année dans les caisses de l’établissement. C’est une situation qui me paraît très anormale.

Il faut revoir la loi Débré qui date des années 1950 ?

Il faut maintenir un système qui permet à des établissements privés d’être contractualisés. Mais il faut revoir le mode de financement pour introduire au fond des logiques de transparence, de démocratie, de justice et d’égalité dans le système.

Vous voulez rallumer la guerre scolaire ?

La guerre scolaire n’existe pas. Il y a par contre une démission des pouvoirs publics à faire leur travail, à contrôler, à poser des contreparties aux établissements privés sous contrat. Il y a une explosion des inégalités, un effondrement de l’école publique. C’est à ça qu’il faut répondre urgemment aujourd’hui, si l’on veut faire de la cohésion sociale, si on veut avoir à l’esprit le devenir de notre pays.


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