L’armée israélienne bombarde Rafah, malgré les cris d’alarme

dimanche 12 mai 2024.
 

La situation continue de se détériorer à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, où Israël a lancé son offensive terrestre alors que près d’un million et demi de déplacés y ont trouvé refuge. Pour marquer leur inquiétude, les États-Unis ont suspendu une livraison d’armes.

Une partie du monde retient son souffle, mercredi 8 mai, alors que l’armée israélienne a déployé mardi des chars dans la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, et a également pris le contrôle du point de passage à la frontière avec l’Égypte – un lieu de passage stratégique, où transite l’aide humanitaire en direction des déplacé·es internes gazaoui·es, dont le nombre dépasse le million à Rafah.

Benyamin Nétanyahou a décidé de lancer, presque contre tous, son offensive sur cette ville refuge, au prétexte de vouloir fermer les vannes au Hamas, qui s’approvisionnerait en armes via cette zone. Les États-Unis, qui jusque-là maintenaient leur soutien inconditionnel à la politique d’Israël – sauf début avril, lorsque Joe Biden a fait savoir son agacement auprès du premier ministre israélien, de sorte que l’accès humanitaire soit ouvert à l’heure où la famine gagnait la bande de Gaza –, ont durci le ton et ont évoqué des « discussions en cours » avec Israël.

Cette nuit, Washington a fait savoir qu’une livraison d’armes avait été suspendue, pour marquer ses « inquiétudes » quant à l’offensive lancée à Rafah. « Nous avons suspendu la livraison d’une cargaison d’armes la semaine dernière. Elle se compose de 1 800 bombes de 2 000 livres et de 1 700 bombes de 500 livres », a déclaré un haut responsable de l’administration du président américain, cité par l’AFP.

L’armée israélienne à Rafah bombarde le sud de Gaza, le 8 mai 2024. © Mostafa ALKHAROUF / Anadolu via AFP

Selon cette même source, les États-Unis auraient commencé à remettre en cause leurs livraisons d’armes en direction d’Israël dès que l’idée d’une offensive d’ampleur à Gaza aurait émergé, soit « début avril » : « Nous avons [alors] commencé à examiner attentivement les propositions de transfert d’armes qui pourraient être utilisées à Rafah », poursuit-elle.

Sous la pression, Israël rouvre les portes de Kerem Shalom « Ce cynisme de la part des diplomaties occidentales, qui consiste à dire “on n’est pas d’accord” tout en continuant d’alimenter en armes les opérations militaires qui engendrent ces massacres est scandaleux et intolérable. Cela jette le discrédit sur les gouvernances internationales », a souligné Jean-François Corty, membre de l’ONG Médecins du monde et chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), interrogé par BFMTV ce mercredi, après l’annonce de la suspension de livraisons d’armes dans la presse.

Selon Politico, la publication du rapport de l’administration Biden visant à savoir si Israël a violé le droit humanitaire américain et international depuis les attaques du Hamas le 7 octobre et la riposte israélienne dans la bande de Gaza, qui était attendue ce mercredi, a été retardée sans davantage d’explications, et sans nouvelle date de diffusion. Les livraisons d’armes depuis les États-Unis vers Israël pourraient être interrogées selon les conclusions du document.

La prise de contrôle du point de passage à la frontière avec l’Égypte et la fermeture des deux points d’accès à l’aide humanitaire de Rafah et Kerem Shalom ont par ailleurs été jugées « inacceptables » par les États-Unis. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a de son côté estimé que la fermeture de ces points de passage était « particulièrement préjudiciable à une situation humanitaire déjà désastreuse » et qu’ils devaient « être rouverts immédiatement ».

Face à la réaction des Américains – c’est sans doute la seule qui compte encore aujourd’hui –, Israël a voulu rassurer, selon un porte-parole de la Maison Blanche, et a évoqué une opération « limitée » dans la durée mais aussi dans son ampleur. Israël a également annoncé avoir rouvert les portes de Kerem Shalom pour permettre à l’aide humanitaire d’entrer à Gaza, malgré l’offensive terrestre à Rafah.

« Des camions en provenance d’Égypte et transportant de l’aide humanitaire, notamment de la nourriture, de l’eau, des abris, des médicaments et du matériel médical donné par la communauté internationale, arrivent déjà au point de passage », a très vite indiqué Tsahal dans un communiqué. Les cargaisons devront d’abord être inspectées avant de pouvoir pénétrer la bande de Gaza.

Si Benyamin Nétanyahou a affirmé, à l’occasion de la journée de commémoration de l’Holocauste dimanche 5 mai, vouloir assumer de continuer à « frapper puissamment [ses] ennemis », même si l’État d’Israël était « contraint de se retrouver seul » contre tous, force est de constater que les réactions critiques envers son offensive le contraignent à faire quelques « réajustements ». Sans toutefois renoncer au pire.

Des bombardements à Rafah Car les intentions d’Israël restent malgré tout très claires : « Nous ne stopperons pas nos opérations à Rafah jusqu’à ce que le Hamas soit détruit ou que le premier otage rentre chez lui », a prévenu mardi soir le ministre de la défense Yoav Gallant.

Dès mercredi matin, le Qatar a appelé la communauté internationale à mener une « action urgente » pour permettre d’empêcher que la ville de Rafah « ne soit envahie » et qu’un « crime de génocide » ne soit commis. Le pays joue un rôle primordial dans les négociations visant à permettre un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas (ce dernier a donné son accord à une proposition lundi, sans empêcher l’incursion de Tsahal à Rafah).

L’Union africaine n’a pas tardé à réagir également, condamnant « avec fermeté l’extension de cette guerre au passage de Rafah, unique couloir pour l’aide humanitaire ». Elle appelle « l’ensemble de la communauté internationale à coordonner efficacement l’action collective pour stopper cette escalade meurtrière ».

© Ramy Abdu| رامي عبده

En fin de matinée mercredi, Tsahal a annoncé sur sa chaîne Telegram mener une « opération antiterroriste précise », dans « des zones spécifiques » à l’est de Rafah. « Des terroristes sont éliminés et des puits souterrains et des infrastructures [du Hamas – ndlr] ont été localisés à différents endroits », a-t-elle déclaré.

Dans l’après-midi, l’activiste palestinien Ramy Abdu, président de l’ONG Euro-Med Human Rights Monitor, partageait une vidéo montrant l’armée israélienne en train de bombarder Rafah. « Les chars de l’armée israélienne bombardent les maisons des civils dans la ville de Rafah », a-t-il accusé.

Depuis plusieurs jours, le monde humanitaire ne cesse d’alerter sur les risques d’une telle opération militaire, dans une zone où se trouvent en très grande majorité des civils, dont des personnes vulnérables comme les femmes et les enfants.

Médecins du monde a fait le choix d’interpeller le président français Emmanuel Macron sur les réseaux sociaux ce mercredi, soulignant que des milliers de personnes avaient été déplacées de force et que l’armée israélienne s’était emparée du principal point d’acheminement de l’aide d’humanitaire.

« Nos ONG se préparent au pire », a-t-elle alerté. L’ONG World Central Kitchen, dont plusieurs humanitaires avaient été tués par les bombardements israéliens alors qu’ils se trouvaient en mission à Gaza début avril, a annoncé sur X que l’ordre d’évacuation donné par Israël avait contraint plusieurs cuisines à suspendre leurs activités au niveau local ce mercredi.

Médecins sans frontières a annoncé avoir laissé sortir plusieurs patients de l’hôpital indonésien de Rafah, en prévision d’une éventuelle évacuation, déplorant des « conditions de vie déjà extrêmement précaires » et une situation qui « ne fera qu’empirer » dans ce contexte.

« Il n’y a aucun endroit sûr où aller pour les 600 000 enfants de Rafah », avertissait déjà l’Unicef dans un communiqué dès lundi, soulignant que nombre d’entre eux étaient « au seuil de la survie », « blessés, malades, mal nourris et traumatisés », ou en situation de handicap.

Nejma Brahim

• MEDIAPART. 8 mai 2024 à 18h34 :


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