La société française se droitise-t-elle ?

jeudi 27 décembre 2007.
Source : Gauche Avenir
 

Ces dernières années, le courant social-libéral du PS et des cadres du PC ont théorisé une droitisation de la société pour expliquer certains échecs électoraux.

Ce point de vue connaît une nouvelle vigueur depuis les élections présidentielles puis législatives de 2007.

A titre personnel, je ne suis absolument pas d’accord. Je crois au contraire que nous sommes dans une phase de montée de lutte qui ne s’est pas encore traduite par une conscientisation politique supérieure parce qu’elle n’a pas rencontré de force politique en qui se reconnaître.

Ceci dit, ce texte mérite d’être connu, ne serait-ce que pour connaître ses arguments.

Jacques Serieys

Même si nous ne sommes pas d’

Éric Dupin au travers de son dernier livre « À droite toute » décrit la droitisation de la société française. Il s’appuie pour cela sur les deux principaux protagonistes de la dernière campagne présidentielle française, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy.

La thèse de la droitisation de la société semble utile et pertinente pour expliquer le déclin de certaines organisations, politiques comme le PC (voir les travaux de Claude Cabane à ce sujet) ou syndicales comme la CGT.

Au sein du Parti Socialiste, cette droitisation est même devenue un véritable enjeu. Tout d’abord pour l’aile sociale-démocrate qui l’utilise pour justifier la « nécessaire » adaptation du socialisme aux réalités de la société et ensuite pour la gauche du Parti Socialiste qui combat cette thèse pour défendre un socialisme plus radical.

Pour Éric Dupin il existe des facteurs lourds de droitisation :

● L’hyperindividualisme

L’individu se croyant totalement libre du collectif et émancipé de toute contrainte, il devient manipulable pour la droite et dangereux pour la gauche.

● Le consumérisme

Toute activité est considérée d’un point de vue économique.

● Une société en proie à la peur

Le vieillissement de la société est l’une des explications cet accroissement de la peur bien qu’il n’en soit pas la seule explication. La peur est devenue un vaste marché que l’on entretient et que rentabilise. Ainsi l’angoisse sociale autrefois apanage de la gauche, a été fortement captée par Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle de 2007. Cette angoisse sociale a été fortement aggravée ces dernières années par les effets de la mondialisation.

● La peoplisation de la politique

Les électeurs sont de plus en plus attirés par l’accessoire, et n’ont plus d’intérêt que pour la vie privée des hommes politiques. Ainsi faire la couverture de Paris Match ou de Voici est bien plus porteur que de faire la une du Monde ou de Libération.

Éric Dupin analyse ensuite les différents types de réponses qui sont apportées à ce phénomène :

● Nier la droitisation de la société

La France serait à gauche et n’aurait élu un président de droite qu’à cause de la faiblesse des dirigeants de gauche, et à leurs faiblesses durant les mouvements sociaux.

Ainsi l’élection présidentielle de 2007 était imperdable pour la gauche, ce qu’Éric Dupin réfute ajoutant qu’aucun candidat n’aurait pu améliorer le score obtenu par la candidate socialiste au second tour de cette élection. De fait, Éric Dupin se réfère à la campagne présidentielle de Mitterrand en 1981, pour expliquer qu’une campagne se gagne sur une adhésion forte à des idées plus que sur le rejet d’une personne ou d’une idéologie, ce qui a été le cas durant la campagne de 2007.

● Se plier à la droitisation

Pour Michel Rocard, « aucune réforme n’est légitime lorsqu’elle n’est pas approuvée par l’opinion. ». Il s’agit d’une vision fataliste de la politique, d’une abdication idéologique, comme cela a été le cas lors de la dernière campagne présidentielle à propos des questions de redistribution. L’allergie fiscale que l’on constate même chez des personnes de gauche, fait qu’aujourd’hui les questions fiscales sont devenues taboues à gauche.

Faut-il pour autant prendre acte de ce fatalisme, ou alors le dépasser afin de ne pas subir ce phénomène de droitisation ?

Éric Dupin annonce ainsi quelques pistes à explorer :

● Analyser de façon très précise le rapport idéologique Cette analyse doit notamment s’attarder sur les classes populaires, premières « victimes » de la droitisation de la société. Ainsi Nicolas Sarkozy lors de l’élection présidentielle de 2007, fait jeu égal avec Ségolène Royal dans les classes populaires. Plus révélatrices encore, les conclusions d’une enquête CEVIPOF de 2006 qui révèle que 61% des ouvriers pensent qu’il faut donner plus de libertés aux entreprises et que 66% d’entre eux pensent que les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient.

Le succès invraisemblable de la thématique « travailler plus pour gagner plus », qui sous-entend que ceux qui ne gagnent pas assez ne travaillent pas assez, est révélateur d’une importante évolution dans les représentations de la société que se font les classes populaires.

Il est difficile de reprocher aux classes populaires qui ont perdu espoir dans l’émancipation collective (du fait de la déliquescence des syndicats et de l’absence de réponse politique à leurs problèmes) de privilégier des stratégies individuelles. Ces stratégies individuelles sont visibles au niveau du logement, où la « mixité sociale » est refusée par toutes les catégories sociales.

● Explorer les résistances à la droitisation

Deux événements ont illustré cette résistance, le rejet par la France du Traité Constitutionnel Européen, et la mobilisation nationale contre le CPE. Si le rapport de force entre la gauche et la droite est déséquilibré, il arrive qu’il soit renversé par certaines mobilisations.

Cependant il faut être attentif à ne pas faire de ce genre de victoires un but en soi, ces victoires illustrant une stratégie uniquement défensive.

● Refonder la Gauche

La stratégie « un discours une stratégie » a fait le succès des années 1970 et 1980 pour la gauche. La situation n’étant plus la même, la question du discours doit être approfondie, à l’aide de deux voies contradictoires selon Éric Dupin :

-une expertise critique et pragmatique sur les questions importantes

-une réflexion théorique sur la critique du capitalisme, reformulée, pouvant trouver ses bases dans certaines écoles de sciences humaines comme le mouvement anti-utilitariste qui formule une critique philosophique et anthropologique du capitalisme.

L’articulation entre les deux voies nécessitera un travail de fonds important afin d’éviter le « mollétisme », un trop grand fossé entre les discours et entre les actes. Le Parti Socialiste ne peut plus produire de synthèse à court terme, tant que des questions fondamentales ne seront pas tranchées, comme le marché, la redistribution, l’individualisme, etc.

L’objectif pour la gauche n’est pas de revenir au pouvoir à tout prix mais d’y revenir au terme d’une réflexion à laquelle les Français adhéreraient. La gauche doit revenir au pouvoir avec un outillage capable d’en faire une réelle force alternative.

Sans doute faut-il prendre exemple du mouvement ouvrier de la fin du XIX° siècle, et de ces hommes qui s’engageaient dans ce mouvement non pour devenir conseiller général dans les 6 mois suivant leur engagement, mais parce qu’ils désiraient changer la société non seulement pour eux mais surtout pour leurs enfants.


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