Mettre fin au massacre « à la Srebrenica » à Rafah et imposer un cessez-le-feu

mardi 4 juin 2024.
 

Votre Excellence,

Nous, directeurs généraux des organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme, Al-Haq, Centre Al Mezan pour les droits de l’homme et le Centre palestinien pour les droits de l’homme, vous écrivons pour vous exhorter à intervenir immédiatement pour mettre fin à l’attaque israélienne contre Rafah à Gaza, la plus récente manifestation du génocide israélien contre la population palestinienne à Gaza qui dure désormais depuis 213 jours consécutifs.

Ce matin du 6 mai 2024, les avions de combat israéliens ont largué des tracts ordonnant à des centaines de milliers de Palestiniens et de Palestiniennes de l’est de Rafah – la grande majorité étant des personnes déplacées à l’intérieur du pays dont beaucoup ont déjà été contraintes de déménager à plusieurs reprises – d’évacuer la zone. Moins de 15 heures plus tard, sans que les familles aient eu le temps d’exécuter l’ordre, Israël a commencé son bombardement aérien sur Rafah. Nos organisations avaient déjà alerté à plusieurs reprises la communauté internationale des conséquences dévastatrices d’une telle invasion terrestre. Il est alarmant de constater que ce dernier ordre d’évacuation concerne les zones où se trouvent les points de passage de Karem Abu Salem et de Rafah — la bouée de sauvetage pour plus de deux millions de Palestinien-ne-s — ainsi que l’hôpital Abu Yousef Al-Najjar, le principal établissement médical du gouvernorat de Rafah.

La population du gouvernorat de Rafah a presque sextuplé, passant de 275 000 habitant-e-s à plus de 1,5 million au cours des sept derniers mois. Abritant désormais environ les trois quarts de la population de Gaza, certaines parties de Rafah (les quartiers d’Al-Shaboura, Tal Al-Sultan et Al-Zohour) sont considérées comme les dernières « zones de sécurité » à Gaza. Malgré cela Israël a déjà bombardé Rafah à plusieurs reprises depuis qu’il a émis des ordres d’évacuation exigeant que les habitant-e-s s’y réfugient. Plus récemment, et selon les informations dont disposent nos chercheurs et chercheuses sur le terrain, depuis la soirée du 5 mai jusqu’aux petites heures du 6, des avions de guerre israéliens ont directement ciblé dix maisons ainsi que des terres agricoles dans différentes zones de Rafah. Ces attaques ont tué 28 Palestiniens, dont 11 enfants et huit femmes ; d’autres personnes ont été blessées ou portées disparues sous les décombres.

Des rapports émergent selon lesquels les Forces d’occupation israéliennes (FOI) auraient acheté des milliers de tentes pour accueillir les personnes qui seront déplacées à la suite de l’invasion terrestre de Rafah. La semaine dernière, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a renouvelé sa promesse d’envahir Rafah « avec ou sans » un accord de cessez-le-feu. La mise en œuvre de ce projet devenant chaque jour plus imminente, nous soulignons qu’il ne reste aucune option viable à la population de Rafah. La zone d’Al-Mawasi à Khan Younis – une autre « zone de sécurité » présumée — est l’endroit vers où la population a reçu l’ordre de fuir. Cependant, cette prétendue « zone de sécurité » a également été soumise à plusieurs reprises à des frappes aériennes, y compris la semaine dernière. Par ailleurs, la région d’Al-Mawasi souffre déjà d’une surpopulation extrême et du manque des installations WASH (eau, assainissement et santé), essentielles à la prévention des infections et de la propagation rapide des maladies. Les gens n’ont nulle part où aller, tout comme nulle part n’est sûr dans l’ensemble de la bande de Gaza.

Soyons clairs, une invasion de Rafah ne ressemblerait à rien de ce que nous avons vu jusqu’à présent. Nos organisations sont profondément préoccupées par le fait qu’Israël, dans le cadre de projets qui rappellent ceux de Srebrenica (Bosnie-Herzégovine, juillet 1995), continuera, comme c’est son habitude, à séparer les hommes d’avec les femmes et les enfants, une fois la population en route sur les soi-disant « itinéraires sûrs », et par les intentions d’Israël, selon nos informations, d’empêcher les hommes palestiniens de quitter Rafah.

Une invasion terrestre israélienne à Rafah précipiterait l’effondrement total d’une infrastructure d’aide humanitaire déjà précaire. Ce canal vital de sauvetage, systématiquement obstrué par Israël, passe principalement par les postes frontières situés dans les zones sud-est de Rafah : une à la frontière de Rafah avec l’Egypte et l’autre, Karem Abu Salem, sous contrôle israélien. En outre, les efforts indispensables et salvateurs des agences humanitaires, déjà sous l’assaut incessant d’Israël, devront faire face à des défis encore plus redoutables.

Cette situation périlleuse augmente le risque d’une famine d’origine humaine dans le sud de Gaza, faisant écho à la « famine généralisée » qui a déjà ravagé le nord de la bande, selon l’évaluation du Programme alimentaire mondial (World Food Program).

Nos organisations soulignent la nécessité urgente d’une intervention internationale pour mettre immédiatement fin à l’invasion terrestre de Rafah, garantir le retour dans leurs foyers de la population palestinienne déplacée, et la mise à disposition sans entrave des services de base et de l’aide humanitaire dont ils ont un besoin urgent – de la nourriture, de l’eau, de l’électricité, du carburant, des abris, des vêtements, tout ce qu’il faut pour assurer l’hygiène et l’assainissement, ainsi que des fournitures médicales et des soins médicaux — aux Palestiniens et Palestiniennes dans toute la bande de Gaza.

La Cour internationale de Justice (CIJ) a déclaré à deux reprises la nécessité de prévenir un génocide, une obligation erga omnes de tous les États signataires de la Convention sur le génocide, une obligation qui est cependant constamment bafouée par des États qui continuent d’armer et de soutenir financièrement le régime génocidaire d’Israël avec son colonialisme de peuplement et son système d’apartheid. Nos organisations demandent de toute urgence aux États de cesser immédiatement tout soutien militaire à Israël et de préciser clairement que les attaques contre Rafah doivent donner lieu à une réponse unifiée et tangible. Ceci implique un embargo bilatéral sur les armes, des sanctions économiques, y compris le gel des avoirs de tous les responsables du gouvernement et de l’armée israéliens, ainsi que des interdictions de voyager et le désinvestissement de toutes les activités israéliennes dans le territoire palestinien occupé (TPO).

Afin de faire comprendre aux dirigeants israéliens que l’impunité dont ils jouissent depuis longtemps a désormais pris fin, les États doivent soutenir publiquement les procédures de l’Afrique du Sud devant la CIJ. En outre, et alors que nous poursuivons notre travail pour garantir l’émission par la Cour pénale internationale (CPI) des mandats d’arrêt tant attendus contre les responsables et les auteurs de crime israéliens, nous appelons les États parties au Statut de Rome de la CPI à renvoyer d’urgence la situation à la Cour et à soutenir le Bureau du Procureur dans son enquête. Cela inclut le partage d’informations pertinentes, la coopération dans la remise de mandats d’arrêt, et des contributions financières à la Cour et au Fonds au profit des victimes afin d’assurer que l’on puisse encore vivre à Gaza.

Enfin, la communauté internationale dans son ensemble doit œuvrer activement et de manière significative à mettre fin à l’occupation illégale des territoires palestiniens par Israël et au démantèlement du régime d’apartheid colonial qu’il inflige au peuple palestinien. Le processus qui consiste à vider Gaza de sa population ainsi que la destruction de la vie et de la culture palestinienne sont autant de manifestations de la Nakba en cours. Tout comme la communauté internationale restait à l’époque les bras croisés, fait-elle de même aujourd’hui. Les condamnations du bout des lèvres des dirigeants du monde ont le même effet que le silence. Ce qui s’impose, c’est l’action.

Le génocide en cours à Gaza est un rappel brutal de la dure réalité des effets d’une l’impunité sans bornes et du monde crépusculaire dans lequel elle nous plonge. Nous implorons votre État d’intervenir immédiatement par tous les moyens disponibles pour prévenir de nouvelles atrocités et des souffrances injustes et injustifiables à Rafah et pour garantir que des mesures immédiates soient prises pour faire respecter un cessez-le-feu. Nous exhortons les États à agir de manière décisive, conformément à leurs obligations erga omnes de mettre fin au génocide. Après sept mois de génocide retransmis en direct, le peuple palestinien de Gaza en a assez et ses souffrances doivent cesser.

Cordialement,

Shawan Jabarin,

Issam Younis

Raji Sourani


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