Fichage S : Quand l’anti-antifascisme diabolise la gauche

vendredi 28 juin 2024.
 

En pleine campagne législative, alors que l’extrême droite frôle les portes du pouvoir, l’union de la gauche se retrouve sous le feu des critiques médiatiques pour avoir présenté Raphaël Arnault, un « candidat fiché S ». Que révèle cette accusation sur l’état actuel de notre paysage politique ?

En pleine campagne législative, alors que l’extrême droite frôle les portes du pouvoir, l’union de la gauche se retrouve sous le feu des critiques médiatiques pour avoir présenté Raphaël Arnault, un « candidat fiché S ».

Militant antifasciste Arnault devient le bouc émissaire idéal pour disqualifier l’ensemble de la gauche, dont l’union incarne le dernier rempart contre une prise de pouvoir du fascisme par les urnes. Mais que révèle cette accusation sur l’état actuel de notre paysage politique ? Et quelle est ma perspective en tant que féministe engagée contre les violences sexistes et sexuelles ?

Pour rappel, être fiché S signifie figurer dans un fichier de surveillance des services de renseignement français, qui recense les individus perçus comme potentiellement menaçants pour la sécurité publique. Ce fichier est de nature préventive, il ne constitue en aucun cas une preuve de culpabilité ou une condamnation, de plus ce fichier est basé sur des critères obscurs, qui ne sont pas transparents. Par exemple, une de mes anciennes collègues était fichée S simplement parce qu’elle était suspectée de participer à des activités de sauvetage animalier.

L’argument du « fiché S » a pris de l’ampleur après les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, suivis par ceux de novembre 2015 à Paris. Ces attaques ont intensifié les préoccupations sécuritaires et entraîné une médiatisation accrue des mesures de prévention du terrorisme, notamment l’intérêt pour le fichage d’individus jugés potentiellement dangereux.

Depuis, le fichier S est régulièrement évoqué dans les débats politiques pour mettre en doute la légitimité de certaines personnes ou groupes. Dans le cas de Raphaël Arnault et du Front Populaire, l’objectif est clair : instiller la peur, diaboliser la gauche en l’associant à la terreur, et les positionner comme des ennemis de la nation.

Pour la féministe que je suis, cet exemple agis comme un révélant d’une incohérence flagrante concernant la présomption d’innocence. Lorsqu’il s’agit de protéger des individus accusés de violences sexistes ou sexuelles issus des milieux dominants, cette présomption d’innocence est l’argument phare pour faire taire les victimes et maintenir le statu quo.

En France, seul un violeur sur 100 est condamné, et pourtant, on nous encourage à porter plainte, en nous assurant que la justice fera son travail, et ce, alors même que la poignée d’hommes condamnés continueront souvent à occuper leurs postes. En revanche, pour les fichés S, qui n’ont pas été condamnés et ne sont souvent que vaguement suspectés de troubles à l’ordre public, cette présomption d’innocence est bafouée par les mêmes voix qui exigent « la présomption d’innocence » pour les accusés de violences sexistes et sexuelles.

D’un côté, on protège les intérêts des dominants en minimisant les accusations de violences sexistes et sexuelles ; de l’autre, on utilise une mesure préventive pour attaquer les militant·e·s qui remettent en cause l’ordre établi.

En somme, la disqualification d’un candidat antifasciste, fiché S pour son engagement contre l’extrême droite, expose la distorsion alarmante du discours politique actuel. Aujourd’hui sont disqualifiés celleux qui luttent activement contre des idéologies haineuses, précisément au moment où l’extrême droite menace de prendre le pouvoir. Celleux qui défendent les valeurs démocratiques et combattent l’oppression sont présentés comme des ennemis de la nation, bien que leurs actions soient le dernier rempart pour sauver ce qu’il nous reste de liberté, d’égalité et de solidarité.

Cette réalité devrait nous hanter : en France, l’extrême droite est responsable de nombreux actes de violence et représente la deuxième cause de risques d’attentats, pourtant, les militant·e·s antifascistes, qui œuvrent pour empêcher cette violence, sont traités comme les réelles menaces. Accepter la marginalisation de celleux qui refusent de voir l’ascension du fascisme comme une fatalité, n’est-ce pas déjà capituler ?

Ainsi, les « anti-antifascistes » ne nous duperont pas : il est temps de leur tendre un miroir, afin qu’ils révèlent la complicité dissimulée derrière leur double négation.

Léane Alestra


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