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Placé en garde à vue mercredi, l’Alsacien « fièrement néonazi » a menacé de s’en prendre à des porteurs de la flamme olympique sur le canal Telegram « Division aryenne française », une boucle de messagerie d’extrême droite appelant régulièrement à la violence.
« Gauchiste de merde faudrait créer un groupe du genre les SA [organisation paramilitaire du Parti national-socialiste des travailleurs allemands – ndlr] et aller les fracasser tous les jours. » Le 14 juin, Martin*, un Alsacien de 18 ans, écrivait ces propos sur le canal de la messagerie Telegram dont il est propriétaire, « Division aryenne française », qui appelle régulièrement à la violence.
Néonazi revendiqué, le jeune homme a été interpellé à son domicile et placé en garde à vue par la sous-direction antiterroriste (Sdat) mercredi 17 juillet selon Le Parisien, dans le cadre d’une enquête ouverte par le pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH).
Avec son profil intitulé « Panzer », du nom des chars allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, il est soupçonné d’avoir menacé de s’en prendre à des élu·es ainsi qu’à des porteuses et porteurs de la flamme olympique, notamment la drag-queen Minima Gesté, dont la désignation comme porteuse de flambeau à Paris avait suscité des propos homophobes et transphobes. D’après BFMTV, de la littérature et des objets néonazis ont été découverts chez lui.
« Il est temps d’agir. Des ratonnades doivent avoir lieux (sic) dans les jours à venir. » Le 11 juin, « Panzer » réagissait ainsi, dans la boucle « Division aryenne française », aux manifestations contre l’extrême droite qui ont eu lieu partout dans le pays suite à la victoire du Rassemblement national aux élections européennes.
Quelques jours plus tard, un autre utilisateur diffusait sur le même canal Telegram une liste des manifestations contre l’extrême droite ayant lieu en France les 14, 15 et 16 juin. Il a pour pseudo « Poliakov » et publie volontiers des photos de lui effectuant un salut nazi.
Illustration 1Agrandir l’image : Illustration 1 Une liste des manifestations contre l’extrême droite ayant lieu en France les 14, 15 et 16 juin. © Captures d’écran Telegram En fin de semaine avant les élections européennes du 9 juin, la sphère militante strasbourgeoise appelait à la vigilance. Certain·es ont vu le post du rédacteur en chef de StreetPress, Mathieu Molard, alertant sur une liste de manifestations diffusée sur les canaux d’extrême droite. D’autres ont vu des images du groupuscule de hooligans violents Strasbourg Offender effectuant des rondes dans l’enceinte du campus universitaire de la capitale alsacienne dans la soirée du 13 juin.
Entre incitation à la violence et groupuscule prêt à en découdre, la gauche strasbourgeoise craint de plus en plus d’être attaquée en marge des collages, manifestations et autres actions politiques. Ce ne serait pas une première : le 29 novembre 2020, une dizaine de membres de Strasbourg Offender avaient provoqué un affrontement au cours de la manifestation contre la loi relative à la sécurité globale.
Fichages, attaques et agressions Le canal « Division aryenne française » va plus loin dans l’incitation à la violence contre la gauche. Le groupe Telegram diffuse aussi des listes de militants de gauche, plus ou moins précises. L’un de ses membres, « Zic », donne ainsi en libre accès des fichiers classés par ville ou région. À Lyon, un document permet d’identifier un lieu d’entraînement du collectif antifasciste la Jeune Garde. Des établissements listés comme « antifas » (antifascistes) sont aussi répertoriés à Lorient, Paris ou Lyon. Une image donne l’adresse du domicile d’un responsable d’un autre collectif antifasciste.
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La messagerie Telegram, refuge de l’ultradroite 15 avril 2023 Dans les fichiers concernant Strasbourg et l’Alsace, des captures d’écran des comptes X visent de nombreux jeunes militants et militantes. Parmi elles et eux, deux étudiants juifs et de nombreux militants de gauche : la présidente de l’Union des étudiants juifs de France, un journaliste engagé contre le racisme, le responsable des Jeunes écologistes et un membre d’un collectif de militants juifs, le cosecrétaire de la section de Strasbourg du Parti communiste français… Des listes plus précises – avec numéros de téléphone et adresses – ont été diffusées par le même « Zic » sur un autre canal Telegram, dénommé FR Deter.
« Cocktail Molotov sur vos gauchistes locaux » Le même « Zic » donne ses conseils aux militants nationalistes pour organiser une opération secrète : utiliser un VPN (un service qui sécurise et anonymise le trafic web de l’internaute) et payer en Monero (cryptomonnaie garantissant l’anonymat de son utilisateur), recourir à des messageries chiffrées sans inscription et naviguer sur le darknet à travers le navigateur Tor, privilégier les rencontres physiques ou chiffrer ses contenus sur ordinateur grâce au logiciel Luks.
Illustration 2Agrandir l’image : Illustration 2 Extraits de la discussion publique de la « Division aryenne française ». © Captures d’écran Telegram Rue89 Strasbourg avait déjà révélé la violence du contenu de la boucle FR Deter 67, où se multipliaient les appels à « casser du gaucho » et à « affronter l’ennemi » à l’occasion du match de Coupe du monde France-Maroc. Les hooligans néonazis de Strasbourg Offender avaient suivi cet appel et patrouillé dans le centre-ville de Strasbourg le soir même.
J’ai découvert ma vraie personnalité en m’intéressant à l’histoire, à mon pays, à la race blanche.
Martin*, 18 ans Martin, le propriétaire du canal « Division aryenne française », vit en Alsace centrale, chez ses parents. Indiquant sur ses réseaux sociaux être fonctionnaire au sein de l’armée de terre, il dément cette information au cours d’une conversation sur Messenger. Le jeune Alsacien refuse tout entretien téléphonique mais accepte de répondre à nos questions par écrit. Il confirme la création du canal suite à la dissolution de FR Deter : « J’ai créé FR Deter 2.0 puis j’ai modifié le nom sous “Division aryenne française”. »
Martin n’est membre d’aucun parti. Il se définit comme « néonazi » et « l’assume fièrement ». Questionné sur l’origine de son idéologie nazie, le jeune homme prétend avoir été « d’extrême gauche jusqu’à ses 17 ans ». Il aurait été « pour l’immigration », aurait soutenu la Palestine et porté « des dreadlocks pendant un moment ». Dans un récit difficile à vérifier, Martin dit s’être fait virer du lycée : « Je me suis retrouvé chez moi et j’ai arrêté mes anciennes fréquentations. J’ai découvert ma vraie personnalité en m’intéressant à l’histoire, à mon pays, à la race blanche. »
« La DGSI est présente sur le groupe » Interrogé sur les appels à la violence sur son canal Telegram, il nie : « J’ai pas réellement appelé à la violence mais à notre défense durant les manifestations actuelles. Oui, je suis un néonazi, mais par idéologie, pas par haine. Je ne vais pas frapper des personnes étrangères ou des gauchistes dans la rue comme certains. […] Après, si je vois qu’une personne parle de passer à l’acte, par exemple d’aller tirer dans une mosquée, je le signalerai aux autorités compétentes. Je n’ai pas de problème avec la police car ils savent que nous ne sommes pas un réel danger pour la société. La DGSI est présente sur le groupe de discussion public. »
Dans ses réponses, Martin atténue systématiquement sa responsabilité et pointe celle de « Zic » : « Je gère plus grand-chose pratiquement depuis un an », « Zic contrôle tout […], il est visé pour des plaintes pour les fichages ». Ledit « Zic » n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Dans l’un de ses derniers posts sur le canal « Division aryenne française », il regrettait : « Si des gens avaient envie de buter des députés de gauche ça se serait déjà passé. Ils traînent quasiment tous les jours dans Paris sans aucune protection. »
Ciblée par l’une des listes rédigées par « Zic », la députée de la première circonscription du Bas-Rhin, Sandra Regol (Les Écologistes) a effectué un signalement auprès de la gendarmerie.
Thibault Vetter (Rue89 Strasbourg)
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