Les socialistes ont de nombreuses raisons de ne pas jouer aux supplétifs du macronisme.

mardi 6 août 2024.
 

Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, on convoque carrément l’opposition entre Guesde et Jaurès pour se convaincre de la possibilité de séduire le PS. L’argument, caricatural, ne fait pas le poids face à toutes les raisons, pour les socialistes, de ne pas jouer aux supplétifs du macronisme.

La petite musique est montée ces derniers jours : certains partisans du chef de l’État croient encore possible d’acheter le Parti socialiste (PS) à la découpe ou de le détacher du Nouveau Front populaire (NFP), pour conférer une assise élargie à un gouvernement macroniste. Outre que le compte n’y serait toujours pas, cela semble mal embarqué. Et ce ne sont pas les râleries internes à propos de Lucie Castets qui changent quoi que ce soit à l’affaire.

Non seulement les responsables socialistes démentent une quelconque attraction macroniste, mais ils ont de bonnes raisons de ne pas flancher, y compris à l’aile droite du parti. S’ils n’ont pas cédé aux sirènes de la Macronie lorsque celle-ci avait le plus de postes et de perspectives de pouvoir à offrir, il est peu probable qu’ils la rejoignent en pleine phase crépusculaire. Avant les prochaines élections législatives et présidentielle, s’allier en position subordonnée au camp présidentiel reviendrait à commettre un suicide politique.

Même si, à la faveur des avancées de la crise institutionnelle, des pans du PS faisaient finalement ce choix, ce ne serait guère pour les raisons avancées par l’entourage proche du président de la République. Ses conseillers les plus férus d’histoire politique pensent en effet pouvoir jouer des contradictions quasi éternelles du socialisme, entre un verbe radical et des alliances « au centre » dans les moments les plus « raisonnables » de cette force politique.

« Au PS, affirme ainsi l’un d’eux à Mediapart, il y a quand même des courants qui commencent à dire que La France insoumise (LFI), ce n’est pas possible. Ça peut aller très vite pour qu’ils deviennent majoritaires à vouloir la rupture. C’est l’histoire de la gauche française : on a longtemps dit que [Jules] Guesde et [Jean] Jaurès allaient tenir ensemble, puis ils se sont divisés. »

En réalité, ces deux grandes figures ont bien réussi à dépasser leurs différences et à unifier le socialisme au début du XXe siècle, et cette unité a tenu jusqu’à l’assassinat de Jaurès en 1914. Derrière cette approximation s’exprime surtout une vision très schématique des socialistes français, qui auraient été sans cesse tiraillés entre un positionnement dogmatique et une ligne plus accommodante envers des forces « bourgeoises ».

« Guesde/Jaurès » : gare aux contresens

Certes, dans le climat tendu de l’affaire Dreyfus, Jaurès avait été favorable à la participation de socialistes au gouvernement de « défense républicaine » de Waldeck-Rousseau en 1899. Guesde, lui, avait violemment rejeté cette option. Marion Fontaine, professeure au Centre d’histoire de Sciences Po, estime cependant que cette fracture tactique n’empêchait pas « un substrat commun, fondé sur la lutte des classes et la croyance dans le rôle révolutionnaire qui attendait le prolétariat organisé ».

Selon la conjoncture, les positions de Jaurès comme de Guesde ont évolué à partir de ce credo, qui visait clairement une société socialiste débarrassée de la logique capitaliste. Après avoir considéré que le risque d’involution réactionnaire de la République justifiait de lui venir directement en aide, Jaurès s’est ainsi clairement opposé au radical Clemenceau et n’a défendu la participation à aucun exécutif jusqu’à son assassinat.

Guesde, qui campait sur une ligne intransigeante, a finalement été ministre d’État une fois la Première Guerre mondiale déclenchée, sacrifiant à l’« Union sacrée » durant deux années. Et au moment de la grande scission du socialisme lors du congrès de Tours, il n’a pas suivi la voie bolchévique. La complexité des choix respectifs de ces deux figures colle décidément bien mal à une essentialisation de leur rapport au pouvoir.

Si l’on se projette un peu plus loin, on peut remarquer que Léon Blum n’avait rien non plus d’un réformiste inoffensif, en dépit des mains tendues vers les secteurs encore « éclairés » de la bourgeoisie. C’est ce qu’a montré Milo Lévy-Bruhl dans un récent article de la revue Germinal. Lorsque Blum a œuvré au Front populaire de 1936 avec les radicaux qui faisaient alors la bascule entre le centre droit et le centre gauche, c’était en sachant et en prévenant que les rapports de force n’étaient pas mûrs pour atteindre l’objectif révolutionnaire, auquel il restait attaché.

L’exercice du pouvoir n’était recherché que pour repousser le risque fasciste, c’est-à-dire une menace pesant sur le cadre même dans lequel le mouvement socialiste préparait l’avènement d’une « société nouvelle ». Une sorte de « cas limite » de la stratégie jaurésienne de « l’évolution révolutionnaire », laquelle impliquait, en période ordinaire, la construction patiente d’une contre-société des subalternes, sans précipitation pour obtenir le pouvoir d’État, ni croire que sa seule détention suffirait à faire la révolution.

Où pourrait-on trouver une telle appréhension des choses aujourd’hui ? Le projet le plus récent adopté par le PS, tout comme les théorisations de la « révolution citoyenne » côté LFI, témoignent à la fois d’une plus grande confiance dans la voie électorale et d’une définition plus vague du type de société recherchée. La densité organisationnelle de ces deux partis n’a rien à voir avec cette époque. À gauche en 2024, la revendication ou le refus de l’exercice du pouvoir d’État ne repose tout simplement pas sur les mêmes ressorts que dans le passé mobilisé par l’entourage d’Emmanuel Macron.

S’il faut être deux pour danser un tango, clairement le camp macroniste n’apparaît pas comme un partenaire fiable.

Mais quittons le terrain doctrinal, et regardons les points communs des participations socialistes au pouvoir sous la IIIe et la IVe République. À chaque fois, les gouvernements en question ont mis en œuvre des politiques de lutte contre les ennemis de la République et/ou des conquêtes sociales. S’il faut être deux pour danser un tango, clairement le camp macroniste n’apparaît pas comme un partenaire fiable pour justifier une alliance par-delà l’opposition droite-gauche.

Le bilan des sept années écoulées est éloquent : l’obstination dans le cap néolibéral a sous-tendu une politique toujours plus autoritaire et droitière du président de la République, jusqu’à faire tous les choix possibles concourant à l’expansion électorale du lepénisme en France. La « grande coalition à la française » que le macronisme incarnait dès sa naissance a non seulement été clairement déséquilibrée vers la droite, mais une droite jouant de la stratégie la plus funeste face à l’extrême droite, à savoir la singer en prétendant s’en prémunir.

À supposer que le PS ou des factions entières en son sein soient « décrochables » par la Macronie, les gages à lui donner au regard de ce passé devraient donc être extrêmement forts. Pour un chef d’État ayant perdu la confiance de ses propres troupes, la mission est quasi impossible.

« L’entourage présidentiel confond peut-être deux choses, remarque l’historienne Marion Fontaine. Qu’il y ait des tensions profondes entre le PS et LFI, c’est une évidence. Que ces tensions profitent directement à Emmanuel Macron, c’est encore un autre sujet. La gauche est certes en pleine recomposition, mais dans un système institutionnel que le président de la République a la responsabilité d’avoir porté au niveau extrême de son dysfonctionnement. »

Fabien Escalona


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