Violences policières : l’affaire Zecler vers son dénouement

vendredi 29 novembre 2024.
 

Quatre ans après l’agression du producteur de musique, l’enquête est terminée et plusieurs éléments pulvérisent la version des policiers qui disaient avoir été blessés par Michel Zecler. « J’ai la main gonflée parce que j’ai tapé le mec », confesse ainsi l’un d’entre eux dans un message consulté par Mediapart.

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étaitC’était il y a quatre ans. Le 21 novembre 2020 dans le XVIIe arrondissement de Paris, le producteur de musique Michel Zecler, 45 ans, est roué de coups par trois policiers lors d’un contrôle. Les agents l’ont suivi, ont pénétré illégalement dans son studio et l’ont tabassé. Neuf jeunes également présents au sous-sol du studio étaient parvenus à repousser les policiers dehors et mettre fin à cette première longue séquence de violences.

Une fois à l’extérieur, Michel Zecler et certains jeunes sont de nouveau frappés avant d’être amenés au commissariat. Il est accusé d’avoir voulu échapper au contrôle, d’avoir frappé à de nombreuses reprises les trois policiers et d’avoir tenté de prendre leurs armes. Le producteur est placé en garde à vue et les policiers portent plainte contre lui. Ils ignorent alors que tout a été filmé.

Les images de la caméra installée dans le studio, révélées à l’époque par Loopsider (voir Boîte noire), pulvérisent la version policière. Grâce à elles, le producteur gravement blessé avec plus de 45 jours d’ITT et un tendon sectionné, est remis en liberté. Il porte plainte et accuse deux des trois policiers de l’avoir traité de « sale nègre ». Dans la foulée, Emmanuel Macron promet des mesures pour lutter contre le racisme dans la police et admet pour la première fois qu’il existe en France des « violences policières ».

Aurélien L., 27 ans, Philippe T., 48 ans, et Pierre P., 35 ans, sont mis en examen pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique, avec arme et en réunion. Ils sont aussi accusés de faux en écriture publique, violation de domicile et dégradation de bien privé. Pour Aurélien L. et Philippe T., la circonstance aggravante pour des propos à caractère raciste est retenue. Un quatrième policier, Hugo R., celui qui a jeté une grenade lacrymogène pour les contraindre à sortir, est également mis en examen.

Quatre ans après, les investigations des juges d’instruction sont terminées et le parquet doit prochainement rendre son réquisitoire définitif. Quelle est la version des policiers mis en cause sur les violences, le faux en écriture publique ou les propos racistes ? Mediapart dévoile leur défense et des éléments qui la fragilisent encore : des messages WhatsApp dans lesquels un policier se vante notamment d’avoir « défoncé » Michel Zecler ou ceux d’un autre qui confie ne pas avoir été blessé par le producteur, mais par les coups qu’il lui a lui-même portés.

Il est 18 h 30 ce 21 novembre 2020 lorsqu’un équipage de police dit avoir vu Michel Zecler dans une rue du XVIIe à Paris. Aurélien L. affirme avoir voulu le contrôler pour « non-port du masque » en pleine période de covid. « Bonjour ! C’est la police, on va procéder à un contrôle », aurait-il déclaré.

Dans leur PV d’interpellation et dans leur plainte déposée contre le producteur, la version des fonctionnaires ne varie pas. Michel Zecler aurait refusé le contrôle d’identité et se serait réfugié dans ce qu’ils auraient pris pour un hall d’immeuble. Il les aurait entraînés de force dans le sas et aurait aussi été le premier à les frapper avant que les policiers ne répliquent « en légitime défense ».

« L’individu continue de nous porter des coups avec ses bras et ses jambes et se met devant la porte de sortie, nous empêchant ainsi de quitter le local [...] Nous recevons à plusieurs reprises des coups au niveau du visage », affirment-ils dans leur PV d’interpellation signé et relu par les trois policiers. Ils reconnaissent lui avoir donné quelques coups de matraque au visage dans « l’agitation » et disent avoir dû « s’enfuir pour sauver leurs peaux ».

« Dans la débâcle, l’homme tente à plusieurs reprises de se saisir de notre arme administrative », accusent-ils aussi. « Il a saisi la crosse de mon arme à plusieurs reprises », insiste Aurélien L. auditionné juste après les faits. « Il m’a donné des coups de coude au visage [...] il donnait des coups de pied à mes collègues. »

Michel Zecler aurait été si violent que les trois policiers, examinés par les UMJ, obtiennent tous des interruptions temporaires de travail (ITT). Un jour pour Philippe T. après « le gonflement de son avant-bras droit », deux jours pour Aurélien L. « blessé au visage » et au niveau lombaire et cinq jours pour Pierre P. blessé à « la main droite ».

40 coups et un PV totalement mensonger Confrontés aux images, les policiers reconnaissent devant l’IGPN et devant les juges d’instruction que leur PV d’interpellation n’est pas complet mais affirment qu’il n’est pas mensonger. L’enjeu est de taille puisque le faux en écriture publique est passible de la cour criminelle. Les enquêteurs de l’IGPN sont pourtant catégoriques : sur les images, Michel Zecler résiste, mais ne porte « aucun coup ».

Les trois agents, eux, lui en infligent au moins une quarantaine dont seize au niveau du visage ou de la tête. Avant d’être interpellé et, alors qu’il est immobilisé à l’extérieur du studio, Michel Zecler est de nouveau frappé une dizaine de fois par Aurélien L., sous les yeux de huit policiers totalement passifs.

La version longue des images de l’agression de Michel Zecler Au cours de l’enquête, les trois policiers admettent des coups injustifiés, évoquent des « gestes de voyou » ou des « violences policières », mais minimisent. Selon eux, Michel Zecler leur a donné des coups et ils auraient répliqué parce qu’ils avaient « peur », se sentaient « piégés » et pris dans un « effet tunnel ».

Au fur et à mesure des auditions, certains des mis en examen changent de version et expliquent qu’Aurélien L. a rédigé seul ce PV. « Quand je suis arrivé, une fois qu’il avait fini, je n’ai regardé que l’entête du PV pour savoir si la date était bonne, et le cadre juridique, et malheureusement j’ai signé sans lire le reste », explique Philippe T. devant les juges d’instruction en septembre 2023. Il disait tout l’inverse en novembre 2020 devant l’IGPN : « Nous l’avons aidé pour rédiger la fin. J’ai relu le PVI de 6 pages je crois. Pour moi, on n’a rien oublié, on a tout dit. »

Il y a peut-être des choses que j’ai rajouté ou que j’ai pu omettre d’ajouter.

Le policier Aurélien L., devant les juges d’instruction Finalement, Philippe T. admet n’avoir « pas vu » Michel Zecler tenter de saisir une arme ou sortir un objet de sa sacoche. « Il y a pu avoir des mains baladeuses », tente Pierre P. avant d’avouer ne pas l’avoir vu « se saisir de l’arme à proprement dit ».

Aurélien L. est le seul à maintenir cette accusation même lorsqu’il est confronté aux images qui ne montrent rien de tout ça : « Je ne peux pas vous dire à quel moment précis c’était, mais ce que je peux vous dire, c’est qu’à un moment il s’est agrippé à mon arme. »

Dans leur PV, les trois policiers disaient avoir essuyé une pluie de coups. Devant les juges, ils font volte-face. Pierre P. reconnaît que Michel Zecler n’a pas commis de violences et parle maintenant d’une simple « opposition physique » et « d’une rébellion ».

Le brigadier Philippe T. admet qu’il n’a pas été entraîné de force dans le sas par le producteur et que ce dernier n’a donné « aucun coup ». Il accuse désormais l’officier de police judiciaire (OPJ) qui a pris sa plainte : « J’ai toujours dit à l’OPJ que j’avais donné des coups au visage mais que moi je n’en avais pas reçus. Et l’OPJ m’a dit de ne pas dire ça », défend-il sans être davantage questionné sur ce point.

Entendu une nouvelle fois en avril 2023, Aurélien L., lui, persiste mais minimise. « Il ne s’est pas mis en garde pour nous donner des coups de poing, mais quand il se débattait, on recevait des coups », explique-t-il. « Peut-être que j’aurais dû formuler la phrase autrement pour que ça ne donne pas l’idée de coups portés comme un boxeur, concède-t-il seulement. Il y a peut-être des choses que j’ai rajouté ou que j’ai pu omettre d’ajouter », ajoute-t-il, tout en répétant ne pas avoir commis « d’altération volontaire de la réalité ».

Trahis par leurs téléphones Pourtant, l’expertise effectuée sur les téléphones des trois mis en cause fragilise cette défense. Avant que les policiers ne soient avertis de l’existence d’une vidéo, ils semblent très sereins et parlent de l’affaire, s’en amusent et se vantent. « Le mec n’a porté aucun coup, il s’est juste débattu », écrit Aurélien L. dans une conversation WhatsApp deux jours après les faits.

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Michel Zecler : « Je ne suis pas un “sale nègre” » 20 janvier 2021 Le lendemain, lorsqu’un contact lui demande si « le mec était bien amoché », Aurélien L. regrette de ne pas avoir davantage frappé ce « gros gros bâtard » : « En vrai, pas suffisamment, on n’a pas été méchant je trouve. » « Punaise, quel bâtard. J’espère il a pris quand même », lâche une policière dans un autre groupe WhatsApp. « Oui oui mais pas suffisamment à mon goût », insiste Aurélien L.

Il se vante même d’avoir blessé Michel Zecler qu’il qualifie d’« enculé » ou de « fdp [fils de pute] » et craint seulement les suites judiciaires. « On l’a défoncé mais le mec il sentait rien c’était ouf, écrit-il à ses collègues. Là on est emmerdés parce qu’il a un bon avocat. »

Le 26 novembre, juste après la médiatisation de l’affaire et l’ouverture de l’enquête IGPN, le supérieur des trois policiers « les soutient » ouvertement et prévient : « Pour communiquer avec moi, le major ou entre vous, utilisation de WhatsApp. Pas de sms ou d’appels. »

Un autre policier écrit à Aurélien L. : « Quand ils te demanderont des trucs vraiment précis ba là faudra rester vague. Du genre je me rappelle plus exactement c’était la foire d’empoigne etc... ça évite de dire des conneries ou des mensonges. Surtout ne parle pas de l’intervention au téléphone. Possibilité d’être sur écoute. »

Lors de l’enquête, le mis en cause semble suivre ces conseils à la lettre. « Je ne me rappelle plus du tout », « Ce que je peux vous dire de cette situation c’est que c’était le chaos », « Je ne suis pas dans un état où je peux dire ce qu’il s’est passé de façon calme et réfléchie… », lâche-t-il par exemple lors de son audition d’avril 2023.

Tous les bâtards qui foutent la merde ce sont tous les mêmes…

Un message privé du policier Aurélien L. retrouvé dans son téléphone Le contenu de leur téléphone permet aussi de douter de la réalité des blessures que Michel Zecler est censé leur avoir occasionnées. « Yann m’a dit que tu étais un peu amoché », écrit un interlocuteur à Aurélien L. « Non franchement j’ai rien juste une griffure sur le visage, pas grand-chose », répond celui qui a pourtant obtenu deux jours d’ITT. « Ne t’en fais pas, je ne suis pas blessé », précise-t-il aussi à l’une de ses proches.

Des trois policiers, Pierre P. est supposé être le plus gravement blessé avec cinq jours d’ITT. Dans des conversations datées du soir des faits, il admet auprès d’un contact s’être en réalité lui-même blessé : « Oui tkt jai la main gonfle pcq jai tapé le mec ». Interrogés par Mediapart, les trois policiers n’ont pas souhaité donner suite.

Des messages racistes Depuis le début, Michel Zecler affirme avoir été traité de « sale nègre » à plusieurs reprises et notamment lorsqu’il se faisait frapper par deux des trois policiers. Mais la caméra de son studio n’enregistre pas le son. Il s’en est tout de même plaint quelques minutes après les faits à Lucien K., un policier venu en renfort devant le local, qui l’a confirmé en audition. « Quand on poussait sur la porte de l’escalier, on entendait de l’autre côté “ t’es mort, on va te tuer sale nègre” », a également déclaré aux enquêteurs l’un des jeunes présents au sous-sol.

Là encore, ce point est crucial car ce serait une circonstance aggravante pour Philippe T. et Aurélien L. Lors de chacune de leur audition, les trois agents démentent ces insultes. « Je suis choqué. Comment on peut dire de tels mensonges ?, interroge Aurélien L. Oui je l’ai insulté pendant cette interpellation mais jamais à caractère raciste, c’est une certitude [...] on essaye de me faire passer pour quelqu’un que je ne suis pas. »

Illustration 3Agrandir l’image : Illustration 3 Montage photo créé par le policier Aurélien L. pour moquer la mort de Gorges Floyd. © Envoyé Spécial. France 2 Dans son téléphone, l’expert mandaté mentionne avoir trouvé « une vidéo “humoristique” sur la victoire de Marine Le Pen à l’élection présidentielle » et deux photos « qui pourraient éventuellement être assimilées à du racisme ». Un montage photo par exemple, qu’Aurélien L. a lui même créé cinq mois avant et révélé par Envoyé spécial, visant à se moquer de la mort de George Floyd, ce noir américain tué étouffé par un policier lors d’une interpellation. « Quand tu dégonfles ton matelas en fin de soirée », s’est amusé à légender le policier avant de l’envoyer à plusieurs personnes.

Que voulait-il dire avec ce contenu, « relevant d’un humour douteux teinté de racisme », interrogent les juges. « Ça reste de l’humour noir. Ce n’est pas du racisme. C’est de très mauvais goût, je le reconnais », justifie-t-il.

Une autre conversation d’août 2020 interpelle. Dans cette discussion, l’une de ses proches s’inquiète qu’il devienne raciste lorsque Aurélien L. fustige « tous ces bâtards » qui « sont acceptés en France sans que l’on ne [fasse] rien » et qui ne seraient « pas des Français ». « Je t’interdis de devenir raciste », lâche-t-elle. Et Aurélien L. de répondre : « Ben c’est pas du racisme mais tous les bâtards qui foutent la merde ce sont tous les mêmes… » Selon l’expert, Philippe T. aurait lui aussi « des captures d’écran » et « quelques photos » qui pourraient « être assimilées à du racisme ».

Tous démentent enfin avoir contrôlé Michel Zecler parce qu’il était noir et insistent sur le non-port du masque. « Le contrôle du masque, c’est juste un motif mais c’est principalement parce que le mec était suspect », écrivait pourtant Aurélien L. à sa famille le 24 novembre 2020.

La question du cannabis

Quelques mois après les faits, des syndicats de police, relayés par CNews et Valeurs actuelles, lancent plusieurs théories complotistes pour discréditer le travail de Loopsider et dédouaner les policiers. Ils s’appuient notamment sur des déclarations des policiers qui accusent Michel Zecler d’avoir voulu échapper au contrôle pour dissimuler des stupéfiants.

Pour justifier leur interpellation, les agents affirment avoir senti qu’une odeur « très forte » de cannabis s’échappait de la sacoche du producteur. En réalité, lors de la perquisition effectuée dans son studio, seul 0,5 g de résine a été retrouvé. Michel Zecler avait d’ailleurs immédiatement admis en audition être un « fumeur occasionnel ». « On a retrouvé un seul petit morceau de résine qui n’est a priori pas particulièrement odorant. Avez-vous une explication ? », questionne donc le juge. Philippe T. ne sait pas l’expliquer. Les autres accusent Michel Zecler d’avoir « jeté » le reste.

En attendant la décision des juges, les quatre policiers mis en examen ont été suspendus de la police et certains se sont reconvertis. Aurélien L. est désormais coach sportif et Pierre P., lui, compte devenir pompier volontaire.

David Perrotin


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