Climat : La COP29 douche les espoirs de justice climatique pour les pays du Sud

jeudi 5 décembre 2024.
 

Le 29e sommet international sur le climat a débouché sur un accord promettant de verser 300 milliards de dollars par an au Sud global pour l’aider à affronter la surchauffe planétaire. Un montant bien en deçà de l’urgence climatique, au grand dam des pays les plus vulnérables. CORREIA Mickaël

Du chaos et de l’amertume. Tels sont les deux mots qui pourraient résumer la 29e Conférence des parties (COP29), qui s’est achevée durant la nuit du 23 au 24 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan. Les deux semaines de pourparlers diplomatiques autour du climat se sont déroulées dans une ambiance délétère.

L’ombre du futur président américain Donald Trump a lourdement plané sur les discussions diplomatiques. John Podesta, envoyé spécial des États-Unis à la COP29, avait tenté de rassurer les négociateurs et négociatrices en clamant que la lutte contre l’emballement climatique était « plus grand qu’une élection, qu’un cycle politique et qu’un pays ». Mais difficile de rester optimiste quand on sait qu’un chef d’État climatosceptique sera durant quatre ans à la tête du premier producteur mondial de pétrole et du deuxième pays le plus émetteur de gaz à effet de serre du globe.

Les tensions géopolitiques liées au prolongement de la guerre en Ukraine et au conflit au Proche-Orient n’ont pas non plus facilité le multilatéralisme onusien. Ni même le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, qui a avancé, dès le lendemain de l’ouverture de la COP29, que les gisements pétrogaziers de son pays étaient un « cadeau de Dieu ».

Enfin, nombre d’observateurs et d’observatrices ont pointé le manque d’ambition politique de la présidence azerbaïdjanaise de la COP29. Marta Torres Gunfaus, directrice du programme Climat de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) s’est ainsi désolée le 22 novembre devant la presse de « l’absence de vision et de priorités claires » durant cette COP. Safa’ Al Jayoussi d’Oxfam International a fustigé pour sa part « un échec honteux du leadership ».

Résultat : les décisions entérinées après d’âpres négociations par les délégations de 197 pays présentes à la COP29, et immédiatement accueillies par des protestations de plusieurs pays du Sud global, semblent totalement déconnectées de la réalité sociale du changement climatique.

Crash de la finance climatique

À Bakou, Chris Bowen, ministre australien de l’écologie, et son homologue égyptienne, Yasmine Fouad, étaient en charge de piloter la discussion phare de cette COP29 : trouver un accord sur une nouvelle cible de financement climat afin d’aider les pays du Sud à affronter le réchauffement planétaire – le « New Collective Quantified Goal » (NCQG) ou « nouvel objectif collectif quantifié ». Les États du Sud sont en effet les moins émetteurs de gaz à effet de serre, mais sont les plus vulnérables face aux impacts du dérèglement climatique.

En 2009, lors de la COP15 de Copenhague (Danemark), les nations les plus riches s’étaient engagées à mobiliser, au plus tard dès 2020, 100 milliards de dollars par an à destination des pays les plus pauvres. Ce financement a été atteint avec deux ans de retard, d’après l’OCDE.

À l’issue de cette COP29, les États dit « développés », notamment les États-Unis, le Canada, le Japon ou les États membre de l’Union européenne (UE), ont cette fois promis d’octroyer aux nations du Sud au moins 300 milliards de dollars par an d’ici à 2035. Un montant dérisoire au vu des besoins des pays pauvres subissant de plein fouet un chaos climatiquequi s’intensifie, alors que 2024 s’annonce déjà comme l’année la plus chaude jamais enregistrée.

À titre d’illustration, l’Inde plaidait pour que les pays industrialisés fournissent au moins 1 000 milliards de dollars de financement climatique par an dès 2025. Et le groupe des pays africains militait pour un NCQG de 1 300 milliards de dollars annuels.

Leurs revendications étaient basées sur les calculs d’un groupe d’expert·es mandaté par l’ONU, l’Independent High-Level Expert Group on Climate Finance. Dans un rapport publié le 14 novembre, il a estimé que, hors Chine, le Sud global a besoin de 1 000 milliards de dollars d’aide climat par an jusqu’en 2030, puis de 1 300 milliards d’ici à 2035.

Les États-Unis et l’UE, émetteurs historiques de gaz à effet de serre, ont préféré pousser dans les négociations pour que les actuels grands pollueurs climatiques, tels que la Chine, ou les pays à grandes capacités financières comme les États du Golfe, contribuent également.

« Le monde a changé depuis 1992 [date du sommet de Rio, qui a lancé ensuite l’ONU Climat – ndlr] et les contributions doivent refléter autant que possible la réalité économique et la réalité des émissions cumulées de chaque pays », avait expliqué le 20 novembre Agnès Pannier-Runacher, ministre française de la transition écologique. Dans un communiqué transmis à l’AFP, la ministre a néanmoins qualifié l’accord final de « décevant » et « pas à la hauteur des enjeux ».

Malgré « plusieurs avancées », dont le triplement des financements en faveur des pays pauvres menacés par le changement climatique, la conférence de Bakou a été marquée « par une vraie désorganisation et une absence de leadership de la présidence » azerbaïdjanaise, a affirmé la ministre dans une déclaration transmise à l’AFP.

Nous avons vu le pire de l’opportunisme politique ici à cette COP, jouant avec la vie des personnes les plus vulnérables du monde.

Tina Stege, envoyée spéciale pour le climat des îles Marshall

Au final, le texte sur les NCQG fait brièvement allusion à cet élargissement des États contributeurs, en « encourag[eant] les pays en développement » à apporter « sur une base volontaire » des financements climat. Et un paragraphe « appelle tous les acteurs à travailler ensemble » pour atteindre, grâce à « toutes les sources publiques et privées », au moins 1 300 milliards de dollars par an d’aide climatique d’ici 2035.

« L’accord sur le financement du climat n’est pas aussi ambitieux que le moment l’exige », a estimé le 24 novembre Laurence Tubiana, une des architectes de l’accord de Paris de 2015 sur climat. « La COP29 a été un véritable gâchis et un échec total pour la justice climatique », a résumé, plus tranchante, Gaïa Febvre, responsable des politiques internationales au Réseau Action Climat.

Envoyée spéciale pour le climat des îles Marshall, l’un des pays du globe les plus menacés par le changement climatique, Tina Stege s’est pour sa part indignée : « Nous avons vu le pire de l’opportunisme politique ici à cette COP, jouant avec la vie des personnes les plus vulnérables du monde. Aucun pays n’a obtenu tout ce qu’il voulait, et nous quittons Bakou avec une montagne de travail à accomplir », a conclu Simon Stiell, secrétaire exécutif de l’ONU Climat, en séance de clôture de cette COP29.

L’impossible sortie des énergies fossiles

L’année dernière à la COP28 de Dubaï (Émirats arabes unis), les États avaient timidement « appelé » pour la première fois de l’histoire des sommets sur le climat à « une transition hors des énergies fossiles ». Ce faible signal politique actant la sortie du charbon, du pétrole et du gaz – dont la combustion est à l’origine d’environ 90 % des rejets mondiaux de CO2 – n’a pas été reformulé dans les textes adoptés par cette COP29. Notamment dans celui dit du « Dialogue des Émirats arabes unis », censé mettre en œuvre les décisions entérinées durant la dernière COP. C’est que l’Arabie Saoudite s’est tout particulièrement activée dans les couloirs des négociations pour torpiller toute mention explicitant la fin des énergies fossiles.

Par ailleurs, en pleines discussions, les leaders du G20 se sont réunis les 18 et 19 novembre à Rio de Janeiro (Brésil). Depuis Bakou, les négociateurs et négociatrices ont espéré que cette rencontre des plus grandes puissances internationales insuffle un regain politique au raout onusien. En vain. Dans sa déclaration finale, le G20 a certes souligné la nécessaire réforme des banques multilatérales de développement pour répondre à la crise climatique, ou encore l’objectif de coopérer à l’avenir pour taxer les plus grandes fortunes mondiales. Mais à aucun moment, la nécessaire sortie des énergies fossiles n’y est évoquée.

Dernière déception : les « contributions déterminées » au niveau national. Ces feuilles de route quinquennales de chaque pays en matière d’action climatique doivent être révisées et déposées en février 2025 au plus tard. L’enjeu est énorme : fin octobre, l’ONU Climat a calculé que la totalité des plans climat en cours ne parviendront qu’à réduire de 2,6 % nos émissions d’ici à 2030, par rapport à 2019. Alors qu’elles doivent diminuer de 43 % pour que la planète reste sous les + 1,5 °C de réchauffement.

Dès le début de la COP, le Royaume-Uni avait déposé un nouveau plan très ambitieux, ciblant une réduction des émissions du pays de 81 % en 2035, par rapport à 1990. Dans la foulée, le Brésil avait annoncé une feuille de route tout aussi réjouissante, fixant une baisse de ses émissions nettes de 59 à 67 % d’ici à 2035, par rapport aux niveaux de 2005.

Mais cet entrain des États pour l’action climatique s’est rapidement émoussé, car « le signal politique sur le besoin d’avoir des plans climat robustes n’a pas été assez fort, a estimé Marta Torres Gunfaus de l’Iddri. Les contributions déterminées au niveau national ont été un sujet vite déconnecté des discussions sur le NCQG... »

Un modèle à bout de souffle

Par ailleurs, cette COP aura été marquée de nouveau par la présence massive de lobbyistes des industries polluantes. Mediapart a comptabilisé qu’à Bakou, près de 200 émissaires des supermajors du pétrole, du gaz et du charbon avaient été accrédité·es. Et la coalition d’ONG Kick Big Polluters Out a révélé qu’au moins 1 773 lobbyistes des énergies fossiles s’étaient enregistré·es.

Enfin, après l’Égypte et les Émirats arabes unis, ce fut la troisième année consécutive où le sommet climatique était hébergée par un pays où les libertés d’expression et de manifester étaient tout particulièrement restreintes. Fin octobre, cinq rapporteurs spéciaux des Nations unies et d’institutions régionales s’étaient alarmés de la vague de répression féroce à l’égard des défenseurs et défenseuses des droits humains en Azerbaïdjan.

En raison de leurs décisions prises par consensus, comme par leur forme qui les rapprochent de plus en plus de la foire commerciale aux bonnes intentions, les COP sont plus que jamais à bout de souffle. Pis, en vouant à l’échec la justice climatique, elles ne font que prolonger la violence coloniale des pays industriels du Nord envers le Sud global.

Alors que notre planète se dirige sur la voie d’un réchauffement de + 3,1 °C d’ici la fin du siècle et que 2024 s’annonce déjà comme l’année la plus chaude jamais mesurée, la prochaine COP, qui se tiendra en novembre 2025 à Belém (Brésil), aura pour lourde tâche d’imprimer un nouvel élan politique à la diplomatie climat. Et de conjurer l’implacable réalité : depuis la première COP, qui s’est déroulée en 1995 à Berlin, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont inexorablement augmenté.

Mickaël Correia


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