Le service public de l’enseignement professionnel en danger Intervention de Jean Luc Mélenchon au Sénat

samedi 8 décembre 2007.
 

Aujourd’hui je fais cette note pour donner en quelque sorte la parole à ceux qui ne l’ont jamais : les méprisés, les dédaignés par toute la bonne société éducative, les élèves de l’enseignement professionnel et leurs enseignants. Certes ce n’est pas la grande Actualité ! C’est bien moins excitant que la lecture comparée des dernières hagiographies mutuelles entre socialistes. Mais c’est l’essentiel à mes yeux : la préparation de la suivante génération des ouvriers, techniciens et employés hautement qualifiés sans lesquels ce pays ne serait rien, les producteurs de l’immense masse de richesse si injustement répartie en dépit de leurs efforts. Je fais donc cette brève halte sur mon ordinateur avant de partir pour le meeting de Montpellier où je vais soutenir avec d’autres la cause du référendum sur le traité européen ce soir (20h salle Pitot, près du Peyrou). Pour l’instant, je vous propose donc de lire ci-après le texte de l’intervention sur l’enseignement professionnel que j’ai prononcée hier au sénat dans la discussion du budget 2008 de l’enseignement scolaire.

Intervention du mercredi 5 décembre 2007 au Sénat

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord inviter notre assemblée à se méfier de cette sorte de jubilation morbide, si tristement française, qui consiste à dénigrer sans cesse les performances de notre patrie.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bien

M. Jean-Luc Mélenchon. N’oubliez jamais, après avoir énuméré cette longue litanie des échecs attribués à notre pays, que nous sommes tout de même la sixième puissance économique du monde. Il faut bien que nous ayons trouvé quelque part le moyen de l’être ! Nous n’avons aucune ressource qui fausserait le classement, sinon la matière grise de nos compatriotes, de nos travailleurs, de nos jeunes. Ne le perdez jamais de vue, et n’avalons pas tout rond ce que les journaux mettent en première page. Hier, selon le Boston College -bien connu de vous tous... (Sourires) -, les performances de l’éducation nationale française étaient tout à fait déplorables. Ce Boston College a juste oublié d’étudier les raisons pour lesquelles les États-Unis d’Amérique produisent deux fois moins de diplômés scientifiques que les Français pour 100 000 habitants ! Comment ce peuple d’ignorants, qui ne sait ni lire ni écrire, parvient-il à cette performance ? Quant aux statistiques de l’OCDE, je n’ai pas l’intention de toutes les récuser, mais je me pose des questions à leur sujet. Je me souviens de ce moment particulièrement ridicule où ces fonctionnaires étaient venus m’expliquer -j’étais alors ministre- les défauts du système français, avec, entre autres choses, l’incapacité des jeunes Français à faire preuve d’esprit critique lorsqu’on leur donne des ordres ! Celui qui avait réalisé cette enquête n’avait certainement pas rencontré de jeune Français depuis longtemps... (Nouveaux sourires.)

Mme Nathalie Goulet. Ni de vieux

M. Jean-Luc Mélenchon. Si les jeunes Français ont une caractéristique commune, ce n’est sûrement pas celle-là ! Soyons méfiants et inversons la méthode. Au lieu de nous dénigrer nous-mêmes, partons de nos succès (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste), essayons de comprendre comment nous pourrions les développer et aller plus loin, et utilisons la force du système éducatif français, qui résulte tout de même de l’effort accumulé de générations et de gouvernements de couleur différente.

J’ai dit à l’instant ce qu’il en était des matières scientifiques et des questions essentielles que sont les systèmes de formation dans les économies contemporaines. J’évoquerai maintenant le domaine qui nous intéresse tous, l’élévation du niveau de qualification des jeunes. En dix ans, nous avons doublé le nombre des bacheliers. Le précédent doublement nous avait demandé quatre-vingts ans. Le pays s’était donné pour objectif de doubler le nombre des ingénieurs. Eh bien, nous y sommes quasiment parvenus, puisque, de 21 000 en 1990, ils sont passés à 37 000 aujourd’hui. Dans le même temps, nous avons multiplié par quatre le nombre de diplômés de DESS et de licenciés. Ce ne sont pas des petits résultats !

Quand on examine ces données, gardons à l’esprit que ceux qui nous critiquent sont positionnés sur un marché international. Les établissements comme le Boston College veulent attirer à eux ces étudiants qui ont fréquenté les institutions gratuites de la République française. Nous sommes l’un des pays où le nombre de chercheurs étrangers est le plus élevé proportionnellement au chiffre global de chercheurs 25 % des effectifs du CNRS, ce n’est pas rien. S’agissant de la France en tant qu’économie de production, et pas seulement de services, les comparaisons nous mettent derrière les Anglais, alors que ceux-ci totalisent dans leur production intérieure brute des résultats de bourse qui sont purement scripturaux.

M. le Président de la République a récemment manifesté sa volonté de garder des usines en France. Si nous voulons que nos industries restent productives, que doit-on faire ? Il faut bien sûr former des cadres supérieurs, des ingénieurs, des architectes, des intellectuels de haut niveau. Mais il convient surtout d’élever la base productive à un haut niveau de qualification. C’est un objectif pour le pays. D’où sortir cette base productive, où la former sinon dans le service public de l’enseignement professionnel ?

Et là, monsieur le ministre, le compte n’y est pas. Vous êtes un homme de la maison qu’est l’éducation nationale, vous en connaissez les préjugés de caste en même temps que la grandeur. Mais ce que l’on passe d’abord à la trappe, c’est l’enseignement professionnel. Pourquoi ? Parce que la plupart de ceux qui y travaillent n’y ont pas inscrit leurs propres enfants ! (Mme Gisèle Printz applaudit.) Je le dis avec un peu de rugosité, mais c’est une partie de la réalité.

Or la moitié des jeunes Français suivent un enseignement professionnel et technologique ou un apprentissage. Parmi eux, 30% se trouvent dans l’enseignement professionnel, les autres étant répartis dans les autres filières. Et c’est comme si ces jeunes n’existaient pas Pourtant, ils forment une masse vitale, la base de notre capacité productive. Les travailleurs français se sont d’ailleurs mieux adaptés que les autres, notamment les Allemands, car le système éducatif les avait préparés aux modifications des machines, mieux que le seul l’apprentissage en entreprise. La durée de vie d’une machine est passée de quinze ans à dix ans ou à quatre ans, voire moins dans certaines branches où l’outil informatique est utilisé. Comment expliquez-vous que la production ait suivi, sinon par le fait que les travailleurs avaient la capacité d’auto-adaptation, compte tenu des bases suffisantes qui leur avaient été données. Nous devons manier ces notions avec beaucoup de précaution sans suivre la dernière mode, la dernière trouvaille de je ne sais quelle officine internationale qui ne pense qu’à faire du commerce avec tout cela. Dans cette histoire, la France joue sa peau !

Les différentes catégories sont toujours les mêmes : il y a ceux qui n’y connaissent rien et qui ne veulent pas en entendre parler et les têtes d’oeufs qui ont trouvé la bonne occasion de faire des économies : réduire, réduire et encore réduire les budgets. Le ministre, quel qu’il soit et même s’il n’en pense pas moins, est obligé d’accepter, car il est membre du gouvernement. La grande trouvaille consiste à réduire le budget de l’enseignement professionnel en comptant sur sa prise en charge par le secteur privé, grâce à l’apprentissage. Or, si celui-ci fonctionne très bien pour les métiers où le tour de main et le geste sont essentiels et où la connaissance se transmet visuellement, en revanche, il est plus délicat pour tous les autres métiers. Car le niveau technique s’est considérablement élevé et un haut niveau de connaissances générales est devenu nécessaire. Nous avons besoin d’ouvriers titulaires d’un diplôme de CAP, mais aussi, et surtout, d’un plus grand nombre de détenteurs d’un bac professionnel. C’est le coeur de l’affaire. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Je sais que M. le ministre veut bien faire, car il écrit des communiqués touchants où il déclare que, pour améliorer l’accès au bac professionnel, celui-ci se passera en trois ans au lieu de quatre aujourd’hui (2 ans pour le BEP puis 2 ans pour le bac pro). Je souhaiterais formuler deux remarques à ce propos.

C’est d’abord une question de classes. L’objectif de 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat a commencé à être remis en cause lorsque nous sommes parvenus à peu près à ce pourcentage pour les filières de l’enseignement général. Et pourtant, au total, le résultat n’est que de 60 %. Où est la différence ? Dans l’enseignement professionnel, où la moitié de nos jeunes ne vont pas jusqu’au bac professionnel et s’arrêtent au BEP. Là se joue la promotion des travailleurs et des milieux populaires. Il faut comprendre pourquoi les choses ne se passent pas aussi bien qu’on le voudrait. Et apporter des solutions concrètes, techniques.

Pour quelles raisons croyez-vous que les jeunes ne vont pas jusqu’au bac professionnel ? Parce qu’ils s’ennuient à l’école ? Non, ce n’est pas le sujet car souvent ils se reconstruisent dans l’enseignement professionnel. En premier lieu, ils doivent suivre des remises à niveau qui demandent un peu plus de temps. En second lieu, toutes les filières ne sont pas au même endroit. Si un jeune réussite son BEP et qu’il veut continuer en bac pro, il doit parfois se déplacer dans la ville d’à côté. Or il n’y a que les petits bourgeois qui croient que toutes les familles possèdent deux voitures ! Que fait le jeune ? Il quitte l’école pour l’emploi en espérant que les choses s’arrangeront. Par ailleurs, beaucoup de lycéens professionnels sont pères ou mère de famille - d’après les statistiques, la moyenne d’âge des effectifs de l’enseignement professionnel est plus âgée -, et il faut qu’ils mangent. Donc, si l’on veut les amener à un niveau suffisant de qualification pour le bien du pays, il convient de leur donner les moyens matériels de continuer leurs études.

Telle est la clé de la situation, au lieu de raccourcir la durée de formation pour accéder au bac pro. Vous vous trompez, monsieur le ministre, car vous avez été mal conseillé. Je sais qui se charge de ce boulot depuis des années : les grands trouveurs de Bercy et les grands intelligents de l’Union des industries et métiers de la métallurgie, l’UIMM.

Monsieur le ministre, on parle souvent des permanents ouvriers des syndicats, mais méfiez-vous des permanents patronaux. Certains n’ont pas mis les pieds dans une boîte depuis quinze ou vingt ans. Cela ne les empêche pas de vous expliquer comment former les ouvriers. Je considère qu’ils sont aussi suspects que ceux qui n’y ont jamais travaillé. Surtout lorsqu’ils relaient des trouvailles comme celle de l’UIMM visant à ramener la formation du baccalauréat professionnel à trois ans. L’IUMM souhaite un bac pro en trois ans pour plusieurs raisons. D’abord, ils pensent aux économies qui résulteront de la diminution du temps de formation. Ensuite, ce sont des partisans acharnés d’un partage aberrant entre l’éducation nationale et le monde de l’industrie : l’éducation nationale s’occupe des connaissances générales - comme ils disent - et eux certifient les compétences professionnelles. La délivrance d’un certificat de compétences est au coeur de la polémique entre le système républicain de l’enseignement professionnel et les organismes anglo-saxons qui ont partout validé ce certificat. Le certificat de compétence, c’est le piquet qui tient le travailleur à la gorge. Un diplôme qui garantit une qualification permet la garantie durable d’un salaire dans les conventions collectives. En revanche, un certificat de compétence n’a de durée que la durée du produit fabriqué. Un certificat de compétence, dans le secteur de l’automobile, a une durée de cinq ans et la durée de vie d’une automobile est de sept ans sur le marché. Voilà pourquoi la question scolaire est toujours une question sociale. Et elle nous renvoie à l’idée que nous nous faisons du développement de notre patrie républicaine. Monsieur le ministre, c’est une erreur de généraliser le bac pro à trois ans. Un chiffre le prouve. Aujourd’hui, le baccalauréat professionnel se prépare en quatre ans - les études courtes professionnelles m’ont toujours fait sourire. Mais il faut savoir que 20 % des jeunes qui arrivent aujourd’hui au bac pro ont eu besoin d’une année cinquième année. On voit mal comment ils s’en sortiront en trois ans !

Monsieur le ministre, je plaide pour la jeunesse ouvrière, je plaide pour les travailleurs, je plaide pour le développement de notre pays en tant que puissance industrielle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)


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