Bayrou à Matignon : on prend le MoDem et on recommence

samedi 21 décembre 2024.
 

Après tout, pourquoi changer ? Neuf jours après la censure du gouvernement de Michel Barnier, Emmanuel Macron a confié à François Bayrou la tâche de former un nouveau gouvernement, vendredi 13 décembre. L’« époque nouvelle » promise par le président de la République débute ainsi par la nomination à Matignon d’un de ses principaux soutiens, au terme d’une année 2024 marquée par une double défaite électorale du camp présidentiel et par sa mise en minorité à l’Assemblée nationale.

Le président du Mouvement démocrate (MoDem) aura pour mission prioritaire de négocier avec les différentes forces politiques le droit de gouverner sans être renversé. La tâche s’annonce ardue ; c’est l’histoire d’un cuisinier qui, après une bouillabaisse ratée, retournerait aux fourneaux avec les mêmes ingrédients, les mêmes ustensiles mais un nouveau second.

Pour se rassurer, les stratèges élyséens décrivent le « sens du dialogue » de François Bayrou et sa posture de vieux sage de la politique tandis que le microcosme se gargarise de ses relations jugées cordiales avec le Rassemblement national (RN) et le Parti socialiste (PS). Des arguments déjà entendus à l’époque de la nomination de Michel Barnier, « l’homme du Brexit », artisan du compromis, qui a fini par se casser les dents sur le mur de la minorité parlementaire.

Difficile de déceler, à ce stade, ce qui évitera à François Bayrou la même fin tant c’est la continuité qui devrait marquer de son sceau la suite des événements. Au gouvernement, la plupart des ministres de premier plan s’attendent à rester en poste, de Bruno Retailleau (intérieur) à Rachida Dati (culture) en passant par Jean-Noël Barrot (affaires étrangères), Sébastien Lecornu (armées) et Catherine Vautrin (territoires et décentralisation).

Si la droite Les Républicains (LR) s’apprête à négocier chèrement sa participation, celle-ci ne fait guère de doute, tout comme celles de Renaissance et d’Horizons. La rupture ne sautera pas aux yeux non plus à la tête du gouvernement, où un homme de 73 ans qui vantera le « compromis » et « l’« intérêt général » remplace un autre homme de 73 ans qui vantait le « compromis » et « l’« intérêt général ».

Il y a quelque chose de singulier, d’ailleurs, à voir Emmanuel Macron nommer à la suite les deux premiers ministres les plus âgés de la Ve République, émanations les plus classiques qui soient du jeu partidaire des dernières décennies. Après avoir été élu sur une promesse de réinvention et de renouvellement, le chef de l’État finit sa décennie au pouvoir les deux pieds dans la République des partis qu’il honnissait à longueur de discours.

Pour François Bayrou, c’est une victoire à l’usure, après avoir lorgné sur l’hôtel de Matignon en 2017, en 2018, en 2019 et à chaque fois qu’un remaniement se pressentait. Sa relaxe, en février, dans le procès des assistants du MoDem, l’a résolument replacé au centre du jeu, estimait-il ces derniers mois ; tant pis si un procès en appel doit avoir lieu courant 2025.

Le maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) et haut-commissaire au plan, qui n’a pas tiré un trait sur la présidentielle de 2027, connaît la nouvelle étape, importante, d’une carrière riche en mandats et en fonctions : ministre de l’éducation nationale de 1993 à 1997 puis éphémère ministre de la justice en 2017, député dix-neuf ans durant, député européen trois ans, président de conseil général neuf ans, président de parti trente ans.

Objectif principal : la non-censure du PS

À Matignon, où les deux hommes doivent se retrouver en fin de journée pour leur passation de pouvoirs, le nouveau et l’ancien chef du gouvernement vont peut-être se rappeler la belle époque des « Rénovateurs », ce groupe de jeunes députés de droite qui voulaient renouveler le logiciel et les méthodes de leur famille politique. Ils en étaient tous les deux, aux côtés de Philippe Séguin, François Fillon ou encore Philippe de Villiers. C’était en 1986.

Quatre décennies plus tard, François Bayrou et Michel Barnier évoqueront aussi certainement ces mœurs politiques qui ont tant changé, ce tripartisme, cet hémicycle bouillant, ce président de la République si dur à suivre ; bref, tous ces paramètres qui font de l’entreprise un énième remake de Mission impossible. Mais François Bayrou n’est pas Tom Cruise et les leviers dont il dispose sont moins impressionnants que l’arsenal d’Ethan Hunt.

Auprès de ses proches et du chef de l’État, longtemps dubitatif voire franchement réticent, François Bayrou a laissé entendre qu’il saurait y faire. C’est le paramètre clé, celui qui occupe l’esprit d’Emmanuel Macron et de ses proches : comment convaincre les socialistes de ne pas voter la censure ? Dans son esprit, l’ancien candidat à la présidentielle peut obtenir la bienveillance du groupe PS, voire celle du groupe communiste, en échange de quelques gestes sur le fond ou la méthode (l’abandon du 49-3, par exemple).

Pour réussir dans la mission, le président de la République avait entrepris de nommer une personnalité moins éloignée du PS que Michel Barnier. Il a offert le poste à Jean-Yves Le Drian, un de ses proches, le seul ministre de François Hollande qu’il a gardé au gouvernement après son élection. « On me l’a proposé mais j’ai refusé, a confirmé l’ancien socialiste vendredi à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor). Dans deux ans et demi, j’aurai quatre-vingts ans. Ça ne serait pas sérieux. »

D’autres figures classées au centre-gauche au sein du camp présidentiel ont été évoquées, poussées voire sondées par le président de la République. C’est le cas de Roland Lescure, l’ancien ministre de l’industrie, qui a même fait office d’éphémère favori dans les bruissements du microcosme. Au point de susciter un tir de barrage du Rassemblement national (RN), du MoDem et de l’entourage de Bruno Retailleau, qui y voyaient un « casus belli ».

Une nomination arrachée au forceps ?

Dans la course des petits chevaux, le pur-sang centriste Bayrou a été premier, deuxième, troisième, hors course… Son arrivée à l’Élysée, vendredi matin à 8 h 30, a été perçue comme le signe que c’était fait. À ce moment-là, en réalité, il n’en était rien : selon Le Monde, le président de la République l’avait appelé à l’aube pour lui signifier qu’il n’aurait pas Matignon. C’est au fil de la matinée, et d’un rendez-vous durant lequel François Bayrou aurait exprimé toute sa colère, que la décision présidentielle a de nouveau changé.

Par-delà le caractère anecdotique et toujours fantasque des nominations présidentielles, l’épisode raconte aussi le pouvoir de nuisance dont jouit le nouveau premier ministre auprès d’Emmanuel Macron. Depuis son ralliement en 2017, il a même fait sa spécialité les coups de pression et sorties tapageuses : lorsque la répartition des circonscriptions ou des postes ministériels ne lui convient pas, lorsqu’Emmanuel Macron veut faire passer la retraite à 65 ans par simple amendement, lorsqu’il choisit Élisabeth Borne plutôt que lui à Matignon…

C’est aussi pour cela que François Bayrou n’a jamais été nommé à Matignon et que la relation qu’il entretiendra avec l’Élysée sera scrutée de près par les observateurs. Sur le fond des politiques, en revanche, il semble peu probable que la ligne Bayrou s’éloigne de la ligne Macron, quand bien même le président du MoDem a plusieurs fois exprimé une voix dissonante sur la taxation des superprofits, la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) ou le « choc des savoirs » à l’école.

Comment concilier, à présent, ses opinions tranchées, celles du chef de l’État et la nécessité de faire des concessions à la droite Les Républicains (LR), qui veut voir Bruno Retailleau maintenu et une loi immigration votée prochainement, ainsi qu’à la gauche socialiste, qui demandera peut-être un bougé sur la réforme des retraites ou le salaire minimum ? La question de la proportionnelle, vieille marotte du nouveau premier ministre, devrait aussi être au cœur des échanges qu’il mènera ces prochaines semaines avec les différentes formations politiques.

Au mois d’août, alors que son nom circulait déjà pour Matignon, François Bayrou livrait dans Le Figaro la façon dont il composerait son gouvernement. Une équipe « désintéressée, pluraliste et cohérente, constituée de personnalités de caractère » et « expérimentées », allant de la gauche socialiste à la droite républicaine. Avant d’ajouter, point « très important », qu’elles devraient aussi « comprendre ce que traduisent les votes à l’extrême droite et à l’extrême gauche ».

Du François Bayrou dans le texte, pas toujours simple à appréhender. L’ancien professeur de lettres aime prendre le temps ; de parler et d’agir. À l’Éducation nationale, dans les années 1990, il avait opposé à la volonté réformatrice de Jacques Chirac sa culture du long compromis, synonyme d’inaction aux yeux de ses détracteurs. Un peu de temps, c’est précisément ce que cherche désespérément Emmanuel Macron, privé jusqu’en juillet de son pouvoir de dissolution.

Ilyes Ramdani


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