Un comportement « non adapté, négligent et imprudent ». C’est ainsi que les juges d’instruction qualifient l’action des trois policiers mis en examen dans l’enquête sur la mort de Cédric Chouviat lors d’un contrôle, le 3 janvier 2020 à Paris, pendant lequel il a subi un plaquage ventral et une clé d’étranglement alors qu’il était menotté et casqué.
Conformément aux réquisitions du parquet, ils viennent de renvoyer Arnaud B. (33 ans), Michaël P. (38 ans) et Ludovic F. (28 ans) devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire.
Dans leur ordonnance datée du 17 décembre, dont Mediapart a pris connaissance, les magistrats concluent que le décès du livreur de 42 ans a été « causé par les actions conjuguées des trois fonctionnaires interpellateurs » qui sont intervenus sur lui après l’avoir mis au sol, conduisant à son asphyxie. Une quatrième fonctionnaire de police, « en retrait » de la scène et placée sous le statut de témoin assisté, bénéficie d’un non-lieu.
Les avocats des trois policiers mis en cause, Laurent-Franck Liénard et Thibault de Montbrial, n’ont pas répondu aux sollicitations de Mediapart à l’heure de publier cet article, ou n’ont pas souhaité s’exprimer. Leurs clients, présumés innocents, ont soutenu tout au long de l’instruction avoir agi de manière proportionnée. Ils ont encore la possibilité de faire appel de l’ordonnance de renvoi devant la chambre de l’instruction.
Cinq ans jour pour jour après cette intervention de police fatale, les proches de Cédric Chouviat organisent un rassemblement en sa mémoire sur les lieux de sa mort, vendredi après-midi, au cours duquel plusieurs membres de sa famille doivent prendre la parole.
Par la voie de leurs avocats, ils demandaient à ce que les faits soient qualifiés de « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » (autrement appelées « coups mortels »), une piste explorée mais écartée par les juges d’instruction. Mi-novembre, dans une ultime tentative d’infléchir le cours des choses, la famille de Cédric Chouviat avait adressé un dernier courrier en ce sens aux juges d’instruction, sans succès.
« Cette ordonnance ouvre la voie à un procès attendu de longue date par les proches, cinq ans après les faits », déclarent Vincent Brengarth et William Bourdon, avocats de la famille Chouviat, qui saluent « la fin d’un tunnel judiciaire ». Ils regrettent toutefois que la décision « passe outre le caractère manifestement volontaire des violences exercées. Nous attendrons du tribunal qu’il en tire toutes les conséquences juridiques et logiques. Il y va de la cohérence de la justice et de sa capacité à juger ces affaires comme celles de n’importe quel justiciable ».
« Comme toujours dans les affaires de violence policière, quand bien même la responsabilité criminelle des policiers est évidente, les juges d’instruction font des compromis », ajoute Arié Alimi, qui intervient à leurs côtés. « Trois policiers seront jugés pour homicide involontaire. La famille de Cédric est satisfaite de cette première étape. Le débat sur l’éventuelle qualification criminelle des faits aura lieu devant le tribunal correctionnel. C’est la seule voie pour obtenir vérité et justice pour Cédric. »
Comme l’a révélé un enregistrement issu de son téléphone, le livreur de 42 ans a répété « j’étouffe » à au moins sept reprises sans que les fonctionnaires relâchent leur étreinte. Malgré l’expertise rendue par un acousticien et une tentative de reconstitution sonore, les juges concluent à l’impossibilité de prouver que les policiers auraient entendu ses appels à l’aide et les auraient « volontairement ignorés ».
Les magistrats retiennent néanmoins qu’ils l’ont maintenu sur le ventre « près d’une minute trente », c’est-à-dire « une durée exagérément longue », dans une position « inconfortable et dangereuse » qui a entraîné une asphyxie mortelle.
Début 2022, une expertise médicale avait attribué l’arrêt cardiaque de Cédric Chouviat à « une association simultanée de plusieurs facteurs aboutissant à priver de manière radicale le cerveau de son apport nécessaire en oxygène » : la combinaison d’une clé d’étranglement et d’un plaquage ventral pratiqués sur lui, alors que son casque était attaché par une lanière serrée, l’a empêché de respirer. L’enquête n’a pas permis « d’isoler un geste brusque en particulier » qui pourrait, avec certitude, avoir causé la fracture du larynx constatée par les experts médicaux.
« L’appréciation de la responsabilité pénale des policiers [...] doit porter sur la globalité de la scène », écrivent encore les juges pour qui, « focalisés sur l’objectif du menottage de M. Chouviat, les policiers n’ont pas prêté attention à son bien-être et à son état de santé, alors même qu’il manifestait dès les premières secondes de décubitus ventral une détresse manifeste ».
Si les magistrats considèrent que la décision d’interpeller et de menotter Cédric Chouviat « pouvait s’entendre, s’agissant d’un individu non coopérant, porteur d’un casque, dans un environnement périlleux », ils notent aussi que les policiers n’ont pas fait preuve du « professionnalisme attendu : absence de déclenchement de la caméra-piéton, prises de vues avec un téléphone personnel, attitudes goguenardes, propos grossiers et totalement inappropriés ont émaillé le déroulement du contrôle ».
Camille Polloni
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