![]() |
Alors que les sondages prédisaient des résultats serrés, Trump a été élu 47e président des États-Unis à l’issue d’une victoire écrasante et sans conteste contre sa rivale Démocrate, Kamala Harris. Premier candidat Républicain à remporter le vote populaire depuis 20 ans, il a progressé uniformément dans tous les groupes sociaux et est arrivé à mobiliser la « working class » de façon spectaculaire. La compréhension des mécanismes qui ont permis sa réélection nous est nécessaire, non seulement car les États-Unis constituent la première puissance économique et militaire du monde, mais aussi parce qu’elle est élevée au statut d’exemple par de nombreux observateurs qui transposent la situation étatsunienne à leurs contextes nationaux.
L’élection de Boris Johnson en Grande-Bretagne ou celle de Javier Milei en Argentine ont par exemple été analysées comme des victoires d’ersatz de Trump ; et si l’élection de 2016 a été commentée comme le début de la montée des extrêmes droites dans le monde, cette réélection sera sans doute décrite comme la précurseuse de l’installation définitive de ces régimes autoritaires. Dans le contexte Français, ce discours de la politique états-unienne prescriptrice de notre devenir est déjà mobilisé par la droite et l’extrême-droite (celles-là même qui se targuent de s’opposer au soft power américain et qui n’ont pas été si promptes dans leurs observations lors de l’élection d’Obama en 2008).
À l’opposé de ce narratif fataliste où le sens de l’Histoire serait déjà écrit et les États-Unis son éclaireur, cet article vise à identifier les raisons objectives qui ont permis une telle victoire du camp Républicain et montrer en quoi sa transposition littérale à la France est erronée. Notre article.
Après la défaite de Kamala Harris, le parti Démocrate s’efforce tant bien que mal de comprendre les raisons de son échec. Si certains reprochent à Biden de ne pas s’être retiré suffisamment tôt et d’autres mettent en cause le choix de Harris comme candidate, le Démocrate Tom Suozzi estime pour sa part que son parti a failli en voulant « flatter l’extrême gauche » et en ne s’opposant pas à ce que « les garçons biologiques jouent aux sports de filles ». Son collègue Seth Moulton abonde en ce sens en expliquant qu’il « craint que [ses] filles se fassent renverser sur le terrain de jeux par un homme ou un ancien athlète masculin » mais que la doxa Démocrate l’empêche de le dire.
Les déclarations de ces élus s’inscrivent dans un récit plus général qui assimile les Démocrates à un parti de gauche et attribue son échec à sa focalisation sur les « identity politics ». Ces dernières, qu’on pourrait traduire par politique des identités ou des minorités, seraient d’autant plus délétères qu’elles repoussent l’électorat populaire blanc et qu’elles ne sont plus efficaces auprès des populations minorisées.
Les apôtres de ce discours en veulent pour preuve les victoires historiques de Trump dans des counties à majorité noire ou hispanique : le Starr County à 97 % hispanique et plus longue terre Démocrate des États-Unis a été remportée par Trump à 58 %, le Miami-Dade county à majorité hispanique a voté pour la première fois Républicain depuis 1988 et le Anson County en Caroline du Nord avec 40 % de la population Afro-Américaine a voté rouge pour la deuxième fois depuis la Reconstruction.
Cependant, ce discours se fonde sur deux axiomes discutables : Le premier est que la politique de Harris serait de gauche et qu’elle aurait centré sa campagne sur des revendications « sociétales » de défense des populations minorisées (les femmes, les personnes transgenres, les racisés, les migrants) impopulaires et éloignées des préoccupations des Américains. Le second s’appuie sur la progression de Trump chez les minorités interprétée comme le refus de ces derniers du “progressisme” Démocrate et leur adhésion au projet suprémaciste et xénophobe de Trump.
En réalité, Kamala Harris ne s’est pas présentée comme une femme politique de gauche, loin s’en faut. Ses rares divergences avec la ligne politique de Biden en 2020 constituent un virage à droite : elle n’a eu de cesse de rappeler son passé de procureure ferme et intransigeante, s’est déclarée fière détentrice d’une arme à feu et a choisi la fille de Dick Cheney, le vice-président Républicain à l’origine de la guerre d’Irak comme conseillère. Elle a par ailleurs affirmé qu’elle n’aurait rien changé à la politique de Biden si ce n’est d’incorporer des conseillers Républicains à la Maison Blanche.
Son programme politique et ses discours ne sont pas plus à gauche que son image publique. Si elle a commencé sa campagne en s’attaquant aux grandes entreprises et aux inégalités de richesse qui ne cessent de croître aux ÉtatsUnis, elle a très vite abandonné cette rhétorique sous l’impulsion de son conseiller Tony West, cadre dirigeant de l’entreprise Uber. Son discours néolibéral lui a d’ailleurs permis d’attirer 50 % plus de « méga donateurs » (nom donné aux donateurs privés qui investissent plus de 5 millions de dollars dans une campagne) que Biden en 2020.
Sur le plan des droits des minorités, sa politique était celle du statu quo, elle s’est contentée de s’opposer au projet de Trump (ce qu’elle croyait lui assurer l’adhésion des Démocrates) et a adopté la posture de la candidate responsable pour l’aile anti-Trump des Républicains. Elle a promis la protection des droits des femmes et de leur santé reproductive, ce qui était un calcul à faible risque tant la majorité des Américains sont défavorables à l’interdiction de l’avortement dans tous les États. Sur les sujets plus périlleux, elle a choisi de se murer dans le silence.
Ainsi, elle n’a pas répondu aux attaques répétées de Trump sur les personnes transgenres, des attaques largement diffusées dans les foyers américains avec avec un coût publicitaire de 21 millions de Dollars et terriblement efficaces (l’étude de Future Forward a par exemple montré que le visionnage d’une publicité augmentait de 2.7 points les intentions de vote pour Trump). L’administration Biden a de facto accordé de nouveaux droits aux personnes transgenres mais Harris n’a pas eu le courage de défendre ce bilan certainement par peur de perdre les voix des « Républicains raisonnables ».
Enfin, elle n’a jamais appelé au cessez-le-feu à Gaza et au Liban et prévoyait de poursuivre la politique de soutien au gouvernement d’Israël. Ce faisant, elle s’est aliénée les électeurs arabes américains du swing state de Michigan qui a donné Trump gagnant. En somme, le 6 novembre 2024 n’opposait pas la gauche à la droite, mais plutôt une candidate Républicaine classique à un candidat Républicain d’extrême droite.
Malgré ses concessions et ses tergiversations sur des sujets centraux, il ne fait nul doute que le programme politique de Harris était plus respectueux des minorités que celui de Trump. Mais alors, comment comprendre le soutien inédit de ces mêmes minorités au candidat Républicain ? Le vote hispanique, plus que tout autre, est devenu le centre d’attention des analyses tant la communauté Latino est importante d’un point de vue démographique et qu’elle est fortement lié à l’immigration sud-américaine. Est-ce à dire que les Hispaniques récemment naturalisés ou descendants d’immigrés sont favorables à la déportation massive des primo-arrivants ?
La journaliste Paola Ramos a identifié l’adhésion d’une fraction de la communauté Hispanique au discours xénophobe et suprémaciste de Trump. Selon elle, ceci s’explique par l’héritage raciste de la période esclavagiste et coloniale espagnole qui a engendré un racisme intériorisé (une forme de colorisme contre soi) chez les populations sud-Américaines. Celui ci s’exprime d’autant plus violemment contre les Afro-Américains et la visibilisation de leurs revendications aux ÉtatsUnis. Un deuxième facteur explicatif se loge dans la conversion croissante de certains Hispaniques à l’évangélisme acquis à Trump.
Ce dernier a d’ailleurs pris soin de mettre en scène le lancement de la coalition « Evangelicals for Trump » en Floride. Enfin, Ramos note une volonté de « blanchiment » de certains descendants d’immigrés qui aimeraient marcher dans les pas des « blancs ethniques ». Ce terme désigne les descendants d’immigrés européens (notamment italiens et irlandais) arrivés aux XIXe et XXe siècles qui ont été discriminés par les WASPs nativistes et cantonnés à des emplois précaires. Longtemps électeurs Démocrates, Nixon avait su capitaliser sur leurs voix en se faisant leur porte-parole et en les érigeant en héros travailleurs et méritants (par opposition aux Noirs et aux immigrés sud-américains).
Pour autant, la situation des blancs ethniques extraits de leur subalternité est difficilement transposable aux Hispaniques. Le sociologue Tomás Jiménez a montré que la continuation de l’immigration sud-américaine, a contrario de celle provenant d’Italie ou d’Irlande, constitue un facteur déterminant dans la perpétuation de l’ostracisation des Latinos quand bien même ceux-ci seraient de nationalité Américaine depuis des générations. De surcroît, elle crée un renouvellement permanent de l’attachement des Américains hispaniques à leur « culture d’origine » et une identification aux nouveaux arrivants.
De fait, les études ont montré que la grande majorité des hispaniques, quelque soit leur proximité partisane, estiment qu’il est important que la plupart des immigrés entrés illégalement aux États-Unis puissent y rester et sont opposés à une politique de déportation massive ou à l’extension du mur à la frontière mexicaine. Le choix de Donald Trump n’en paraît que plus contradictoire.
En réalité, il semblerait que la question de l’immigration n’ait pas été un moteur de vote chez les Latinos. En cause, les manquements des Démocrates. Ces derniers ont été élus pendant des décennies sur des promesses d’amélioration d’accueil des migrants et de facilitation d’accession à la citoyenneté (en particulier pour les Dreamers) qui n’ont été que rarement tenues.
Le tournant sécuritaire de la fin de l’administration Biden en est un exemple effarant. Dans l’objectif de gagner une partie de l’électorat Trumpiste, la candidate Harris a même opéré un revirement à droite sur l’immigration inattendu de la part d’une Démocrate. Elle s’est notamment déclarée favorable à la criminalisation de l’entrée illégale aux États-Unis et a laissé entendre qu’elle poursuivrait la construction du mur si élue. Enfin, contrairement à ses prédécesseurs, elle n’a que rarement abordé les questions d’égalité de droits concerant les Américains hispaniques, achevant alors de démobiliser certains latinos Démocrates.
En somme, les Démocrates ont adopté une stratégie opportuniste reprenant certaines des mesures de Trump autrefois combattues, en dénonçant les plus exubérantes et se drapant d’une respectabilité dont ils auraient l’apanage. Ce faisant, ils n’ont proposé aucune réelle opposition et ont légitimé l’idéologie Trumpiste. Ici se loge le véritable écueil des partis traditionnels pour la plupart dépourvus de toute consistance idéologique et habitués aux calculs électoralistes face à la montée de l’extrême droite de par le monde.
Souvent choisissent-ils de céder aux politiques réactionnaires et racistes qu’ils pensent populaires, alimentant de la sorte la crédibilité de l’extrême-droite qui s’érige en visionnaire et prescriptrice de vérité. Si l’Histoire ne se répète pas mais bégaie, force est de constater qu’une fois de plus, seule une gauche rejetant toute concession programmatique et refusant toute abdication intellectuelle sera en mesure d’endiguer la fascisation qui vient.
Par Imane
Date | Nom | Message |