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L’incendie de la Californie est un signal d’alerte de première grandeur. Tout l’équilibre du système financier mondial peut être impliqué par les conséquences du dérèglement climatique. Les liens entre le système du profit et les catastrophes sont multiples.
Premier exemple : l’eau, matière première, a été introduite en bourse par cet État des USA. Chacun en comprend la conséquence : on y accède si on paye au prix marchand, c’est-à-dire augmenté des dividendes à payer aux actionnaires. Et le prix varie avec la demande. Plus il y en a besoin, plus ça coûte cher. La demande venant de crise devient donc toujours une aubaine pour le capital placé dans ce type de compagnie. Autre domaine où le marché peut se faufiler. On a vu que, pour faire face à l’incendie, certains ont fait appel à des « pompiers privés ». Explication des intéressés : « notre fortune nous le permet, pourquoi nous en priverions-nous ? » C’est la logique sur laquelle compte fondamentalement le capitalisme : la rareté c’est la cherté, et donc une opportunité pour le marché. Rappelons que les directives européennes considèrent les pompiers volontaires comme de la concurrence déloyale pour les services privés d’incendie. On comprend mieux alors le genre de mécanisme par lequel l’Europe élargit à tout propos le champ de la marchandisation à toutes les activités.
La bonne aubaine des malheurs ne s’arrête pas là. Arrive le moment des assurances. Qui va payer l’indemnisation pour la reconstruction ? Les assurances ? On connaît déjà la réponse. Comme ce n’est pas le premier épisode de ce type en Californie, les compagnies d’assurances ont déjà tiré la leçon de la situation avant cet incendie. Elles ont refusé de renouveler nombre de contrats ! Des millions de californiens vivent donc sans assurance. Ils sont désormais à la rue. Car si l’on a déjà versé bien des larmes pour les riches et leurs palais, on a le plus souvent oublié de parler des autres, des gens du commun, et pire encore, des pauvres. Les façades luxueuses font oublier les autres, voire les font croire seules concernées. Ça me rappelle les Alpes-Maritimes. On ne voit et ne parle que des stations prestigieuses et de Nice pour sa promenade des Anglais, par exemple. Mais 75 % de la population de ce département a des revenus assez bas pour être « éligible au logement social ». La suite ? Ou bien il n’y aura plus d’assurance accessible. Ou bien il n’y en aura seulement pour ceux pouvant attester s’être eux-mêmes protégés par une installation anti-incendie particulière et/ou ayant un contrat avec une société de pompiers privés.
On aurait tort de croire tout cela exotique. En 2022, l’incendie géant de Landiras en Gironde, sur le bassin d’Arcachon et le Médoc, a détruit une surface équivalente à celle de l’incendie en Californie : 29 000 hectares sur 200 kilomètres carrés. Cet épisode girondin éclaire aussi la possibilité d’autres dégâts supplémentaires en fonction de la nature du sol. À Landiras, le feu a rencontré de la lignite dans le sol. Alors quand les trombes d’eau sont tombées cette année, ici et là elle bouillait car le feu souterrain n’était toujours pas éteint…
La question des assurances est déjà posée en France. Elle est rendue visible par les protestations des communes qui ne trouvent plus d’assureur ou qui subissent des exclusions de protection ou des renchérissements paralysants. Selon l’Association des maires de France (AMF), des milliers de communes en France font face à des résiliations de contrats d’assurance ou à de fortes hausses de cotisations. Elles seraient entre 1 000 et 2 000 dans cette situation. Il y a donc à cette heure un nombre non déterminé de communes non assurées. Et des milliers d’autres sur tout le territoire galèrent à trouver un assureur ou une protection assez large ou encore assumer une envolée du prix de l’assurance.
Un rapport sénatorial traite le problème. Il montre l’extrême précarité de la situation, tant les assureurs français sont sur le repli. Ils préfèrent parfois céder la place à des étrangers. D’autres fois, ce sont des zones à risques entières qui ne sont plus couvertes par aucun assureur, et d’autres fois ce sont des hausses vertigineuses de prix de l’assurance mettant à genoux les finances locales. Par exemple, dans la vallée de la Roya, après l’épisode méditerranéen qui a tant détruit, une commune a reçu le versement final des trois cinquièmes de la somme remboursée, et la résiliation de son contrat deux mois plus tard. Les « risques naturels » se présentent donc d’abord comme un risque de destruction sans reconstruction pour les équipements de base de ces communes. On voit bien alors comment le niveau d’activité et de services se dissoudra par pan et interruption de service. Un processus diffus et progressif. Ils emporteront tout, au fur et à mesure où se répéteront dans les mêmes zones les mêmes nouvelles catastrophes. Ce scénario de contagion de l’effondrement est à présent le plus actuel et le mieux vérifié. Voilà pour le terrain des écoles, gymnases, ponts, canalisations et autres installations collectives. Mais il faudrait également évoquer le sort des particuliers à qui s’applique évidemment le même genre de situation.
Les enchaînements dans l’économie globale impliqués par cette situation ne sont pas de moindre portée ! Un accident climatique localisé ne reste pas longtemps confiné dans sa zone, compte tenu de la globalisation financière dans laquelle sont insérés les capitaux assurantiels. N’oublions jamais comment la circulation des dettes et paiements s’effectue à l’intérieur de la même toile numérique globale. Un coup reçu sur un point peut atteindre par contagion toute la surface des « points » reliés entre eux par des avoirs ou de dettes croisées. Les assurances sont parmi les toutes premières structures agissant dans la sphère financière. On peut donc deviner l’impact d’une éventuelle défaillance d’un ou l’autre assureur confronté à un niveau de remboursement inaccessible… La contagion se fera vite. D’autant plus que, souvent, les contrats d’assurances sont entre les mains de peu d’intervenants. En France, pendant des années, le marché de l’assurance des collectivités locales a été dominé par un quasi-duo : la SMACL et Groupama. Ils détenaient environ 75 % du marché. Une défaillance liée à un fait isolé atteindrait pourtant la capacité de remboursement sur un immense territoire. Pour ne parler que des assurances. Mais si l’on considère la part des fonds spéculatifs que ces sociétés doivent détenir pour financer leurs dépenses, alors l’ampleur de la catastrophe s’étendrait à autant de secteurs d’activité du pays. Le climat est donc un facteur majeur de crise financière mondiale, par le talon d’Achille du système mondial qu’est la finance assurantielle.
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